Le sida enfin à l'étude - L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002

 

GUYANE

Actualités

Le sida fait des ravages en Guyane, département le plus touché de France. Conduites à risque, prévention insuffisante expliquent notamment ce triste phénomène. La conférence régionale de santé du 10 décembre est légitimement attendue...

Le 10 décembre prochain, la direction de la santé et du développement solidaire guyanaise organise une conférence régionale de santé sur le VIH. Il était temps ! Le département est le plus touché de France, avec près de quatre fois plus de malades qu'en Île-de-France. Une performance tragique, conséquence de multiples facteurs.

Lourd tabou.

Une sexualité différente d'une part, comme le revèlent les enquêtes comportementales. « On constate ici davantage de conduites à risques : recours aux prostituées, multipartenariat, pénétration anale... », observe Milko Sobieski, épidémiologiste au centre hospitalier de Cayenne. Mais surtout un dispositif de prévention très insuffisant. Le département est très étendu, avec une densité de population inférieure à deux habitants par kilomètre carré. Dans ces conditions, et avec le manque d'infrastructures de communication, difficile d'accéder aux trois CDAG (Centres de dépistage anonyme et gratuit) installés dans les villes du littoral. Les personnels de santé et médecins font aussi cruellement défaut, malgré la création de postes, pour une population en pleine explosion démographique (3,5 enfants par femme en âge de procréer).

Les migrations de population sont permanentes dans une région assez fortement touchée par la pandémie. On rencontre en Guyane plus de 40 % d'étrangers, originaires d'Haïti, du Surinam, du Brésil, de Guyana... Tous n'ont pas toujours été sensibilisés au risque VIH dans leur pays d'origine. S'ajoutent à cela les spécificités culturelles des différentes communautés qui peuplent le département et influent sur la perception de la maladie et de ses remèdes. Enfin, précarité et pauvreté frappent durement (le taux de chômage officiel frôle les 25 %) avec leur conséquence directe sur la dépendance économique des femmes aux hommes.

Cause ou conséquence d'un tel tableau : un lourd tabou pèse encore sur le VIH en Guyane. Le sida reste la maladie de l'étranger. Il devient un stigmate de plus pour ce territoire autrefois qualifié d'enfer vert, propre à entraver son développement à l'heure où l'on cherche plutôt à développer le tourisme. Les élus locaux ne se sont jamais impliqués dans le développement d'une politique de lutte contre le sida, sous prétexte que cela relève des compétences de l'État. En Guyane, on ne milite pas non plus pour le droit à la santé. La seule association de malades est Entr'aides. Encore a-t-elle été fondée par des médecins... « Il y a un important travail à faire sur l'acceptation et la tolérance », estime Benoît Coterelle, médecin inspecteur de santé publique.

Des dysfonctionnements graves.

Concernant la prise en charge, la situation n'est guère plus encourageante. À la DSDS, on estime que la moitié des personnes dépistées ne sont pas prises en charge. Le manque de formation continue des professionnels des CDAG, déjà en sous-effectif, est mis en accusation. Quant aux personnes suivies, on ne compte plus les abandons de traitements ou les difficultés d'observance, parfois justifiés par l'argument culturaliste qui veut que les patients aient tendance à privilégier remèdes naturels et médecines traditionnelles.

La situation économique et sociale précaire de la Guyane est probablement aussi pour beaucoup dans l'irrégularité du suivi médical et la mauvaise observance des traitements. Sans oublier les ruptures de stocks sur certaines molécules à la pharmacie de l'hôpital, intervenues deux fois dans l'année 2002.

Loin des frontières de la métropole, la Guyane garde aussi ses distances avec le droit à la santé. Pourtant, selon Bruno Chautemps, délégué régional de Sida info service, « l'État doit constater les dysfonctionnements graves dont souffre la prévention et permettre d'y remédier ».

Épidémiologie

On compte en Guyane 477,1 cas de sida par million d'habitants (contre 125,6 à Paris). La prévalence chez les femmes enceintes est de 1,8 %. On estime le nombre de personnes séropositives à environ 3 000 (pour une population globale de 160 000 habitants). 80 % des contaminations ont lieu par voie sexuelle.