La pénurie d'infirmières mise en cause - L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003

 

ERREUR MÉDICALE

Actualités

L'Académie nationale de médecine s'est penchée sur la médecine contemporaine qui, dans toute sa puissance technique et sa complexité, a sans doute accru le risque d'erreur médicale. Principale cause : la médication... Un signal d'alarme : le déficit du nombre d'infirmières, aux États-Unis comme en France...

« Le maillon faible de toute organisation est le maillon humain », avertit le professeur Georges David, lors d'une récente réunion de l'Académie nationale de médecine. À l'hôpital comme ailleurs... Qui plus est, les énormes progrès thérapeutiques ont été à l'origine d'une importante modification dans la pratique des soins. Le recours à des techniques toujours plus sophistiquées et variées a entraîné la mise en oeuvre autour d'un même patient de plusieurs disciplines. Le malade, en particulier à l'hôpital, est pris en charge par une équipe soignante qui mobilise d'autres équipes complémentaires, entrant ainsi dans un système complexe au sein duquel la place des acteurs humains reste dominante, quantitativement et qualitativement.

Pénurie d'infirmières, risque accru

Un récent travail américain, publié dans le Jama (2002, 288, 1989-1993), a examiné la relation entre le nombre de patients par infirmière et le taux de mortalité dans les services d'hospitalisation de maladies aiguës. L'enquête a porté sur plus de 230 000 patients et 10 000 infirmières répartis dans 168 hôpitaux de l'État de Pennsylvanie. Il en ressort que l'augmentation du nombre de patients par infirmière s'accompagne d'une augmentation de la mortalité dans des proportions notables : 7 % en moyenne par patient supplémentaire. Le passage de quatre à six patients accroît le risque de 14 %, et le passage de quatre à huit patients l'augmente de 31 %. Cette enquête examine d'autres conséquences, à savoir le degré d'épuisement et d'insatisfaction des soignants, qui est un facteur d'aggravation du déficit en infirmières...

L'analyse du mécanisme des erreurs humaines manifestes devrait prendre en compte ce dernier facteur, qui démontre une responsabilité systémique au plus haut niveau de l'organisation des soins. Elle devrait entraîner l'élaboration, le renforcement ou la révision des pratiques et des procédures, justifiant la généralisation à l'organisation des soins, des principes d'assurance qualité. Mais attention aux risques de ce formalisme : alourdissement des tâches, fragmentation du travail, diminution de l'investissement individuel. Ces risques doivent être prévenus par une attention des autorités responsables à entretenir une coordination entre les différents éléments du système : l'assurance qualité n'est pas un but en soi mais un moyen. Il faut aussi souligner la nécessité d'une formation spéciale pour bien la gérer.

Iatrogénie : les chiffres en tête

Une récente étude américaine donne la fréquence suivante des principales erreurs : erreurs de médication : 19 % ; infections nosocomiales : 14 % ; erreurs techniques : 13 %.

La médication entendue au sens large, allant de la prescription à l'administration, en passant par la dispensation, représente aussi en France la cause majeure de toutes les erreurs. La fréquence de ces erreurs avait été signalée, il y a une dizaine d'années, par l'Association pédagogique nationale pour l'enseignement de la thérapeutique (Apnet). C'était une enquête descriptive transversale des cas de iatrogénie, réalisée, un jour donné, dans 43 services cliniques. Elle avait réuni 109 cas sur 1 733 malades hospitalisés soit 6,28 %. Et 76 % de ces cas relevaient d'erreurs de médication... Malheureusement, une attention insuffisante a été accordée à ces résultats.

Un changement de culture

La négation de l'erreur et de son éventualité entraîne son occultation. « Réhabiliter l'erreur et s'en servir pour améliorer la qualité des soins va à l'encontre de la conception classique de l'erreur médicale, celle qui prévaut malheureusement encore en France », remarque le Pr Georges David. Il conviendrait d'avoir à l'égard de la société, concernant l'erreur médicale, une politique de clarté et de responsabilité. Notre société devrait comprendre pourquoi la médecine aujourd'hui, toujours plus efficace, est devenue de plus en plus vulnérable à la défaillance. L'affirmation d'une prise en compte de ces risques nouveaux, fondée sur une nouvelle politique dans la détection de l'erreur, devrait renforcer la confiance du public. La société aurait alors la preuve que la médecine est devenue aussi consciente de ses devoirs en matière de sécurité que de ceux en matière d'efficacité.