Que faire contre la violence à l'hôpital ? - L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 177 du 01/12/2002

 

Enquête

- La violence contre les soignants semble se banaliser - Par manque de statistiques et de coordination nationale, la lutte contre ce fléau est ardue - Certains établissements recourent à la police, la vidéosurveillance et la formation du personnel.

Insultes, crachats, bousculades, bagarres, fusillades ! On se souvient, en juillet dernier, au service des urgences du CHU de Nice. Un homme, en garde à vue, avait réussi à s'emparer de l'arme d'un des policiers qui l'encadraient. Résultat : un gardien de la paix grièvement blessé, une infirmière touchée à la jambe et un brancardier blessé au bras et à la jambe. Un cas isolé ? Depuis le début de l'année 2002, les médias recensaient au moins quatre tentatives d'évasion lors de soins prodigués à des détenus, à Besançon en avril, à Toulon en mai, à Metz en juin et à Nice.

Suite à cela, le ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées annonçait lors d'un déplacement le 26 juillet, la création d'un groupe de travail interministériel. Pour l'instant, aucune nouvelle de ce groupe qui devait réunir des représentants du ministère de l'Intérieur et des Libertés locales, du ministère de la Justice et celui de la Défense. Il semble que les initiatives se situent au niveau local, conçues entre les établissements, les services de police et de gendarmerie, et des sociétés de sécurité privées.

Détenus.

Nous ne nous intéressons ici qu'à la violence exercée à l'encontre des soignants, même si les personnels hospitaliers peuvent eux aussi manifester de l'agressivité. Où se produit cette violence ? Outre les hôpitaux psychiatriques, plus « traditionnellement » concernés, ce phénomène touche désormais les hôpitaux généraux, notamment aux urgences et dans les centres hospitaliers sollicités pour soigner les détenus.

En effet, depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge sanitaire des détenus est du ressort du ministère de la Santé, et non plus des personnels sanitaires recrutés par l'administration pénitentiaire. Concrètement, chaque établissement pénitentiaire a signé une convention avec un centre hospitalier pour exercer cette mission. En 2001, 227 conventions ont été passées avec des établissements hospitaliers publics.

Quels sont les chiffres ? Il n'existe pas de statistiques précises des agressions subies par les professionnels de santé au titre et dans le cadre de leur exercice professionnel. D'une part parce que la sous-déclaration est majeure et d'autre part peu sont rendues publiques par le ministère de l'Intérieur (à quoi sert le service d'information et de relations publiques ?). Un rapport de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales, ministère de l'Emploi) sur « les violences subies au travail par les professionnels de santé » présentait des chiffres pour le premier semestre 2001. 168 « atteintes aux personnes » étaient recensées contre des médecins et des soignants exerçant à l'hôpital ou en clinique. Chiffres qui ne concernent ni Paris ni les zones gendarmerie... Du côté des services de la médecine du travail, l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) recensait lors d'une enquête en 1996 sur l'ensemble de la population active 7 575 accidents du travail dus aux « rixes et attentats ».

Impact médiatique.

Reste le travail statistiques de certains établissements : en 1998, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a recensé dans 27 de ses 51 établissements, 2 000 vols, 333 atteintes aux biens et 109 actes de violence dont trois vols à main armée, cinq vols avec violence, quinze affaires de coups et blessures, cinq de moeurs et 81 faits de violence légère. 45 % de ces agressions ont touché le personnel non médical. M. Hamon, le conseiller en sécurité de l'AP-HP, chargé de coordonner l'action des chefs de sécurité sur 32 sites précise que pour 2001 « 133 cas d'agression contre les personnels soignants avaient été enregistrés ». Faute d'études statistiques signifiantes, la perception du risque de violence peut être maximisée par l'impact médiatique donné aux incidents parfois dramatiques.

Pour les établissements désireux d'analyser les formes de violence, Philippe Jean, directeur adjoint du CH de Pau, conseille « une typologie des actes de violence en fonction des lieux ». Violences lors d'interventions extra-hospitalières : pour les Smur ? Les personnels des secteurs psychiatriques en VAD ? Violences dans l'établissement : aux urgences ? Dans les services de soins ? Les services d'accueil ?

Après les querelles de chiffres, les querelles d'interprétations des phénomènes par les sociologues... Différentes théories sont avancées pour interpréter l'évolution de la violence dans la société. Les unes mettent l'accent sur le contexte socio-économique : la violence résulterait de la dégradation du marché du travail, du chômage, des inégalités sociales. Une double objection est opposée à cette explication : la montée de la délinquance précède la crise des années 70, et les personnes qui commettent des actes violents ne sont pas toujours les plus démunies.

D'autres soulignent le déclin des conflits sociaux intégrateurs. Selon Sébastian Roché, chercheur au Centre de recherche sur la politique, l'administration et le territoire (Cerat/CNRS), « l'augmentation de la violence que l'on connaît depuis l'après-guerre n'est pas imputable à une catégorie particulière d'individus, mais à la généralisation des comportements agressifs dans les différentes couches de la population ».

Seule porte ouverte.

Qu'en pensent les soignants ? « L'hôpital est souvent la seule porte qui reste ouverte 24 heures sur 24. Il constitue un point de chute pour une population qui se paupérise », remarque Martine Chauvin, cadre de santé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, qui présentait avec Antoinette Castiglione, cadre supérieur, les travaux réalisés dans leurs services d'urgence. Elles relèvent plusieurs causes : l'hôpital est le seul lieu ouvert. Il est l'ultime recours dans la société. Les urgences offrent de plus en plus de services. Le mot « urgences » fait imaginer au patient qu'on va le soigner dans la minute. Enfin, certains dysfonctionnements sont propres au milieu hospitalier : mauvaise organisation de l'espace, manque de personnel...

Quelles réponses ? Trop souvent, l'élaboration d'une réponse intervient après un cas grave... Et il faut une mobilisation forte du personnel pour que la réalité de sa situation soit prise en compte. Au niveau national, la prévention de la violence est devenue un chantier prioritaire depuis le protocole d'accord signé le 14 mars 2000 entre le gouvernement et les six organisations syndicales. Une enveloppe de plus de 15 millions d'euros a été débloquée pour financer les projets locaux de prévention, et des groupes de travail ont été mis en place. Cependant, outre l'effet « saupoudrage » de crédits, ces plans ont été perturbés par la mise en place de la RTT et le problème de pénurie. Ceci dit, des établissements ont réalisé des actions concrètes, avant même le protocole Aubry.

À l'AP-HP, un plan existe depuis dix ans. 32 sites ont leur chef de sécurité, souvent un ancien policier ou gendarme, qui propose au directeur des solutions en fonction de son budget, coordonne la prestation de la société de gardiennage, assiste le personnel dans ses démarches au commissariat. « Chaque hôpital de l'AP-HP organise la prévention en fonction de ses choix, hélas la sécurité peut être choisie au détriment d'un autre chapitre budgétaire », note M. Hamon.

Certains établissements choisissent d'installer un système de vidéosurveillance. À Saint-Brieuc, le centre hospitalier a récemment pris cette décision après l'agression de deux soignants en juillet dernier. Le personnel pourra aussi recevoir un soutien psychologique.

Formation.

À l'AP-HM, la direction, l'encadrement et les personnels ont élaboré des mesures concrètes, notamment en partenariat avec la police. Tout d'abord en recentrant les services d'urgence sur leur mission. « Exemple, pour l'ivresse publique, un compromis a été trouvé avec les commissariats, à eux de s'en charger. Pour la bobologie, on oriente vers le réseau ville-hôpital », explique Antoinette Castiglione. Des médiateurs, sélectionnés avec soin, veillent au climat de la salle d'attente de 10 heures à 23 heures : « Ils désamorcent les situations. »

Une vidéo a été installée pour informer le patient sur le fonctionnement du service, le cheminement des examens. La signalétique a été renforcée et adaptée. En outre, les structures du service d'urgences ont été réaménagées. Des occulus ont été posés sur les portes des box. Enfin, la protection physique a été organisée. « Des maîtres-chiens sont à notre disposition à l'extérieur de la salle d'attente, et une procédure d'appel très précise auprès du commissariat a été mise en place (Ramses). Des conduites à tenir ont été conçues pour les soignants : désamorcer les situations de crise, l'appel de renfort... Des documents sur les procédures de déclaration d'accident ont été créés pour tous les personnels. Un psychologue est aussi à disposition. »

Un règlement intérieur sur les droits et obligations des usagers est présenté aux patients. « Et surtout, une formation sur la gestion de l'agressivité de quatre jours a été dispensée aux soignants. 145 personnes y sont passées, et elles ont toutes appris quelque chose ! Cela a modifié l'attitude de chacun, son écoute, son langage... Et maintenant l'équipe est solidaire. Dès qu'une situation prend une mauvaise tournure, cet instinct de groupe ressort, toute l'équipe se porte au-devant. »

Évidemment, le taux zéro n'existe pas. Il y a deux semaines, cinq personnes ont été blessées au cours d'une bagarre aux urgences. Mais la violence n'est plus subie comme avant.

TÉMOIGNAGE

« Au départ, le policier était persona non grata »

Didier Mazoyer est commissaire principal à Évry. En février 2001, il a signé avec un représentant du parquet d'Évry, de l'administration pénitentiaire et la direction du centre hospitalier sud-francilien (l'hôpital Louise-Michel d'Évry) un protocole.

« Ce document a permis aux différents acteurs d'aborder la prévention et le traitement de la violence à l'hôpital, explique-t-il. Il est important que les choses soient formalisées, d'établir des procédures. Pour cela, tous les acteurs doivent se mettre autour d'une table et apprendre à connaître les contraintes et les problèmes de chacun. »

Il précise qu'un simple courrier envoyé aux services de police suite à un cas d'agression est souvent inutile. « Pour qu'il y ait une bonne coopération, il faut savoir à qui s'adresser, impliquer toutes les personnes à tous les degrés de la hiérarchie. Que ce ne soit pas seulement un échange entre le commissaire principal et le directeur d'un établissement. Mais que le personnel des urgences, ou au moins une personne référente d'un service, connaisse l'officier de secteur susceptible d'intervenir. Nous organisons des réunions avec les personnes référentes tous les mois, ce qui permet d'adapter nos interventions, nos méthodes de travail. Ces liens facilitent aussi les démarches lorsqu'un soignant doit venir déposer plainte au commissariat. »

Le commissaire est favorable à une banalisation de la présence policière dans les établissements, « évidemment en fonction de la situation propre des établissements », et notamment « dans les parties communes des hôpitaux, comme la cafétéria, où des bandes peuvent stagner, faire leur petit trafic ». Le parallèle est fait avec l'école.

« Au départ, le policier était persona non grata. Maintenant, ça ne choque plus personne. Et puis, il faut comprendre que c'est très souvent suite à une mobilisation du personnel hospitalier qu'on est venu nous chercher. » Pour avancer, la meilleure méthode, c'est de bousculer les structures. Le commissaire relate les efforts de ses prédécesseurs pour parvenir à un accord. Malheureusement, le système de santé a une multiplicité d'intervenants...

Numéro d'aide

Il existe un numéro national d'aide aux victimes (08 10 09 86 09). L'anonymat de l'appelant est préservé. Il ne sera levé que si la victime souhaite être contactée directement par un service d'aide aux victimes.

Le numéro national d'aide aux victimes informe systématiquement les victimes des coordonnées des associations du réseau Inavem (Institut national d'aide aux victimes et de médiation). En 2002, près de 150 associations sont membres de l'Inavem. Elles sont présentes sur l'ensemble du territoire et leurs services sont gratuits.