« L'Apa est un droit de l'homme ! » - L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002

 

Paulette Guinchard-Kunstler

Questions à

Paulette Guinchard-Kunstler, ex-secrétaire d'État aux Personnes âgées(1), est à l'origine de la création de l'Apa. Elle nous confie ses inquiétudes quant à la politique de ses successeurs. Et revient sur le financement de l'Apa, noeud gordien du nouveau gouvernement.

L'Apa serait victime de son propre succès ?

Victime, je n'en sais rien. L'Allocation personnalisée d'autonomie (Apa) correspond à une vraie demande. Je constate qu'il y a un débat sur le financement des personnes âgées qui n'existe pas sur d'autres dossiers, comme celui de l'emploi et de la formation des jeunes, et qui va dans le sens d'une culpabilisation des personnes âgées. On sait qu'il faut 400 millions d'euros pour stabiliser l'Apa. Ce n'est pas une somme exorbitante, étant donné les enjeux et l'importance de la population qui a été mise entre parenthèses depuis trop longtemps. En termes financiers, cette somme est comparable au geste de 300 millions d'euros débloqués par le gouvernement en faveur des médecins pour le passage de la consultation à 20 euros. On a l'impression que parce que ce budget est consacré aux personnes âgées, cela devient un drame de faire des choix financiers. Il est vrai que la montée en charge de l'Apa s'est faite plus vite que prévu, et je regrette que le gouvernement ne consente pas à alimenter le fonds national de l'Apa pour accompagner les départements dans la prise en charge de cette allocation. Cet accompagnement n'est pas fait à ce jour : aucune mesure n'a été prise en faveur de l'Apa dans le projet de loi de financement du gouvernement, ou dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Je déplore l'utilisation politicienne des personnes âgées. Les départements sont en train de se faire avoir par le gouvernement. Certains d'entre eux, particulièrement « pauvres », comme la Creuse, la Lozère et bien d'autres, ont particulièrement besoin d'être aidés par la solidarité nationale.

Comment expliquer la différence entre le budget prévisionnel (2,5 milliards d'euros) de l'Apa et son coût réel (4 milliards d'euros) pour l'année 2002 ?

La demande a été beaucoup plus importante et s'est faite plus rapidement que prévu, car les personnes âgées portaient seules leurs souffrances. La Prestation spécifique dépendance (PSD) était une allocation versée à une petite partie des personnes âgées dépendantes, mais qui était récupérée à leur mort par recours sur succession. Avec l'Apa, cette allocation est devenue un vrai droit, ce qui explique que davantage de personnes âgées l'aient demandée. De plus, le bilan financier réel n'a pas encore été communiqué. Les estimations communiquées par le ministère ont été faites à partir des dossiers déposés et non des dossiers acceptés. Nous avions estimé à 540 000 le nombre de bénéficiaires de l'Apa fin 2002. Pour l'instant, ils seraient 600 000. L'écart est moins important que ce que l'on veut faire croire.

Quelles sont les entraves actuelles à une prise en charge optimale des personnes âgées vivant à domicile ?

La professionnalisation de ce secteur est encore en suspens. Des métiers nouveaux liés au vieillissement et à l'accompagnement doivent être créés pour répondre à la demande. Le diplôme est en train de se mettre en place, soit par validation des acquis pour les personnes qui exercent ce métier depuis un certain temps, ou par une formation spécifique pour les nouveaux venus. Il faut que la convention collective soit agréée par le gouvernement. J'ai lancé ce dossier et François Fillon s'est engagé à le traiter d'ici la fin de l'année. C'est un point essentiel, car une fois agréée, cette profession deviendra plus séduisante : meilleures reconnaissance et conditions de travail, salaires plus attractifs... C'est un chantier énorme car il y a un manque criant de personnel dans ce domaine. Il faudrait créer un lobby pour défendre les personnes âgées dépendantes. L'Apa est un droit de l'homme ! Ces personnes sont handicapées (physiquement et/ou mentalement) et aussi âgées. Pourquoi n'auraient-elles pas accès au même droit que d'autres personnes dans le même état mais plus jeunes ?

François Fillon proposait une révision des barèmes de l'Apa en tenant davantage compte de la capacité contributive des bénéficiaires, en la faisant passer de 5 % à 12 %. Qu'en pensez-vous ?

C'est une décision très délicate à prendre. Si elle devait être prise, ce serait uniquement acceptable pour les revenus les plus élevés (retraites supérieures à 2 300 euros par mois). L'Apa est un droit acquis et il est impossible de revenir sur un droit.

Quelles sont vos propositions pour trouver le financement nécessaire au fonds national de l'Apa ?

La Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) sont toutes deux excédentaires. Il me semble logique que la Cnav participe à ce financement. En ce qui concerne la Cnaf, il faudrait réussir à faire évoluer les mentalités. En effet, qu'est-ce que l'entité famille ? Puisque l'enfance en fait partie, pourquoi pas la vieillesse ? Il faudrait pour cela étendre la notion de la famille à la personne âgée, ce qui me semble normal.

Êtes-vous optimiste sur le futur de l'Apa ?

Je suis convaincue que l'Apa est un bon dispositif. Il faut que le gouvernement accompagne les départements. Reste un travail à faire autour de la construction des dispositifs de besoin, comme le renforcement de l'accueil de jour, former davantage d'infirmières dans cette discipline, créer un métier à part entière.

Ne pensez-vous pas qu'avec le vieillissement de la population, l'Apa sera d'autant plus difficile à financer dans 20 ans ?

Non. Prenons l'Alsace à titre d'exemple. Beaucoup de mesures ont été prises dans cette région en faveur des personnes âgées dépendantes. Constat : les personnes âgées en dépendance très lourde sont repassées en dépendance normale. Ils ont su voir le « mal vieillir » comme quelque chose de récupérable et non d'irrémédiable en appliquant une logique de prévention. Je pense à ce propos que vieillir est inéluctable, mais que mal vieillir ne l'est pas. Plus on vieillit, mieux on vieillit. En investissant en amont, c'est-à-dire dans la recherche sur la maladie de Parkinson ou d'Alzheimer, sur l'isolement et la solitude, la prévention des chutes, etc., on peut éviter une augmentation exponentielle de la dépendance des personnes âgées.

1- Paulette Guinchard-Kunstler est actuellement membre titulaire du conseil de surveillance du fonds de financement de l'Allocation personnalisée d'autonomie, et députée du Doubs.