Récits de crise - L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 178 du 01/01/2003

 

Avicenne

Actualités

La crise de l'hôpital fut au programme de la 2e Journée d'éthique de l'hôpital Avicenne. Des professionnels d'horizons variés (soignants, ethnologues, assistantes sociales, etc.) ont analysé le mal à travers leurs expériences et leur savoir-faire.

Le 5 décembre, l'hôpital Avicenne (Bobigny) a organisé sa deuxième journée d'éthique. Le groupe éthique, composé d'une quarantaine de personnes, « ouvert à tous les volontaires quel que soit leur métier à l'hôpital », a choisi pour cette session un thème épineux : les crises de l'hôpital. Minutieusement pensée, la rencontre éthique s'est déroulée sous la forme d'un « récit », selon Chantal Deschamps, organisatrice de l'événement.

Tempête et parapluie.

De 1958 (réforme de Robert Debré) à la loi du 4 mars 2002, Michel Bilis, directeur d'Avicenne, a listé les évolutions de l'hôpital public. Denis Labayle, chef de service au CH Sud-Francilien, s'est attaché à dénoncer les responsables de la « tempête sur l'hôpital », « la politique du parapluie et de la privatisation rampante », et a proposé de « réformer les temples que sont la faculté de médecine et l'École nationale de la santé publique ! Décloisonner les hôpitaux, les professions ! Organiser un véritable partage du pouvoir qui respecte le savoir des professionnels... » Le professeur Sadek Beloucif a posé trois principes fondateurs d'une réforme à venir : équité, vulnérabilité, dignité. « Être conscient de sa propre fragilité pour être plus fort. »

Crises des missions de l'hôpital ? Le docteur Olivier Bouchaud a souhaité que l'hôpital concilie la médecine de « haute technicité » et la médecine «de premier recours, pour ne pas perdre de vue l'humain ». Le cri de détresse de Martine Chauvet et Catherine Muriel, cadres socioéducatifs, a témoigné de la complexité des missions de l'assistante sociale, souvent le dernier recours qu'offre l'hôpital à une personne démunie. « Que chacun se pose des questions sur soi, pour que la chaîne professionnelle se trouve allégée ! » Face à la multiplicité des demandes, Marina Papageorgiou, psychologue, esquisse les limites de l'action. Quand on s'engage à « soigner en ayant pour certitude la performance, on désapprend à être humaniste ». Et on passe à côté de la véritable cause des maux.

Les métiers du soin auraient-ils perdus de leur attrait ? Félix Perro, directeur des soins, s'est interrogé sur l'image que les soignants envoyaient à la société, aux candidats potentiels... La reconnaissance n'est pas financière, « elle est symbolique et morale, elle se situe dans la singularité de la relation à l'autre ». Maggy Romiguière, cadre supérieur infirmier, a rappelé que le projet de soins se construit avec la personne et non pour la personne... « Donner sa place à l'usager mais ne pas réfléchir à sa place. » Conflit ou partenariat ? « Pour que la relation soit authentique, il y a les deux. Dans l'idéal, il faudrait que la relation ne connaisse pas de plaintes mais des suggestions... »

Comment consoler les soignants ? Marie-Rose Moro, psychiatre d'enfants et d'adolescents (université Paris XIII), donne quatre pistes : le travail pluridisciplinaire, la formation, les groupes de parole, et surtout sortir de la plainte.

Une crise du temps.

Ethnologue de la santé, directeur au CNRS, Marie-Christine Pouchelle brosse un portrait de l'urgence. « L'urgence est toujours présentée comme un absolu mais cette notion n'est pas fiable car elle est relative. » Et prendre du temps permet souvent d'en gagner ensuite... Combien de temps pour soigner ? « Le projet de soins pluriprofessionnels ne pourrait-il pas intégrer à la fois les capacités du soigné à franchir les étapes nécessaires à son traitement, et les impératifs de chaque professionnel pour mener à bien sa mission ? En s'expliquant mutuellement la façon de procéder pour ce malade et avec ce malade, le "on " ne deviendrait-il pas alors "nous avec vous " et le titre ne pourrait-il pas être "prendre soin quand nous nous en laissons le temps", en construisant sa durée autour du soin pluridisciplinaire », s'interrogent fort justement Prunelle Bloch, assistante sociale et Lydia Allouche, cadre infirmier.

Catherine Braccagni, cadre supérieur infirmier, a rappelé le combat que les soignants ont mené pour faire d'Avicenne, hôpital rejeté, un hôpital reconnu. Cette journée illustre bien ce combat.