L'ordre infirmier mort-né - L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003

 

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La proposition de loi portant sur la création d'un ordre infirmier, défendue par l'UMP Jean-Luc Préel, n'a pas été adoptée par les députés en janvier dernier. Ses détracteurs craignent que sa création ne favorise le corporatisme infirmier.

Juste le temps d'une séance de débats à l'Assemblée nationale, et l'idée de création d'un ordre infirmier disparaîtra à nouveau ! Tel le monstre du Loch Ness... La profession se souvient l'avoir aperçu en 1998. Le projet était porté par le député UDF de Vendée, Jean-Luc Préel. C'est encore lui qui a récidivé le 28 janvier dernier en séance publique. « Le groupe UDF a choisi d'inscrire ma proposition de loi à l'occasion d'une séance d'ordre du jour d'initiative parlementaire, a expliqué le député de Vendée lors d'une conférence de presse le 22 janvier. Le but de ma proposition de loi est d'organiser la profession de manière démocratique pour répondre à un réel problème de santé publique dans l'intérêt premier des malades. Mais il s'agit aussi d'un acte de reconnaissance envers une profession qui occupe une place centrale dans notre système de soins. Son rôle a beaucoup évolué, du fait notamment de l'évolution des techniques médicales, génie génétique, soins palliatifs, lutte contre la douleur... Sa fonction a aussi évolué grâce à l'utilisation de molécules très efficaces et donc potentiellement dangereuses, nécessitant une grande compétence pour l'application de protocoles complexes, augmentant leur responsabilité, exigeant une formation initiale et continue de qualité. »

Déontologie.

À ce sujet, pense-t-il que les épreuves organisées pour les aides opératoires, les 4 et 20 décembre derniers, aient été de qualité ? « Il s'agissait d'être pragmatique et de reconnaître les compétences de ces personnes. Il fallait que les députés prennent en compte une situation existante », a-t-il répondu en justifiant son vote de 1999. Et il détaille les motifs qui devraient conduire à la création d'un ordre infirmier : « Plus que jamais s'affirme aussi la nécessité de définir et de respecter des principes déontologiques propres à la profession, et non pas calqués sur ceux des médecins, afin de garantir une qualité et une sécurité optimales des soins au bénéfice de l'image de la profession auprès des patients. »

Jean-Luc Préel explique que le contenu de sa proposition de loi se fonde sur les réflexions et les recommandations que le collectif infirmier de 1993 avait faites. Certes, mais depuis, les esprits ont changé. Il y eu le travail d'Anne-Marie Brocas en 1998 et le rapport de Philippe Nauche en 2000 préconisant la création d'un Office des professions paramédicales. Cette idée a été entérinée par la loi du 4 mars 2002 qui instaure à l'article 71 un conseil groupant les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les pédicures-podologues, les orthophonistes et les orthoptistes exerçant à titre libéral. Sauf que les décrets d'application n'ont pas été élaborés et signés.

Ainsi, après le changement de majorité à l'Assemblée nationale, Jean-Luc Préel a cru que son heure était venue et il a fait enregistrer à la présidence de l'Assemblée nationale sa proposition de loi le 24 juillet 2002. « Le conseil instauré par la loi du 4 mars 2002 présente deux défauts. Il ne permet pas de prendre en compte les problèmes spécifiques de chaque profession et surtout, il ne comprend que les professionnels libéraux, laissant de côté les salariés alors que les problèmes déontologiques, éthiques et de formation sont identiques. » C'est pourquoi il propose d'instituer un conseil départemental, élu pour six ans renouvelable par tiers par quatre collèges représentant les cadres de santé, les spécialisées, les IDE salariées, les libérales. Au-dessus de ce conseil départemental, un conseil régional élu lui aussi pour six ans par les infirmières en même temps que les conseillers départementaux. Le tout serait chapeauté par un conseil national élu par les conseils régionaux.

Majorité contre.

La proposition de loi a été étudiée le 21 janvier dernier par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale. Et c'est là que tout s'est joué puisque la majorité des composantes politiques de la commission s'est opposée à la création d'un ordre infirmier. Selon Paulette Guinchard-Kunstler, députée socialiste du Doubs, et ancienne secrétaire d'État aux Personnes âgées, cette proposition de loi va « à l'encontre de l'évolution profonde des professions paramédicales qui ne souhaitent plus être traitées de façon segmentée et veulent, tout au contraire, être reconnues au sein d'une logique de soins collective ». Maryvonne Briot, députée UMP de la Haute-Saône, ancienne cadre infirmière, a indiqué que « les infirmières étaient totalement opposées à la création d'un ordre. Elles craignent le risque de corporatisme. Et si le besoin de reconnaissance de la profession est indéniable, il ne faut pas oublier que la profession a évolué vers l'interdisciplinarité. De plus, avec la création d'un ordre se pose la question de la cotisation d'adhésion. Or, les infirmières sont extrêmement réticentes devant cette dépense. Et l'expérience plutôt négative des sages-femmes en la matière n'est pas très encourageante. »

« Les revendications du monde infirmier sont en réalité de deux ordres, d'une part une meilleure reconnaissance de leurs compétences, et d'autre part une indispensable revalorisation de carrière compte tenu de leur charge de travail devenue plus lourde. Il serait donc maladroit de créer un ordre », a estimé Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin. Claude Greff, députée UMP d'Indre-et-Loire, et ancienne infirmière, a aussi argumenté en ce sens, déclarant que « plutôt que l'adoption de nouvelles dispositions, les infirmières demandent l'application de ce qui existe déjà, notamment en faisant paraître les décrets d'application de la loi du 4 mars 2002 ».

La proposition de loi de Jean-Luc Préel a donc été balayée par les députés de droite (excepté l'UDF) et de gauche. Ce qui ne serait peut-être pas arrivé il y a dix ans...

On a retenu des débats les nombreux appels du pied faits par les députés à Jean-François Mattei pour la parution des décrets d'application de la loi du 4 mars 2002. Le ministre de la Santé en tiendra-t-il compte et dans quels délais ? Et une réforme du Conseil supérieur des professions paramédicales serait-elle aussi envisagée ?

3 Questions à Paulette Guinchard-Kunstler, députée socialiste du Doubs, ex-secrétaire d'État aux Personnes âgées et ancienne infirmière

Votre position sur l'ordre infirmier ?

Le groupe socialiste avait déjà voté contre en 1998. Aujourd'hui encore, après avoir consulté des associations et des syndicats infirmiers, j'ai réaffirmé en commission des affaires sociales notre opposition à cette proposition de loi.

Pour quelles raisons ?

J'ai développé deux arguments essentiels. Le projet de M. Préel reprend des arguments entendus et inchangés depuis des années, alors même que la situation des professions paramédicales a considérablement évolué. Les syndicats et les professionnels de terrain sont aujourd'hui dans leur ensemble opposés à la création d'un ordre. Et deuxièmement, parce que les professionnels souhaitent travailler ensemble et non plus à travers des organisations séparées.

Comment organiser la profession ?

Raisonner à partir de l'interprofessionnel me semble la meilleure façon de procéder, notamment lorsqu'il est envisagé la création d'une année commune pour les étudiants médicaux et paramédicaux. Le dispositif prévu par la loi Kouchner du 4 mars 2002 doit être mis en application.

CPP

À quand les décrets d'application ?

Petit rappel : la loi du 4 mars 2002 institue dans son article 71 un Conseil des professions paramédicales. Il devrait regrouper les personnes exerçant en France, à titre libéral, les profession d'infirmier, masseur-kinésithérapeute, pédicure-podologue, orthophoniste et orthoptiste. Ce conseil serait doté de la personnalité morale. L'organisation a deux échelons, un régional et un national. Le conseil est composé au niveau régional de collèges professionnels, d'une assemblée interprofessionnelle et d'une chambre disciplinaire de première instance. Au niveau national, on retrouve la même composition mais la chambre disciplinaire est une chambre d'appel.

Les membres des instances régionales et nationales sont élus pour cinq ans, par collège électoral défini par profession. Pour les élections nécessaires à la mise en place de ce conseil, devraient être électrices et éligibles les infirmières inscrites sur les listes départementales. Les élections devraient être organisées par le représentant de l'État dans la région. Reste à rédiger les décrets d'application mais pour l'instant, cela ne semble pas être une priorité du ministère.