Les violences conjugales - L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003

 

Dossier

- La violence conjugale concerne une femme sur dix - Culpabilisée, la victime de ces traumatismes physiques et psychologiques se mure, trop souvent, dans le silence - Une plus grande sensibilisation des professionnels de santé s'impose pour dépister ces sévices.

Une femme sur dix a été victime de violences conjugales : physiques, sexuelles et/ou psychologiques. Tel est le résultat de la première grande enquête(1) réalisée de mars à juillet 2000 et rendue publique en décembre 2001. 50 à 60 % des couples seraient à un moment ou un autre concernés par ce problème. Or, la formation médicale en matière de violences conjugales est quasi inexistante, que ce soit dans les facultés ou dans les instituts de formation aux professions paramédicales, comme ont pu le déplorer les intervenants au premier colloque tenu sur ce thème en février 2001(2). Présentes dans la plupart des sociétés, les violences à l'encontre des femmes restent donc largement méconnues, malgré leur ampleur, et demeurent, encore aujourd'hui, les exactions les plus cachées, même par les femmes qui les ont subies.

TOUS LES MILIEUX

Longtemps reléguée à la sphère judiciaire, la violence s'impose de plus en plus comme un problème de santé publique. Le fait qu'elle s'exerce au sein de la sphère familiale ne doit pas en faire une affaire privée, comme on a encore trop tendance à la considérer. C'est un problème humain, social et politique, qui interpelle l'ensemble des professionnels de santé, premier recours par leur proximité et leur accessibilité.

La violence apparaît souvent dans des moments difficiles de la vie de couple : divorce, séparation, chômage, problèmes financiers... ou après une naissance (4 % des femmes). Elle touche les femmes de tous les milieux, de toutes les cultures, de tous les âges. C'est un processus au cours duquel un membre du couple, l'homme dans la plupart des cas, manifeste à l'encontre de son partenaire des comportements destructeurs, agressifs et violents et ce, de manière répétée. Son expression peut aller de l'humiliation à une extrême brutalité physique. « Ce qui caractérise la violence conjugale, tient dans son aspect rituel et caché, précise Frédérique Lenoble(3), auteur d'un mémoire de DE d'assistante sociale sur ce thème. La violence se répète et se prolonge dans le temps, se soustrait au regard de l'entourage et reste souvent, pour les intéressés, un "domaine interne et tabou", ce qui contribue au maintien de puissants liens psychologiques entre les protagonistes. »

Le cycle de la violence s'exprime généralement en quatre phases. Lors de la première phase, l'homme s'énerve et la femme prend peur. « C'est la phase préalable au déroulement de la violence, la mise en scène des rapports de domination », souligne Frédérique Lenoble. L'homme accumule des griefs contre sa femme, manifeste des tensions à son égard, s'énerve pour un rien. Les prétextes concernent aussi bien le comportement de la femme, les enfants, les finances du couple : « Elle ne range pas les affaires comme il faut » (sous-entendu comme l'homme le souhaite), elle rentre en retard du travail (elle a peut-être un amant), elle montre du plaisir à être en compagnie d'autres personnes que lui...

« Très rapidement, témoigne une femme, il m'a dit : "Moi, je n'ai pas vécu ta vie, je n'ai pas été gâté, je ne peux pas accepter que tu sois comme ça, donc il va falloir que tu sois comme je veux." Par exemple, il ne comprenait pas que je ne mange pas le gras du jambon. Il me disait : "Puisque tu n'as pas mangé tout ton jambon, tu n'auras pas à boire", mais là, il ne me battait pas. Je n'avais pas non plus le droit de rire, car lui ne riait jamais. Il m'a mise dans des systèmes comme ça. Moi, je me disais : il a raison, je fais des caprices, je suis insupportable, je dois manger de tout. Il fallait toujours que je fasse comme il voulait. C'était intolérable, mais je ne me révoltais pas trop. »

Puis le cycle se répète à tel point que la femme intériorise ce que l'autre lui fait percevoir comme de l'incompétence ou une inadaptation. Le transfert est achevé : désormais, elle semble responsable de la tension créée. La femme, qui perçoit la menace d'agression, s'ajuste alors aux besoins du conjoint, essaie de prévenir ses désirs afin d'éviter les violences. Peu à peu, elle prend peur et se replie sur elle-même. « Cette attitude légitime d'autant l'homme dans la suite de l'agression », note Frédérique Lenoble.

Dans un deuxième temps, l'homme agresse, tandis que la femme éprouve de la colère ou de la tristesse. Les femmes ont parfois du mal à nommer le premier passage à l'acte de leur conjoint. Certaines minimisent les faits. D'autres manifestent leur colère ou leur tristesse, mais excusent l'homme.

Pourtant, le premier coup donné est capital dans le cycle de la violence : il signifie que l'homme s'autorise à dominer la femme par la force. L'absence de réaction ou une moindre réaction de sa compagne le conforte dans cet état de fait. Et c'est l'engrenage, avec souvent une progression dans l'expression de la violence. La rupture, la fuite de la femme n'en sont que plus difficiles. « Si quelques femmes rompent à la première violence identifiée comme telle, la plupart attendent et reportent leur départ. Les femmes que j'ai rencontrées ont toutes attendu de plusieurs mois à plusieurs années avant de rompre », affirme Frédérique Lenoble.

Dans un troisième temps, l'homme tente de se justifier, ce qui souvent entraîne la responsabilisation de la femme. « Il me frappait, je tombais par terre, je ne pouvais rien faire. Après, il se mettait à pleurer... Les autres fois, je lui pardonnais, mais la dernière fois, non », témoigne une femme battue anonyme.

IMAGINAIRE SOCIAL MACHISTE

Après l'agression, l'homme invalide son comportement, invoque la perte de contrôle, le stress... Il minimise la gravité de l'agression, regrette, promet de ne plus recommencer, se trouve des excuses. Devant toutes ces manifestations de fragilité et de regrets, la femme en oublie sa propre colère. Pas facile d'échapper à des siècles de patriarcat et aux discours entendus depuis l'enfance. « On m'a toujours dit : quand une femme est battue, c'est qu'elle le veut bien. Alors, quand ça m'est arrivé, j'ai pensé que j'avais dû faire une connerie, que j'étais responsable. » Pour un dominant, toute velléité d'une femme de s'affirmer, d'exprimer son opinion, est symboliquement ressentie comme une atteinte à sa virilité. L'appris masculin est ainsi : il amalgame virilité et pouvoir. Et l'appris féminin ? Toutes les femmes ne sont pas des mères, mais toutes veulent aider les hommes. Individuellement ou collectivement. Certaines évoquent même l'amour ou la charité. Cette représentation sociale de la femme généreuse « qui soutient », « qui assure », qui est « plus solide », est fortement ancrée dans l'imaginaire social. Autant de représentations et de pratiques qui constituent une contrainte mentale permanente pour les femmes, et déresponsabilisent les hommes.

L'INTOLÉRABLE

« Que ce soit dans le discours des hommes violents ou des femmes violentées, l'invocation de la responsabilité de la femme est constante », ajoute Frédérique Lenoble. Pour certains, c'est grâce à leur femme qu'ils sont heureux ou à cause d'elles qu'ils sont malheureux. Pour d'autres, qui ne peuvent se projeter que comme dominants, la femme provoque la violence, consciemment ou non. Femme-mère-servante pour les uns, femme provocatrice pour les autres, « femme responsable » et « homme irresponsable » pour tous (dominants) ! Et plus le cycle se répète, plus la femme se perçoit comme responsable. « Ce phénomène est à l'origine de nombre d'idées stéréotypées sur les femmes battues, notamment celles qui laissent entendre "qu'elles aiment ça" », souligne Frédérique Lenoble.

En dernier lieu, l'homme éprouve des regrets, raison pour laquelle la femme espère une amélioration future et apaisée des relations conjugales. « Et puis, il m'a promis monts et merveilles, qu'il ne recommencerait plus. J'ai pardonné encore cette fois ci. Il pouvait me taper, être violent, j'arrivais à pardonner et puis je revenais. » Réconciliations, regrets, cadeaux, tous les moyens sont bons pour que la femme pardonne.

Mais en pratique, les périodes de rémission sont de plus en plus courtes. Les violences s'intensifient. Jusqu'à l'intolérable. « La notion d'intolérable est différente pour chacune des femmes. Pour certaines, c'est le fait d'avoir frôlé la mort, pour d'autres, c'est lorsque la violence atteint les enfants, remarque Frédérique Lenoble. Ce seuil varie, mais lorsqu'il est franchi, il fait déclic. Même si la séparation physique n'est pas immédiate. Les femmes sont prises dans un processus de victimisation où se mêlent honte, culpabilité et isolement, qui empêche ou retarde la révélation de leur situation. La prise de conscience de l'intolérable, et la décision de rupture sont nettement dissociées de l'acte posé de séparation qui ne se fera qu'après une démarche de maturation. »

Daniel Weltzer Lang(4) parle, quant à lui, « d'espace de rupture qui pour la plupart des femmes est rempli d'hésitations, d'avances, de fuites, de peur, de solitude, d'appels à l'aide, de demandes urgentes d'assistance. » C'est dans cet espace que le « repérage » par les professionnels de santé peut intervenir.

Monique décrit ainsi ce moment de sa vie : « Ça a été un peu dur parce que je perdais l'homme que j'aimais ; il était violent mais je l'aimais encore. Il fallait que j'apprenne à vivre librement, mais la liberté, je ne savais pas ce que c'était. J'étais comme un prisonnier qui sort de sa prison, je me disais que je ne m'en sortirais jamais. Et puis, je perdais mon statut social, je perdais tout cet environnement, je n'existais plus, je n'étais plus rien, plus que moi. »

Le poids de la honte, de la culpabilité, la peur de parler, la perte de confiance en elle, le manque d'argent... sont autant de barrières qui empêchent une femme violentée de quitter un conjoint violent. Si le dépistage reste facile, dès lors que les lésions sont visibles et que la femme consulte, il est beaucoup plus difficile devant des troubles dus à une somatisation (douleurs pelviennes, troubles digestifs, abdominaux, lombalgies chroniques...) ou devant une souffrance psychique, voire une addiction.

D'après une étude canadienne, seulement 25 % des femmes parleraient spontanément à leur médecin des violences qu'elles subissent. D'où la recommandation du dépistage systématique formulée par les auteurs américains et canadiens, et très peu pratiquée par les médecins français. Ce dépistage suppose de poser quelques questions simples dont certaines figurent sur le site de l'Institut humanitaire(5) : « Vous entendez-vous bien avec votre mari ? », « Vous disputez-vous avec lui ? », « Qu'est-ce qui vous rend triste ? » Ou encore des questions plus distanciées en rapport avec le climat actuel de violence : « De nombreuses patientes nous disent avoir été maltraitées par un de leurs proches. Cela vous est-il déjà arrivé ? »

Ces problèmes sont parfois portés à la connaissance des professionnels de santé de façon masquée ou banalisée : la femme demande un conseil pour une amie. Dans d'autres cas, c'est le comportement de l'homme et/ou de la femme qui peut alerter. La patiente est tantôt craintive et apathique, tantôt irritée et agressive, sursaute au moindre bruit... L'homme se montre par trop prévenant, répond à la place de sa femme, contrôle ses réponses par des regards et des mimiques intimidants... Un « enfant symptôme » est quelquefois mis en avant pour exprimer un problème du couple parental.

Quoiqu'il en soit, il convient d'évaluer la gravité et le risque encouru par la femme. Si celle-ci refuse d'en parler, on peut lui communiquer une liste d'adresses et de téléphones utiles, et lui dire qu'elle pourra toujours revenir en parler ultérieurement. Si le risque est élevé (menaces de mort, blessures avec armes...), ou s'il existe des facteurs de vulnérabilité (grossesse), une hospitalisation en urgence s'avère utile. L'infirmière peut également conseiller à la femme de porter plainte et l'orienter vers des structures compétentes telles les associations d'aide aux victimes ou encore les assistantes sociales. Elle peut aussi l'orienter vers un service médico-judiciaire qui lui délivrera les certificats ad hoc, et guidera la patiente au mieux de ses intérêts. Mais attention, dire à une femme « Quittez votre conjoint ! » quand psychologiquement, matériellement, affectivement, socialement, sa fuite ou son départ semble impossible ne peut qu'aboutir à une nouvelle culpabilisation de la victime.

CONSÉQUENCES DE LA VIOLENCE

La violence conjugale a des effets destructeurs, dans l'immédiat et à long terme, sur tous les membres de la famille, et chacun en subit les conséquences tant sur les plans physique et émotionnel que social.

Quelle que soit la forme qu'elle revêt, le recours à la violence est un moyen pour contrôler et soumettre la femme. Dans une étude(6) menée en Suisse auprès de 1 500 femmes, on a relevé les actes suivants : intimidations incessantes, bousculades, gifles, coups de pied, coups de poing, morsures, strangulations, viol. Mais la violence conjugale ne s'arrête pas là. Les femmes sont aussi victimes de violences psychologiques (vexations, remarques désobligeantes qui maintiennent la femme dans un climat d'angoisse et de déséquilibre psychologique pouvant conduire à la dépression et au suicide), violences verbales (cris, insultes pour intimider et maintenir la femme dans un état de peur et d'insécurité), violence économique (réclusion, interdiction de travailler, privations financières...), violences sexuelles (violence rituelle pré-sexuelle, violences physiques pendant l'acte, rapports douloureux ou humiliants, sévices localisés sur le sexe, les seins ou l'anus, viol conjugal). Certains couples décrivent aussi une sexualité avec des scènes violentes, des moments d'animalité, des jeux pouvant être assimilés à des actes violents, mais avec des désirs et une acceptation réciproques. Cette forme de sexualité devient peu à peu l'ordinaire du couple, le ciment qui le soude. « Espace de pardon de la violence masculine », comme l'expriment certains « psy », ou lieu d'expression pernicieuse de la violence masculine domestique ? En pratique, toutes ces formes de violence ont tendance à se combiner, et il est bien rare de n'en rencontrer qu'une à la fois dans un couple où règne la brutalité.

LE VIOL ENTRE ÉPOUX

Longtemps occultées, les violences sexuelles intra-conjugales concernent près des deux tiers des victimes de violences conjugales. Dans une enquête menée au Québec et concernant 264 femmes hébergées dans des maisons pour femmes battues, les trois quarts des femmes témoignaient du désir de leur conjoint d'avoir des rapports sexuels après les avoir battues ou injuriées. Et si elles acceptaient pour la plupart, c'était « pour avoir la paix » ou « pouvoir dormir ». Ou pour survivre : dans plus de la moitié des dossiers d'instructions, la mort suit un refus d'acte sexuel que le mari voulait imposer à sa femme.

Ce « droit marital » est tellement ancré dans l'esprit de ces hommes qu'ils l'invoquent devant les juges pour légitimer leur acte, comme si le juge ne pouvait qu'être d'accord avec eux. Service sexuel imposé, en « fermant les yeux » : « Plus vite il a fini, mieux je me porte ! »... Ou de force ! Dans tous les cas, la femme subit ! Reste que ces viols sont très difficiles à dépister, d'autant que les plaintes ou les motifs de consultation peuvent être sans rapport avec le viol. Un faisceau d'arguments peut toutefois orienter les professionnels :

- troubles somatiques chroniques : céphalées, insomnies, douleurs digestives... ;

- troubles psychologiques : dépression, anxiété, abus d'alcool et/ou de psychotropes, sentiment de dévalorisation, tentatives de suicide... ;

- troubles gynécologiques : métrorragies, douleurs pelviennes, dyspareunie, frigidité...

Le retentissement de ces viols, parfois répétés, est souvent plus important qu'on ne pourrait l'imaginer. Les femmes qui les subissent ne savent pas comment y mettre un terme bien souvent. Elles se trouvent dans une situation de grande détresse psychologique et éprouvent souvent de la culpabilité. Les professionnels de santé peuvent être amenés à jouer un rôle clef en soutenant la victime . Ils peuvent lui dire que personne, pas même un mari, ne peut exiger des relations sexuelles contre sa volonté et lui expliquer les recours possibles. Ils doivent surtout faire preuve d'empathie et de délicatesse afin de permettre à la victime d'aller au bout de son récit. Sans jamais mettre en doute ses propos. Car plus que la honte de ce qu'elle subit, c'est souvent la peur de ne pas être crue qui est à l'origine des silences et parfois des rétractions.

Il n'est bien sûr pas possible de proposer dans ce dossier un « entretien type » pour victimes de viol en général ou de viol conjugal en particulier. Mais certains mots et attitudes doivent être évités(7) comme dire « se faire violer » au lieu « d'être violée », mettre en doute ou corriger la parole de la victime, conseiller l'oubli, chercher à dédramatiser ou à banaliser. Le professionnel de santé n'a pas à démêler le vrai du faux. Son rôle est d'écouter, de soigner et de rappeler la loi.

ENFANTS VICTIMES

Lors des scènes de violences conjugales, 75 % des enfants sont témoins et 10,8 % victimes(8). La violence envers la mère entraîne chez l'enfant des troubles psychologiques et somatiques parfois importants, et produit les mêmes effets sur lui que s'il en était victime. Lors des scènes de violence, les enfants adoptent des attitudes variables : la fuite, l'observation silencieuse ou l'intervention, au risque de prendre des coups. Dans tous les cas, ils en subissent les effets négatifs : ils développent un sentiment de culpabilité ou de l'angoisse, car se représenter un événement violent peut être aussi traumatisant que d'y assister. Comme sa mère, l'enfant peut souffrir de lésions traumatiques - en recevant un coup qui ne lui était pas destiné ou en raison de violences intentionnelles - ou de troubles psychologiques : troubles du sommeil, difficultés scolaires, perte d'appétit, anxiété, angoisse, état dépressif, troubles du comportement, fugues, voire suicide... De plus, il risque de reproduire à l'école ou plus tard à l'âge adulte, dans sa relation de couple, la violence qu'il a subie.

Le risque existe également qu'à long terme certains développent un haut niveau de tolérance à la violence et acceptent ces comportements comme moyens normaux d'expression et de résolution des conflits. D'autres vont se replier sur eux-mêmes, sur leur sentiment d'impuissance, intérioriser leur expérience, et avoir tendance à déprimer. En outre, les agressions subies de manière répétée par la mère font courir à l'enfant un risque de négligence. En effet, la mère peut devenir dépressive ou être tellement préoccupée par sa propre sécurité qu'elle devient incapable de répondre aux besoins de ses enfants.

Enfin, il n'est pas rare que l'enfant à naître soit également touché par la violence : les coups reçus par la femme enceinte peuvent ainsi entraîner des avortements spontanés, des ruptures de membranes prématurées, des décollements placentaires avec hémorragie et mort foetale in utero ou encore des retards de croissance in utero.

On peut diriger la victime vers un médecin ou un service médico-judiciaire qui, selon les cas, établira un certificat médical avec description clinique tenant compte des lésions somatiques, du traumatisme psychique et des MST, ainsi que l'évaluation de l'incapacité totale de travail (ITT), et ce, même en l'absence d'activité salariée. Ce certificat initial est primordial pour préserver les droits de la victime. Il permettra d'aider à la détermination des préjudices éventuels en cas de plainte. On conseille à la victime de déposer plainte ou de faire une déclaration (main courante) au commissariat de police ou à la gendarmerie. On recueille alors les témoignages écrits de son entourage (famille, amis, voisins...). Dans une situation de danger, toute femme a le droit de partir de chez elle avec ses enfants et de se réfugier où elle le désire : à l'hôtel, chez des amis, chez des proches... Seule précaution pour que le mari ne puisse l'accuser d'abandon du domicile conjugal : signaler son départ à la police ou à la gendarmerie.

Si le terrain de l'égalité politique et civique a fait l'objet d'une plus grande attention de la part des politiciens, celui du domaine familial reste encore à pénétrer. On peut ainsi s'étonner de l'absence de campagne officielle de sensibilisation sur la violence conjugale. D'ailleurs, la demande faite en 2000 par le Parlement européen de déclarer une « année européenne contre la violence envers les femmes » n'a pas abouti. Indifférence, désintérêt, impact politique faible... la souffrance des femmes est toujours sacrifiée sur l'autel des sujets « sérieux » et plus « payants » électoralement parlant. Pourtant, le message lancé à New York en octobre 2000 lors de la marche mondiale des femmes contre la pauvreté et les violences était sans ambages : « Les violences faites aux femmes, que ce soit en détention, dans leur communauté ou dans leur famille constituent une violation de leurs droits humains et engagent les responsabilités des gouvernements. » D'autant que les obligations internationales des États sont fondées, entre autres, sur le fait que ceux-ci peuvent être tenus pour responsables des abus qui se tiennent dans la sphère privée.

VOLONTÉ POLITIQUE ?

Ainsi que le déclarait Agnès Callamard(9) dans Le Monde diplomatique : « Les États se doivent non seulement de respecter les droits des femmes, mais aussi de les protéger et d'assurer qu'elles puissent toutes bénéficier de leurs droits. Cela nécessite plusieurs types d'intervention, y compris, mais pas exclusivement, prévenir les abus et protéger et soutenir les victimes (soutien légal, moral, financier, médical dont elles ont besoin, et dans les cas les plus durs, une protection rapprochée), enquêter systématiquement sur les abus, poursuivre les auteurs présumés, juger et punir, et accorder aux victimes des compensations financières et un accès aux services et aux soins requis. » Encore faut-il que, par delà les questions financières, les États aient la volonté d'intervenir.

1- Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff).

2- Colloque sous la présidence du Pr Henrion, rapport au ministre chargé de la Santé, février 2001.

3- Frédérique Lenoble est AS, coordinatrice d'un centre d'aide à l'insertion à Dijon.

4- Daniel Weltzer Lang. Les Hommes violents. Éditions Pierre et Caudrier. Paris, 1991.

5- http://www.sivic.org

6- Lucienne Gillioz et coll. Domination et violence envers la femme dans le couple. Payot, 1997.

7- Le Praticien face aux violences sexuelles. Document réalisé sous la coordination de l'école des parents et des éducateurs Île-de-France. Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, 2000.

8- Fondation pour l'enfance. 17, rue Castagnay, 75015 Paris. Tél. : 01 53 68 16 50. http://www.fondation-enfance.org.

9- Directeur du cabinet du secrétaire général d'Amnesty international à Londres, in Le Monde diplomatique, juin 2002.

Où trouver de l'aide ?

- Violences conjugales femmes info-service : 01 40 33 80 60

- Centre national d'information et documentation des femmes et des familles :

7, rue du Jura

75 013 Paris

01 42 17 12 34

- Viol femmes informations (collectif féministe contre le viol) : 08 00 05 95 95

- Fédération nationale solidarité femmes

32, rue Envierges

75 020 Paris

01 40 33 80 90

- Un site suisse pour repérer la violence conjugale : http://www.prevention.ch/haltealaviolence

Pakistan, l'enfer des femmes

Au Pakistan, le soupçon suffit pour assassiner une femme. « La distinction entre une femme coupable de relations sexuelles illicites et une femmes soupçonnée de telles relations est sans importance », note Amnesty International dans un de ses rapports(1) sur les violences exercées contre les femmes. « Le droit de la femme à vivre dépend de sa stricte obéissance aux normes sociales et aux traditions », constate l'avocate pakistanaise Hina Jilani. Et ces crimes ne concernent pas seulement les relations sexuelles.

Une femme peut aussi mourir parce qu'elle refuse un mariage arrangé ou bien parce qu'elle désire divorcer. Ainsi, les « accidents » de cuisine qui transforment les femmes en torches vivantes ne sont pas rares : Shanaz Bokhari, présidente de l'association des femmes progressistes du Pakistan, a recensé plus de 4 000 cas de ce type depuis 1994 et uniquement dans les hôpitaux d'Islamabad et de Rawalpindi.

Si cette cruauté à l'égard des femmes a pour origine des coutumes archaïques et une tradition patriarcale très forte, il semble qu'elle demeure encore largement ancrée dans les mentalités. Et la montée de l'intégrisme islamique et la « talibanisation » du pays n'ont fait qu'aggraver la situation des femmes.

1- No progress on women's right, Pakistan, septembre 1998.

Le combat des féministes

Dans les années 70, des groupes de femmes de différents milieux, notamment féministes, ont commencé à briser le silence et à dénoncer publiquement la violence conjugale. Les premières luttes de femmes tentent d'informer l'opinion publique sur la gravité du phénomène. Une féministe britannique, Erin Pizzey(1), crée le premier refuge de Chiswick en Grande-Bretagne (1971). En France, La Ligue du droit des femmes (sous la présidence de Simone de Beauvoir), crée en 1975 l'association SOS femmes alternatives, qui ouvre une permanence d'accueil à Paris : SOS femmes battues. Selon Sylvie Kaczmarek(2), « il est juste de dire que les militantes des années 1970 contribuèrent à une émergence sociale du thème ». Depuis, en France comme dans les autres pays industrialisés, de nombreux centres d'accueil pour femmes battues ont vu le jour. Certains sont directement issus du féminisme, d'autres ont été créés par le travail social pour répondre aux demandes des femmes.

1- Érin Pizzey. Crie moins fort, les voisins vont t'entendre. Éditions des Femmes. Paris, 1975. 2- Sylvie Kaczmarek. Violence au foyer. Éditions Imago, 1990.

Statistiques

- Les violences conjugales comprennent notamment : 24,2 % de pressions psychologiques (dont 7,7 % de harcèlement moral), 4,3 % d'insultes, 2,5 % d'agressions physiques, 1,8 % de chantage affectif, 0,9 % de viol et autres pratiques sexuelles imposées.

- La violence contre les femmes touche tous les milieux de façon homogène.

- La violence touche deux fois plus souvent les jeunes femmes (20-24 ans) que leurs aînées.

- 24 % des femmes se confient en premier lieu au médecin, avant la police (13 % des cas).

- Les femmes qui ont subi des sévices enfants ont quatre fois plus que les autres été victimes d'agressions dans leur couple.

Source : Enveff