Le suicide, ultime violence... - L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 179 du 01/02/2003

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualités

À l'occasion des Journées nationales pour la prévention du suicide, le 5 février dernier, des spécialistes ont apporté un regard neuf sur ce problème de santé publique. En milieu carcéral, le suicide, avatar de la violence croissante dans cet univers clos, augmente de façon très inquiétante (progression de 17 % en 2002).

Jacques Védrinne, membre des comités scientifique et éthique de l'UNPS (Union nationale pour la prévention du suicide), dénonce la définition de la violence qui a tendance à ne pas intégrer le suicide comme tel. « Le suicide est une violence en soi » et non pas seulement le résultat d'une violence. Les suicidés sont des chroniqueurs muets de leur époque selon Richard Cobb, sociologue anglais du XVIIIe siècle. Autrefois considéré comme un acte honteux, le suicide est perçu aujourd'hui comme le témoignage des dysfonctionnements de nos institutions. Le suicide est donc une double violence, contre soi et contre les autres. « N'est-il pas absurde de constater que les "rescapés du suicide" sont banalisés à l'hôpital au point d'être renvoyés chez eux quelques heures plus tard ou le lendemain ? », interroge Jacques Védrinne.

Métro, c'est trop...

Le nombre de suicides en 1998 était en baisse : il touchait environ 10 000 personnes en France. Si le suicide tue majoritairement les hommes, 70 % des tentatives sont féminines. Première cause de mortalité des 25-34 ans (problèmes d'insertion professionnelle, familiaux...), le suicide est la deuxième cause de mortalité des 15-24 ans après les accidents de la route. Le phénomène est d'ampleur. Fernand Sebban, responsable de l'exploitation des stations de métro de la RATP, est bien placé pour le savoir. En 2002, un voyageur s'est jeté sous les roues du métro tous les quatre jours. En dix ans, un conducteur a 30 % de probabilité d'être confronté à un suicide. La violence du suicide pour les conducteurs comme pour les voyageurs peut provoquer de graves séquelles psychologiques. La RATP, consciente du problème, a mis en place une cellule psychologique post-traumatique.

En milieu carcéral, les problèmes de violence et de suicide sont critiques. Selon Christiane de Beaurepaire, psychiatre au centre pénitentiaire de Fresnes, la prison est un échantillon concentré de la violence que l'on peut trouver dans la société. Les suicides y sont sept à dix fois plus fréquents que dans la population générale.

Violence carcérale

2002 est une année sombre pour le milieu carcéral : 122 suicides (en progression de 17 % par rapport à 2001), 707 tentatives, 789 grèves de la faim, 1 300 automutilations et des viols fréquents. Le personnel de surveillance et médical est en première ligne. Cette violence physique et psychique met en évidence quatre facteurs déterminants du passage à l'acte. Primo, la contrainte qu'impliquent les conditions de sécurité en vigueur et l'atmosphère d'attente sans fin (du jugement, de la libération) aussi bien pour les détenus que pour le personnel. Secundo, la liberté de chacun est entravée : le personnel soignant est par exemple tributaire du personnel surveillant. Tertio : l'isolement des détenus et celui des surveillants. Enfin, l'impuissance du personnel surveillant et du soignant devant le sort d'un détenu gravement malade.

Ces différents facteurs sont des « stresseurs » qui ont tendance à épuiser les ressources personnelles de chacun. Le suicide des détenus est redouté aussi bien par les codétenus que par les surveillants qui le subissent comme un échec de leur mission. Il n'est pas rare que la promiscuité provoque des « épidémies de suicides ». Ce constat est-il surprenant, sachant que 50 % de la population carcérale présente des troubles majeurs psychiatriques (un ou plusieurs), des troubles dépressifs et addictifs graves ?

Cette accumulation de pathologies mentales et physiques renforce la vulnérabilité d'une population tassée en lieu fermé. Le suivi médical est rendu très difficile à cause du fonctionnement même des centres pénitentiaires. La prison ne serait-elle pas devenue l'asile des marginaux, qui faute d'être pris en charge dans des centres psychiatriques adaptés, finissent par commettre des fautes plus ou moins lourdes ?