À quand l'exclusivité de compétence des Ibode ? - L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003

 

Enquête

- Contrairement aux Iade, les Ibode n'ont pas l'exclusivité de compétence dans le privé lucratif - Pénurie oblige, les aides opératoires font fonction d'Ibode - Le recrutement d'IDE au bloc se heurte à des problèmes de financement, de formation et de disponibilité.

Les infirmières de bloc opératoire diplômées d'État (Ibode) auront-elles un jour l'exclusivité de compétence ? Le diplôme d'État pour les infirmières de bloc opératoire a été créé en 1971. Le décret n° 71388 du 21 mai 1971 transforme l'ancien certificat d'infirmier de salle d'opération en un diplôme. Celui-ci valide alors une formation spécialisée de dix mois. Depuis, une trentaine d'écoles ont été créées et agréées. En janvier 2002, la Drees comptabilisait, par le biais du répertoire Adeli, 4 405 Ibode.

La durée de formation a été portée à 18 mois en octobre 2001. Et les programmes ont été renforcés, notamment en matière d'hygiène hospitalière et de lutte contre les infections nosocomiales. D'autre part, depuis le décret du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession d'infirmier, les activités d'aide, de panseur, d'instrumentiste sont censées être exercées « en priorité par un infirmier titulaire du diplôme d'État d'infirmier de bloc opératoire » (cf. art 6). Cette priorité a été renouvelée par le décret du 11 février 2002.

Accréditation.

En parallèle, et à titre de comparaison, le diplôme d'infirmier anesthésiste, qui remplace alors un certificat d'aptitude, a été créé par le décret du 30 août 1988. Et les Iade acquièrent l'exclusivité de compétence avec l'article 7 du décret du 15 mars 1993.

Pourquoi pas les Ibode ? En premier lieu, la profession d'infirmière n'a toujours pas, dans les faits, l'exclusivité de compétence dans les blocs opératoires du secteur privé lucratif. Depuis longtemps, un certain nombre de chirurgiens du secteur privé font travailler au bloc des personnes non qualifiées comme aides opératoires ou aides instrumentistes. Ceci en dépit de la réglementation, et notamment de l'article 6 du décret du 15 mars 1993. C'est le processus d'accréditation des établissements hospitaliers lancé en 1996 qui met en lumière ces pratiques. « Cela faisait des lustres qu'un certain nombre de chirurgiens utilisaient ces personnes. Lors des visites d'inspection des établissements par les Cramts, l'administration fermait les yeux », se souvient Martine Polin, représentante de FO pour le secteur privé à la fédération santé.

Pour faire face aux visites des experts de l'accréditation, les chirurgiens et les directions des cliniques souhaitent régulariser les personnes exerçant dans l'illégalité. En 1998, les aides opératoires créent l'association Aidop avec le soutien de l'Union des chirurgiens français et du « comité de liaison et d'action de l'hospitalisation privée », pour reprendre les mots du député Bernard Accoyer, aujourd'hui vice-président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Elle dépose en 1999 un amendement au projet de loi créant la CMU. C'est le fameux article 38 de la loi qui prévoit la régularisation des aides opératoires avec l'organisation d'épreuves de vérification des connaissances, avec comme date butoir le 31 décembre 2002...

« Besoin vital ».

Le gouvernement précédent traîne à organiser les épreuves. Les associations infirmières, Unaibode et Aeeibo en tête, avec la Coordination nationale infirmière, le Snibode, aujourd'hui disparu, les syndicats Sud-Santé, FO AP-HP et la CGT, manifestent à plusieurs reprises leur indignation, notamment au printemps 2000. Et un recours pour « exercice illégal de la profession d'infirmière » a été déposé auprès de la Cour européenne de justice. Le décret d'organisation des épreuves tombe le 10 octobre 2002. Soit deux mois et demi avant la date butoir... Et, les 4 et 20 décembre 2002, les épreuves sont organisées à la va-vite par les Drass. 2 580 aides opératoires se sont présentées à l'examen, selon le ministère.

Mais les épreuves ne sont pas finies : le 18 décembre dernier, lors de la deuxième séance de l'Assemblée nationale, dont l'ordre du jour concernait la proposition de loi relative à la « responsabilité civile médicale », M. Mattei demande aux députés présents « d'adopter un amendement destiné à maintenir en situation d'exercice légal au 1er janvier prochain et pour une durée supplémentaire d'un an les aides opératoires qui travaillent dans les établissements de santé privés ».

Jean-François Mattei précise : « Que les infirmiers diplômés des blocs opératoires soient rassurés : il ne s'agit aucunement de faire faire aux aides opératoires et instrumentistes le même travail qu'eux, mais de répondre à un besoin vital dans un certain nombre d'établissements. » Et en ces temps de pénurie d'infirmières, on comprend que l'argument du « besoin vital » ne cessera pas d'être utilisé... et de justifier les contradictions entre démarche qualité et régularisation de personnes non qualifiées, les ambiguïtés de traitement entre le privé et le public. Car dans le secteur public, depuis la circulaire DGS/PS3/DH/98/566 du 4 septembre 1998, la formation d'Ibode est devenue obligatoire pour toutes les infirmières nouvellement affectées en bloc opératoire.

La pénurie joue aussi un deuxième mauvais tour aux Ibode. Elle ralentit le passage en formation des infirmières candidates au diplôme d'Ibode. La durée de formation étant allongée à 18 mois, il devient plus difficile d'organiser le départ des infirmières en formation.

Financement.

« La baisse des entrées en école ne semble pas tellement liée à la nouvelle durée des études, note Chantal Levasseur, présidente de l'Unaibode. Les personnes intéressées attendent aussi de voir ce qui sera proposé par le biais de la validation des acquis et de l'expérience professionnelle. De plus, beaucoup d'employeurs ont refusé, par manque de moyens, de financer la formation de candidats. Et puis, avec la pénurie, les employeurs ont des difficultés pour organiser le remplacement des personnes qui partent en formation. »

Ainsi, pour la rentrée 2002, 858 places avait été agréées par le ministère pour toute la France, mais les écoles d'infirmières de bloc opératoire n'ont eu que 495 étudiantes. Alors qu'en 2001, 785 étudiantes ont intégré les écoles. « La situation est surtout incompréhensible en région parisienne. L'AP-HP avait 120 places et elle ne compte que 25 étudiantes, signale Martine Reiss, la présidente de l'Aeeibo. Nous comptabilisons 130 demandes de report car les personnes ayant passé les examens d'entrée n'ont pas obtenu le financement nécessaire à la formation. Le manque de revalorisation financière après la spécialisation et la carence de prise en charge financière des études, surtout pour les infirmières du privé, nuisent à l'attractivité de la formation. Et puis, je crois que la politique de formation de certains établissements est à revoir. » Notons que les Ibode de fonction publique hospitalière, suite au protocole du 14 mars 2001, ont été légèrement revalorisées. « C'est en étudiant la reprise de l'ancienneté que chacun connaît la réalité de son augmentation. Nous pensons légitime d'obtenir, en début de carrière, une bonification initiale de 18 mois eu égard à la durée d'études. Le problème le plus grave concerne les cadres Ibode, dont le reclassement est prévu sur trois ans par tiers », explique Chantal Levasseur.

Validation des acquis.

Autre étape, avant l'exclusivité de compétences : prévoir la formation des infirmières qui travaillent dans les blocs opératoires. L'Unaibode a fait en 2000 la proposition suivante : « Que les infirmiers justifiant de dix années au moins de service effectif au bloc opératoire soient admis directement en école. Cela se faisant après avis d'une commission de validation des acquis qui déciderait, en fonction du dossier, du candidat de diminutions de stages. »

Avec les négociations en cours portant sur la validation des acquis et de l'expérience professionnelle, l'ancienneté exigée sera inférieure à dix ans. Chantal Levasseur estime que les cours théoriques à l'attention des infirmières pourraient être organisés à distance. « Il serait judicieux d'utiliser des moyens modernes de communication, telle la visioconférence, des moyens interactifs pour éviter à ces personnes des déplacements fastidieux et décourageants. »

Les infirmières de bloc opératoire obtiendront-elles l'exclusivité de compétence ? À travers cette question, on soulève les enjeux et les attentes posés par la validation des acquis. On dévoile surtout les contradictions entre la réglementation, les discours sur la démarche qualité, la création de diplôme et les pratiques sur le terrain limitées par la démographie professionnelle, les enjeux financiers, la volonté des professionnels et des politiques. Combien de temps prendra le démêlement de cet écheveau ?

Adresses

> UNAIBODE

Union nationale des associations infirmières de bloc opératoires diplômées d'État

Siège social :

16, Rue Daguerre 75014 Paris

Tél. 01 43 27 50 49

Membre fondateur de l'EORNA.

(European Operating Room Nurses Association)

> AEEIBO

Association des enseignants des écoles d'infirmiers de bloc opératoire

École d'infirmiers de bloc opératoire

39, avenue de la Liberté

68024 Colmar cedex

AIDES OPÉRATOIRES

Un problème humain

« Il y a un quiproquo avec les associations infirmières, estime Caroline Landsmann, représentante de l'association Aidop. Nous souhaitons juste terminer notre vie professionnelle. Cela fait 24 ans que j'exerce en tant qu'aide opératoire. J'ai 52 ans et je ne me vois pas faire une formation d'infirmière pour pouvoir exercer. À travers ces épreuves organisées par le décret du 20 octobre, nous ne voulons pas prendre la place des infirmières ou des Ibode, nous voulons éviter d'être licenciées. Lorsque le décret du 15 mars 1993 est paru, aucune mesure transitoire n'a été prévue pour nous. Personne n'a pensé à nous. » « Ces personnels n'y sont pour rien, explique Félix Ajenjo, représentant CFE-CGC. Mais il ne faut pas qu'on pérennise leur emploi d'une façon incorrecte. » « Les chirurgiens du privé ont appris à ces aides opératoires des actes sur le tas. Au lieu d'engager des infirmières ou de prendre des étudiants en médecine, ils ont entraîné ces personnes dans des pratiques non reconnues, observe Dominique Drouet, représentante CFDT. Nous ne souhaitons pas que ces personnes soient licenciées. Nous sommes face à un problème humain. Il faut que ces personnes soient reclassées par leur établissement ou qu'elles passent un examen sérieux. » « Ces agents sont victimes de leur employeur, s'exclame Dominique Labhib, représentante CGT. Nous avons dénoncé leur situation depuis longtemps. Il faut leur permettre de suivre une véritable formation qualifiante. »

DÉCRET

Qui régulariser ?

Le 10 janvier dernier, Jean-Michel Chabot, conseiller technique, chargé de l'évaluation, de l'accréditation, de la démographie médicale et de la formation médicale continue, recevait une délégation infirmière composée de Danièle Gelly, présidente du Gipsi, de Martine Reiss, présidente de l'Aeeibo, et de trois représentants de l'Unaibode, Charline Depooter, Jean-Paul Héno, et Michèle Garreau. Ils ont fait part de leur indignation concernant la régularisation des conjoints bénévoles (« Comment prouver qu'ils ont effectivement exercé six années avant juillet 1999 ? »), ainsi que la régularisation des aides endoscopistes (« Sont-ils des aides opératoires exerçant lors des explorations endoscopiques ou des personnes faisant fonction de panseur ou infirmier circulant lors de la réalisation d'endoscopie ? »). Le décret qui devrait faire suite à l'amendement voté le 18 décembre dernier ne devrait pas concerner les épouses de chirurgiens travaillant bénévolement, a assuré Jean-Michel Chabot. Pourtant, le syndicat UMSPE, par la voix de son président, Jean-François Rey, semble affirmer le contraire. Le décret devrait sortir dans le courant de février.