Le décret va-t-il rendre l'AME ? - L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003

 

AIDE MÉDICALE D'ÉTAT

Actualités

Les ONG réunies le 3 février autour de Dominique Versini, secrétaire d'État chargée de la lutte contre la précarité et l'exclusion, ont dénoncé la réforme de l'AME, considérée comme une atteinte au droit à la santé des sans-papiers. Et souhaitent que le décret d'application de cette réforme ne voit jamais le jour.

Pour évoquer la réforme de l'Aide médicale d'État (AME), le cabinet de Dominique Versini avait convoqué différentes associations, dont Médecins sans frontières, Médecins du monde, Rezo, la Croix-Rouge française, le Comède, et la Fédération hospitalière de France (Emmaüs aurait refusé de venir). L'enjeu était d'envergure : les associations comme nombre de syndicats professionnels de santé s'étaient émus dès le 20 décembre 2002, indiquant, avec force communiqués et pétitions (notamment celles de MDM et de MSF) les dangers en termes de santé publique de la réforme amorcée, dont la principale mesure, rappelons-le, consiste à rendre payant le ticket modérateur aux bénéficiaires de l'AME. En réponse, Dominique Versini avait, dès le 25 décembre, annoncé qu'elle recevrait les associations concernant le décret d'application de cette mesure.

Urgence « relative »

Consultation faite, la conclusion est pour le moins ambiguë. La plupart des associations demandaient l'abrogation de l'article 57 de la loi de financement, article consacré à l'AME(1). « Mais ce n'était pas à l'ordre du jour », explique David Causse, responsable du pôle médicosocial de la FHF, seule organisation « institutionnelle ». « Il s'agissait de voir comment il était possible de limiter le périmètre d'application de cette réforme, et que ce ticket modérateur payant concerne une population la plus restreinte possible. Par ailleurs, il est très important que l'hôpital puisse gérer au mieux ce conflit toujours difficile entre obligation de soins et de gestion. Or, cette mesure accentue le conflit. Comment, en effet, demander à des personnes qui viennent à l'hôpital de payer avant d'être soignées ? Si elles ne peuvent pas le faire, doit-on déterminer ce qui est de l'ordre de l'urgence "relative" ? Qu'est-ce qu'une urgence "relative" ? Cela signifie différencier le risque majeur et mineur. Cela signifie aussi l'abandon de la prévention. Aborder la santé sous un registre individuel et non plus dans un cadre collectif dénote une méconnaissance des logiques de santé publique. D'un point de vue concret, c'est difficilement applicable. Comment un patient sans ressources et sans papiers va avoir sur lui de quoi payer 20 % de ses journées d'hospitalisation ? »

Cheval fou ?

En effet, même si la loi parlait de plafonner le montant du ticket modérateur au-delà d'une certaine somme, « c'est impossible d'un point de vue juridique dans le système actuel régissant la Sécurité sociale », souligne Noëlle Lasne, directrice de la Mission France de MSF. Ainsi, le souci de David Causse était-il très clair : « Si nous voulons conserver notre mission de service public, et que cette loi entre en vigueur, l'État doit prendre en compte pour l'établissement de notre budget les factures irrécouvrables qui ne manqueront pas de réapparaître massivement dès la mise en application de la loi. Elles avaient disparu depuis la mise en place de la dernière mouture de l'AME depuis trois ans », regrette-t-il. « C'est en outre un immense recul en matière d'accès aux soins et de lutte contre l'exclusion », estime, quant à elle, Noëlle Lasne.

Pendant la réunion, Mme Versini a fait état d'un rapport de l'Igas concernant l'AME, « rapport commandé et rédigé après le 19 décembre, souligne encore MSF, ce qui est pour le moins étrange si l'on considère qu'un tel rapport est normalement la base d'une réforme... non la conséquence ». Dans ce rapport - jusque-là resté secret - il serait fait état d'un budget inflationniste de l'AME, d'une sorte de « cheval fou incontrôlable », tel que le résume avec scepticisme Didier Maille du Comède. « 80 % des dépenses concerneraient Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et l'Hérault, précise David Causse. En outre, 78 % seraient des dépenses d'hospitalisation et 90 % des médicaments, des traitements antirétroviraux. On voit bien là que ce sont des motifs de dépense bien difficiles à réduire. Bien sûr, on est passé de 75 000 bénéficiaires en 2000 à 150 000 en 2002. Mais ce sont des chiffres qui correspondent à des données très spécifiques conjoncturellement. En effet, pendant la première année, il y a eu la mise en place de la CMU, et l'AME a beaucoup servi de dispositif d'attente. » Sans compter que, lorsqu'on dissèque le coût de l'AME, remarque Noëlle Lasne, « on oublie toujours la dette énorme que l'État avait envers les prestataires de santé - notamment les pharmaciens concernant l'avance des frais de l'ancienne AME (réservée aux SDF, N.D.L.R.). C'est le budget de la nouvelle mouture de l'AME qui a payé l'ardoise : faute de quoi, les pharmaciens refusaient de prendre en charge le nouveau dispositif. Mais on ne comptabilise jamais cette dépense-là. »

« C'est un leurre de penser que cette mesure sera économique : ces mesures ne feront que transférer une dépense sur une autre, renchérit Fabrice Giraud, de MDM. D'autre part, cela mettra les personnes dans une situation encore plus précaire, les poussera à l'hôpital et les exclura encore un peu plus. » Selon les intervenants, ce qui était frappant lors de cette consultation, c'était « le front uni des associations » contre cette mesure, même si la FHF tentait surtout d'en modérer l'application, quand les autres en refusaient simplement le principe. « Mais le plus curieux était la réaction des "puissances invitantes", souligne Noëlle Lasne. Que ce soit Dominique Versini, son directeur de cabinet, ou celui de M. Mattei, aucun n'a défendu la loi, quelles que soient les critiques énoncées par les associations présentes. On aurait dit une réunion d'enterrement. C'est M. Raffarin qui devait décider le lendemain quelle serait la teneur du décret et nous en attendons ces jours-ci le résultat. Peut-être, nous l'espérons, ne viendra-t-il jamais, le gouvernement se rendant compte de l'absurdité d'une telle réforme. »

Phobie des étrangers

Mais l'optimisme de Noëlle Lasnes n'est pas partagé par tous : « La phobie des étrangers qui viendraient se faire soigner en masse et gratuitement en France a présidé à cet article de loi, explique Didier Maille. Le gouvernement veut absolument mieux en contrôler l'accès. » C'est ainsi que, dans le même sens, on a vu ces dernières semaines apparaître une circulaire du ministère de l'Intérieur restreignant drastiquement les conditions de séjours temporaires aux malades étrangers et introduisant par exemple la notion de « conséquences d'une exceptionnelle gravité », « qui doit conduire à la délivrance d'une carte de séjour temporaire... »

1- La CMU, également concernée par la loi de financement a suscité la levée de boucliers des associations. Celle-ci est dorénavant fonctionnelle le premier du mois suivant son attribution officielle. Une mesure directement applicable sans décret, et déjà appliquée.