« Le chantier est immense » - L'Infirmière Magazine n° 176 du 01/11/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 176 du 01/11/2002

 

Événement

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Bien que les infirmières constituent une priorité pour Jean-François Mattei, le ministre n'a pu nous recevoir pour une interview. Ce sont donc ses réponses écrites que nous reproduisons. Compte rendu d'un entretien épistolaire.

Quel bilan faites-vous de la situation des infirmières héritée du précédent gouvernement ? Comptez-vous réformer les 35 heures pour les infirmières à l'hôpital public et dans les cliniques ?

Il est clair que nous devons assurer la continuité de l'État et donc appliquer la loi. Nous héritons des « 35 heures » sans les avoir voulues et je suis bien obligé de constater quand même que l'on a mis la charrue avant les boeufs : la mise en place de la réduction du temps de travail a été décrétée avant même que l'on se soit assuré que l'hôpital et les cliniques privées disposaient des ressources humaines nécessaires à leurs besoins. Or, aujourd'hui, il semble qu'il y ait 10 à 12 000 postes d'infirmières vacants, et l'arrivée d'infirmières espagnoles, annoncée sans doute un peu trop prématurément, ne semble pas avoir donné les résultats escomptés. Nous y verrons plus clair à l'issue de la mission nationale d'évaluation de la RTT que j'ai confiée à M. Angel Piquemal et dont j'attends les résultats.

Comment faire pour que l'hôpital fidélise davantage ses infirmières ?

Le chantier est immense, il ne fait que débuter. Vous le savez, votre profession, comme celle de sage-femme, souffre d'un problème de désaffection.

On peut toujours augmenter les places au concours, s'il en reste 10 % non pourvues dans tous les cas, cela n'a pas grande utilité. Ce problème n'est pas spécifique à la France et l'Organisation mondiale de la santé vient tout juste de lancer un cri d'alarme à ce propos.

Des salaires jugés insuffisants, des conditions de travail pénibles, voire à risques, une absence de perspective de carrière (doublée d'un important « turn-over ») et un manque de reconnaissance du statut professionnel en semblent les raisons. Il nous faut nous attaquer à chacun de ces points un à un.

Les cadres infirmiers de la fonction publique hospitalière, notamment les spécialisés, ont été déçus du protocole sur les filières professionnelles de la FHP (14 mars 2001). Que pensez-vous de leurs revendications ?

Vous m'indiquez qu'il existe une déception des cadres infirmiers spécialisés au regard de leur revalorisation salariale. Je demanderai à mes services d'étudier cela. Mais tout de même, il me semble que l'effort national réalisé n'est pas modeste.

En effet, les cadres Iade et Ibode ont vu leur traitement de fin de carrière progresser de 16 %. On ne peut pas dire que cela soit négligeable.

Où en est la réflexion sur la première année de formation commune pour les futurs médecins et paramédicaux ?

La commission nationale pédagogique, qui est en place depuis avril dernier, s'est d'ores et déjà réunie plusieurs fois. Les ministres concernés, le ministre de l'Éducation nationale et moi- même avons confirmé au président, M. Debouzie, les objectifs de sa mission, qui consiste à examiner les conditions de mise en place de modules de formation communs à l'ensemble des professionnels de santé lors d'une première année d'étude commune. Il y aurait un concours par profession, chaque étudiant ayant la possibilité de se présenter à deux ou trois concours. J'ai par ailleurs demandé à la commission d'accélérer ses travaux afin d'être en mesure de me donner ses conclusions au printemps 2003.

Quels sont les besoins de formation pour les infirmières de demain ?

Comme pour l'ensemble des professionnels de santé, le besoin de formation des infirmières est fondamental puisqu'il s'agit pour elles d'être toujours mieux adaptées à l'évolution des techniques et des pratiques et aux modalités de prise en charge des patients.

Une formation plus universitaire que celle qui leur est actuellement proposée pourrait être envisagée. À titre d'exemple, le développement d'une approche de recherche en soins infirmiers serait de nature à favoriser l'acquisition de connaissances méthodologiques, indispensables, notamment pour l'établissement de protocoles, l'enregistrement et l'analyse des données...

Les infirmières travaillant en psychiatrie revendiquent un diplôme spécifique après le DE, qu'en pensez-vous ?

Je comprends le sens de cette demande. Les infirmières psychiatriques ont naturellement besoin d'une formation spécifique. Plutôt que d'un diplôme à part entière, il me semble que cela relève d'un complément de formation.

Le problème des aides instrumentistes et aides opératoires qui exercent sans diplôme dans les blocs opératoires a-t-il été résolu ?

Le décret en Conseil d'État vient de paraître et l'arrêté d'organisation des épreuves est imminent. Il nous faut régler ce dossier avec dignité et sérénité. Dignité pour ceux et celles qui travaillent dans les blocs opératoires depuis longtemps et pour lesquels l'organisation de ces épreuves représente une reconnaissance des compétences acquises. Sérénité parce que cette situation ne se reproduira plus car, désormais, seuls les diplômés pourront exercer dans les salles d'opérations.

La profession infirmière est morcelée entre des secteurs très différents. Pensez-vous que la notion de « profession infirmière » soit encore légitime ?

Oui, bien sûr, plus que jamais. Parce qu'elles sont au contact immédiat des malades afin de leur apporter leurs compétences, leur aide et leur assistance, les infirmières auront toujours, fort heureusement, à jouer leur rôle à part entière.

Bien sûr, la spécialisation, qui concerne tous les domaines de la médecine, implique tout naturellement une relative spécialisation de certains gestes infirmiers. Mais le fondement de leur métier, assistance et présence à l'autre, lui, jamais ne changera.

Entre les médecins et les administratifs, pensez-vous que les infirmières aient un rôle à jouer dans la définition de la nouvelle stratégie de l'hôpital ?

Pour moi, il ne s'agit pas de se situer « entre » un corps professionnel et un autre, mais de travailler ensemble à faire de l'hôpital un lieu où chacun soit en mesure de répondre aux besoins des patients, en garantissant une sécurité optimale sans perdre de vue pour autant deux objectifs fondamentaux : la qualité professionnelle et l'humanisme des lieux et des soins.

Naturellement, au sein de l'hôpital, il est normal que chaque profession, et les professions participant aux soins notamment, puisse faire part de ses préoccupations et de son point de vue. Mais n'oublions pas que le patient, la personne qui souffre est au coeur de l'action.

Quelle place pour les infirmières dans les questions de santé publique ?

Nous avons tous une place à tenir en matière de santé publique. La santé publique est certes l'affaire des professionnels de santé, et donc des infirmières, mais elle est aussi l'affaire de chacun. Longtemps, on a opposé dans notre pays la santé individuelle, la santé de chacun et la santé publique. C'est une grave erreur dont je tiens à sortir car nous en payons un prix élevé, notamment pour ce qui est de la prévention.

La santé publique a toujours été mal comprise et mal aimée. Elle est victime d'un faux procès : la santé publique ne doit pas se réduire à l'intervention de l'État dans les affaires de santé. Cette conception erronée nous a fait prendre un retard important. Non, la santé publique, c'est la nécessité de comprendre et de résoudre les problèmes de santé à l'échelle de la population, sans mettre d'un côté les soins et de l'autre la prévention. Pour moi, c'est un devoir impérieux, j'en fais un objectif premier de mon action. Votre participation est indispensable.

Questions sans réponse...

Les questions suivantes faisaient partie intégrante de l'interview adressée à M. Mattei. Il a choisi de ne pas y répondre.

> Quelles sont pour vous les priorités concernant la situation infirmière ? Quelles sont les mesures que vous allez prendre et quel en est le calendrier ?

> Où en sont les débats concernant la validation des acquis professionnels ?

> Le Conseil supérieur des professions paramédicales semble avoir des difficultés de fonctionnement. Sera-t-il réformé ?

> Quid d'un office des professions paramédicales ou d'un collège infirmier ?

> Quelle est votre position concernant le clonage thérapeutique ?