L'accréditation, au mépris des conditions de travail ? - L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003

 

Enquête

L'accréditation, obtenue à ce jour par près de 250 établissements, certifie la bonne qualité des soins - Les conditions de travail des soignants ne sont pas un facteur déterminant pour son obtention - Pourtant, elles affectent sensiblement la qualité de leur travail.

« Pourtant, nous avons eu l'occasion d'inscrire de façon forte la santé et la sécurité au travail dans la démarche d'accréditation réalisée à l'AP-HP, lance le Pr Jean-François Caillard, coordonnateur de son service central de médecine du travail, à la 5e Conférence mondiale sur la santé au travail des soignants(1). Il reste à savoir quelle place accordent à ces critères les accréditeurs ! »

Selon l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), l'accréditation vise à « assurer la qualité des soins donnés au malade et promouvoir une politique de développement continu de la qualité au sein de l'établissement »(2). Mais la prise en compte du lien entre cette qualité et les conditions de travail dépend des référentiels d'accréditation, des incitations explicites du ministère de la Santé, et d'une formation suffisante des accréditeurs dans ce domaine. Aujourd'hui, près de 250 établissements de santé publics, privés (lucratifs et non lucratifs) ont été accrédités.

Manuel d'accréditation.

Près de 3 000 doivent encore l'être. Le manuel d'accréditation(3) reste le principal document permettant d'apprécier la place faite aux conditions de travail. « Il existe peu de référentiels à ce propos dans le manuel d'accréditation, constate Daniel Saurel, chargé de mission Prévention des risques professionnels au service central de médecine du travail de l'AP-HP. L'Anaes ne promeut la santé au travail qu'à travers trois référentiels. » Un référentiel est présenté dans la section « Management et gestion au service du patient ». « Le chapitre "Gestion des ressources humaines" souligne l'importance du "projet social" de l'établissement, note le Pr Caillard. Le référentiel n° 10 souligne que l'amélioration des conditions de travail des personnels doit s'inscrire dans ce projet social. » Le manuel ne donne pas d'indication sur les façons de mener une politique d'amélioration des conditions de travail. « Dans la section Qualité et prévention, un deuxième référentiel porte sur la gestion globale des risques », poursuit Daniel Saurel. Ce référentiel inclut les accidents de travail, les chutes et tous les risques liés au processus de soins. « Le troisième référentiel porte sur la surveillance, la prévention et la maîtrise des risques infectieux, ajoute-t-il, et implique la participation de la médecine du travail. »

Mon établissement respecte-t-il la loi ?

Un hôpital souhaitant s'engager dans une procédure d'accréditation réalise d'abord une autoévaluation de sa démarche de qualité et de sécurité. S'il appartient à un gros groupe hospitalier, cet hôpital peut soumettre sa candidature à une structure interne. « À l'AP-HP, c'est le Comité permanent de suivi de l'accréditation ou Copsa », précise Daniel Saurel.

Lorsque cette autoévaluation est réalisée, les experts-visiteurs, sélectionnés parmi des professionnels en activité et formés à l'Anaes, viennent visiter l'établissement. À partir du manuel, ils peuvent comparer leur évaluation à l'autoévaluation de l'établissement. La visite terminée, les experts-visiteurs en rendent compte au Collège de l'accréditation, qui réalise un rapport public. Il comprend trois parties : présentation de l'établissement, analyse de sa « démarche qualité » par secteurs, et jugement général avec ou sans recommandations et réserves. Un guide, qui synthétise les lois et les règlements s'imposant aux établissements de santé en matière de risques professionnels, a été élaboré par le service central de médecine du travail de l'AP-HP. « La logique de l'Anaes et de l'actuelle accréditation reste la mise en conformité des établissements de santé avec ces lois et règlements », observe le Pr Caillard. Sous la direction de ce dernier, huit grilles de conformité réglementaire ont été élaborées pour les risques professionnels (encadré ci-dessous). « Elles concernent la manutention des charges et les gestes répétitifs, note Daniel Saurel, les substances et préparations dangereuses, la protection du personnel contre le risque biologique et les rayonnements ionisants, la prévention des risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante. » Les hôpitaux de l'AP-HP préparant l'accréditation doivent utiliser ces grilles : « Mais nous ignorons dans quelle mesure ces repères législatifs sont connus des accréditeurs », ajoute le Pr Caillard.

Décret persuasif.

La santé au travail aura d'autant moins de chances d'être promue que les textes du Code du travail la concernant seront ignorés. Plus persuasif, un récent décret fait obligation aux employeurs de transcrire les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des agents dans un « document unique »(4). Des facteurs importants de la qualité des soins restent toutefois oubliés de l'accréditation. Il s'agit des situations ayant trait à la complexité cognitive et à la flexibilité du travail, aux horaires et à la vigilance, au stress et à la souffrance psychique des soignants (cf. encadré p. 35). Ils affectent pourtant ses principaux objectifs : l'information du patient, l'organisation de sa prise en charge, la prise en compte de la douleur, l'accompagnement en fin de vie, la prévention des risques d'erreur et de violence involontaire.

Ainsi, les conditions de travail sont abordées de façon succincte et imprécise. Leur traitement, certes maigre, varie tout de même selon les rapports d'accréditation. Les accréditeurs de l'hôpital Lenval de Nice notent que le CHSCT « y remplit efficacement ses missions ». Au centre hospitalier de Charleville-Mézières, ils constatent l'absence de projet social. À l'hôpital de Béziers, ils observent l'éclosion de multiples groupes de travail et de pilotage, qui « favorisent le dialogue social ». Mais ils regrettent l'absence d'« évaluation de la satisfaction du personnel quant à la politique d'amélioration des conditions de travail ». Les accréditeurs de la clinique Clémentville, à Montpellier, font la même remarque.

Les bilans de l'Anaes relatent parfois des insuffisances préoccupantes. Ainsi, la clinique Chantecler, à Marseille, ne procède même pas au recensement des accidents de travail. Il n'existe pas de « plan d'amélioration des conditions de travail » à l'hôpital et l'Ifsi Croix-Rouge de Bois-Guillaume. Le « manque de dialogue institutionnel », à l'hôpital de Vittel, nécessite une « réactivation des instances ». Formulé sous forme de recommandation, il faudrait « développer et évaluer le plan d'amélioration des conditions de travail en lien avec le CHSCT, et évaluer sa mise en oeuvre ».

Les conditions de travail peuvent être étudiées grâce aux outils développés par plusieurs disciplines : ergonomie, épidémiologie, psychodynamique du travail, etc. On fait pourtant de curieuses découvertes au CHU de Montpellier : « Les conditions de travail sont évaluées lors de l'entretien annuel préparatoire à la notation. » Il est surprenant de négliger ces outils et d'évoquer les conditions de travail lors du face-à-face avec son cadre, lorsqu'il accorde la note déterminant la prime de fin d'année et les possibilités d'avancement. Au bout du compte, les « données issues des entretiens d'évaluation ne sont pas formalisées et exploitées », et l'évaluation de l'efficacité des actions menées « n'est pas effectuée, du fait de l'absence d'outils de mesure ». Heureusement, « un programme de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail est proposé au CHSCT ». En outre, un plan annuel des travaux d'entretien, d'aménagement des locaux, d'équipement en matériel et mobilier « participe aux projets d'amélioration des conditions de travail » du CHU de Montpellier.

Vision incomplète.

« On ne peut pas promouvoir la qualité des soins sans la qualité des conditions dans lesquelles ils sont prodigués, rappelle le Pr Jean-François Caillard. Cela nécessite une politique de santé et de sécurité au travail. Mais les accréditeurs ont d'elle une vision rarement complète. Lorsqu'ils s'y intéressent, ils privilégient un thème et d'autres risques peuvent être délaissés. » Le service du Pr Caillard a tenté d'élargir l'éventail des thèmes à aborder au cours de la démarche d'accréditation à l'AP-HP. L'intérêt que mérite cet effort aurait dû apparaître dans les appréciations du Collège d'accréditation sur les huit hôpitaux de l'AP-HP accrédités. « Aucune réserve ou recommandation ne porte sur la santé au travail, reconnaît Daniel Saurel. Tout au plus trouve-t-on des recommandations sur la gestion globale du risque et les accidents exposant au sang. » L'accréditation pourrait tenir compte davantage des situations réelles dans lesquelles sont réalisés les soins aux patients.

1- La Prévention des risques professionnels dans la démarche d'accréditation dans un groupe hospitalier - place de la santé au travail. D. Saurel, J.-F. Géhanno, J.-F. Caillard, A. Fourcade. 2002. 2- L'Accréditation en dix questions, 1997, ministère du Travail et des Affaires sociales. 3- Manuel d'accréditation, février 1999, Anaes, Direction de l'accréditation. 4- Décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001.

AP-HP

Santé au travail et accréditation

La place faite aux conditions de travail et aux risques professionnels s'appuie sur trois outils dans la démarche d'accréditation des hôpitaux de l'AP-HP :

- un document national commun à tous les hôpitaux : le manuel d'accréditation de l'Anaes ;

- l'indicateur de suivi d'orientations stratégiques de l'institution concernant le recensement et la prévention des accidents du travail ;

- le guide de l'AP-HP du niveau de conformité réglementaire en matière de sécurité sanitaire, qui comprend huit grilles : structures de prise en charge de la prévention des risques ; manutention manuelle des charges et gestes répétitifs ; substances et préparations dangereuses ; substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction ; prévention des risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante ; protection du personnel contre les risques biologiques ; protection du personnel contre les rayonnements ionisants ; aménagements des lieux de travail.

Facteurs de qualité des soins oubliés

- Complexité cognitive et flexibilité du travail : maîtrise des protocoles et des matériels utilisés dans une spécialité ; stabilité ou non des postes et mobilité des soignants ; politique de tutorat de l'équipe ; organisation de l'équipe comme collectif de travail : sectorisation, binômes infirmières/aides-soignantes, transmissions, réunions d'équipes... ; informations nécessaires aux réponses et informations à donner au malade ; évaluation de l'erreur humaine et des tâches critiques ; risques d'erreur liés aux coactivités, à la mobilité des soignants, à l'ergonomie insuffisante des matériels en termes de commandes et de prise d'information...

- Horaires et vigilance : horaires et rythme biologiques ; sommeil, troubles du caractère et de la mémoire ; horaires atypiques, vigilance et qualité des soins ; travail de nuit et accidents ; risques d'erreur liés à la baisse de vigilance en cas de travail de nuit et d'astreintes non compensées...

- Stress et souffrance psychique des soignants : évaluation des facteurs de stress et prévention de la souffrance psychique des soignants confrontés à la maladie grave et à l'accompagnement de la personne en fin de vie ; espaces et temps de concertation favorables à la relation d'aide entre soignants et soignés ; réunions d'équipes, groupes de paroles et prévention de la souffrance psychique, source de mauvais accompagnement du malade ; analyse des scénarios de relations entre soignant et soigné ; prévention de la violence, des menaces et de la brutalité par une réflexion d'équipe...