Les Ssiad, vingt ans après - L'Infirmière Magazine n° 180 du 01/03/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 180 du 01/03/2003

 

Enquête

- Créés en 1981, les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) traversent une période de mutation - Près de 1 800 services sont désormais implantés dans tout le territoire - Destinés dans un premier temps à la prise en charge infirmière des plus de 60 ans, ils pourraient s'occuper prochainement des handicapés.

« Les professionnels ne doivent pas rester dans leur coin », s'exclame le responsable d'un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) dans le département des Pyrénées-Orientales, Présence infirmière 66. « C'est important de s'unir, de préparer ensemble l'avenir. Les Ssiad ont pris l'habitude de travailler dans leur petit coin sans être à l'écoute de ce qui va se passer », estime Jean-Marie Esposito qui participe aussi à l'Union nationale des associations et services de soins infirmiers (Unassi) dont le site Internet devrait bientôt être mis en ligne(1). Depuis vingt ans, les Ssiad se sont multipliés dans l'Hexagone sous des formes très variées : association loi 1901, structure mutualiste, société privée à but non lucratif. Certains se combinent avec un service d'aide ménagère, d'autres ne fonctionnent qu'avec des infirmières salariées...

60 ans et plus.

La Direction générale de l'action sociale comptabilisait 1 718 services qui prennent en charge 68 126 personnes au début de l'année 2002. Comment s'organisent les Ssiad dans un contexte de pénurie d'infirmières et d'aides-soignantes ? Quelles sont leurs perspectives d'évolution, notamment dans la prise en charge du handicap ? L'année 2003 proclamée « année européenne des personnes handicapées » par le Conseil de l'Union européenne sera-t-elle une année décisive dans les projets d'élargissement d'intervention des Ssiad ? Quelle coordination entre les Ssiad, les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (Clic), les réseaux de soins, les infirmières libérales dont l'activité de coordination est maintenant officiellement reconnue par la Démarche de soins infirmiers (DSI) conçue par la Cnamts et Convergence infirmière à la fin de l'année dernière, l'action des équipes médicosociales des conseils généraux et les services d'aide à domicile ?

Petit rappel : les Ssiad offrent leurs services aux personnes âgées de soixante ans et plus. C'est le décret n° 81448 du 8 mai 1981 qui fixe les conditions d'autorisation et de prise en charge des services de soins à domicile pour personnes âgées. Les Ssiad assurent sur prescription médicale les soins infirmiers et d'hygiène générale. « Ils ont notamment pour vocation d'éviter l'hospitalisation des personnes âgées lors de la phase aiguë d'une affection pouvant être traitée à domicile, de faciliter les retours au domicile à la suite d'une hospitalisation, de prévenir ou retarder la dégradation progressive de l'état des personnes et leur admission dans les services de long séjour ou dans les sections de cure médicale des établissements sociaux. »

Aides-soignantes.

L'autorisation de créer un Ssiad est accordée par le préfet, « après consultation d'une ou plusieurs des organisations syndicales les plus représentatives d'infirmiers libéraux » pour vérifier que la couverture des besoins n'est pas déjà assurée par les libérales... Ce qui entraîne parfois des mobilisations d'infirmières libérales pour s'opposer à la création de Ssiad. Dans certains cas, l'affaire a été portée devant le tribunal administratif du département concerné.

« L'autorisation de création fixe le nombre de personnes âgées susceptibles d'être prises simultanément en charge compte tenu des besoins dans l'aire d'intervention du service. » Les Ssiad assurent l'intervention d'infirmières pour exécuter les soins nécessaires à la personne, organiser le travail des aides-soignantes et assurer la liaison avec les autres auxiliaires médicaux, afin d'assurer le suivi et la coordination des soins. Les infirmières sont des salariées de la structure porteuse du Ssiad. Mais il arrive que les Ssiad conventionnent des infirmières libérales.

« Les Ssiad emploient parfois des libérales, tout comme l'hospitalisation à domicile. Ils emploient des libérales pour plus de souplesse horaire, ou lorsque leur service est saturé. D'ailleurs, les libérales revendiquent cette souplesse », explique Laure Com-Ruelle, docteur en médecine et maître de recherche au Credes, qui a réalisé une enquête sur la coordination de l'infirmière libérale avec les services d'aide au maintien à domicile, au cours de l'automne 2001. Selon une enquête de la Drass des Pays-de-la-Loire, les aides-soignantes constituaient en 2001 78 % du personnel salarié permanent et au cours de l'année, près de 1 500 infirmières libérales étaient intervenues pour des Ssiad. Tout cela varie en fonction du contexte géographique. Mais une chose est certaine, la pénurie de soignants se fait sentir dans toute la France.

Recrutement difficile.

La commission Ssiad de l'Union nationale des associations de soins et de services à domicile (Unassad) relevait l'année dernière que « la fonction publique hospitalière offrant des conditions beaucoup plus attractives aux infirmières et aux aides-soignantes, les Ssiad sont confrontés à des problèmes de recrutement ».

Nicole Faget, la présidente de l'Unassi, confirme : « L'instauration des 35 heures dans les établissements sanitaires, et la signature de conventions tripartites des maisons de retraite nous ont beaucoup perturbés au niveau du recrutement. Le manque d'infirmières est moins prégnant que celui des aides-soignantes car des libérales viennent intégrer des Ssiad. » La responsable d'un Ssiad dans le XVIIe arrondissement de Paris (Fassad 75) souligne que ces services n'attirent pas les jeunes infirmières. Pourtant, le travail infirmier peut s'y révéler passionnant, notamment au poste d'infirmière coordinatrice. Le décret recommande que l'infirmière coordinatrice ait le diplôme de cadre. Mais ce n'est pas toujours le cas.

« L'infirmière coordinatrice est multifacette, explique Jean-Marie Esposito. La gestion, l'administration du service, l'évaluation, l'élaboration du projet de soins, les soins auprès des personnes... Les tâches ne manquent pas. Avec mon équipe d'infirmières coordinatrices, nous nous sommes réparties les casquettes, l'une est référente pour le processus d'accueil, une autre s'occupe plus spécifiquement de la gestion du personnel, du management, une autre qui a un DU d'ergologie et de soins palliatifs s'occupe de la collaboration au réseau de soins palliatifs du département, et moi, je m'occupe de la pédagogie et de l'encadrement des stagiaires. »

Lien 66.

Conscientes de leur spécificité, les infirmières coordinatrices de ce département se sont regroupées dans une association : Lien 66. Considérant l'évolution des savoir-faire dans un contexte démographique particulier, avec une demande de plus en plus importante, avec une plus forte exigence favorisée par la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, les professionnels se préparent à évaluer leurs pratiques. Nicole Faget, de l'Unassi, explique qu'un référentiel métier a été préparé. « Nous l'avons préparé en collaboration avec la CPAM Hautes-Pyrénées, il a été établi avec l'aide de qualiticiens. Nous allons le présenter au ministère de la Santé et il devrait sortir à la fin du mois de mars. »

Prise en charge expérimentale.

Le droit des malades, suite à la loi Kouchner, représente aussi un enjeu. « Il faut insister sur ce point, note Jean-Marie Esposito, car tout le monde ne s'est pas rendu compte de ce que cela implique. Les patients ont leur mot à dire ! » L'Unassi y consacre son congrès en septembre 2003 au Mans.

Autre changement en perspective, l'ouverture des Ssiad aux personnes handicapées. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médicosociale devrait entraîner une réforme du décret du 8 mai 1981. Un projet à la Direction de l'action sociale devrait « permettre aux personnes adultes, handicapées, dépendantes ou atteintes d'une maladie chronique invalidante de bénéficier, quel que soit leur âge, d'une prise en charge sans procédure dérogatoire ». Deux Ssiad à Grenoble et Angers ont commencé à prendre en charge des handicapés à titre expérimental.

Autre projet dans les cartons de la DAS, la coordination des soins infirmiers et des aides à domicile pour les personnes handicapées. Il est envisagé soit une convention passée entre les deux services, soit le regroupement dans une même entité juridique dénommée « services polyvalents d'aide et de soins à domicile ». Certaines associations fonctionnent d'ailleurs déjà sur ce schéma.

Le véritable enjeu est de savoir si la barrière d'âge sera levée ou non. « Comment cet âge de 60 ans, qui n'est pas celui de la retraite, est-il devenu le couperet, en deçà duquel la collectivité décide de traiter autrement les personnes en situation de handicap ? », s'interroge Florence Leduc, membre de l'Unassad et du Groupe de réflexion sur les incapacités à tout âge (Grita).

1- http://www.unassi.org.

INITIATIVE

Un Ssiad expérimental

Handi-service a vu le jour le 1er août 2001 à Grenoble. « Notre Ssiad est un service expérimental. Il sert de test pour les projets de décret au ministère », explique Corinne Levy-Neumand, la responsable de Handi-service. « Grenoble est une ville très engagée dans la prise en compte des personnes handicapées : transports, accès aux lieux publics... Elle accueille notamment une population jeune qui peut suivre ses études grâce au Centre médical universitaire Daniel- Douady, et grâce à un foyer d'accueil situé sur le campus intitulé Prélude. Mais la médecine de ville s'est vite retrouvée saturée par les besoins spécifiques des personnes handicapées... » Une commission technique a notamment recommandé la prise en charge des personnes par les Ssiad. C'est ainsi que Handi-service, structure mutualiste (Mutuelle de France Isère), a vu le jour. Elle bénéficie d'un financement expérimental de la part du ministère. Handi-service propose des soins et de l'accompagnement aux personnes en rupture de soins. « Contrairement aux Ssiad traditionnels, nous sommes à la disposition des personnes 24 h/24, 7 j/7. Nous n'avons pas de limite d'âge, nous avons notamment dix places sur trente qui sont attribuées au foyer de vie pour les étudiants Prélude. Nous nous occupons aussi des handicaps lourds : tétraplégiques, insuffisants respiratoires... Autre particularité, nous assumons la prise en charge des urgences. Si une infirmière libérale ne peut pas assurer son service, le patient peut faire appel à nous. Nous tenons donc une permanence de soins, et nous avons mis en place un numéro de téléphone d'urgence. » Handi-service se compose de 27 professionnels, quatorze infirmières, dix aides-soignantes, une psychologue, un ergothérapeute. La responsable précise bien que Handi-service est une structure relais. « Notre objectif est de les réorienter dans un système classique. » Le forfait journalier se monte à 75 euros. La mission de Handi-service n'est pas simple. « La relation soignant/soigné doit être bien régulée avant d'orienter le patient vers un service classique. C'est un service complexe, et parfois, la nuit, certains soignants ont été victimes d'agressions extérieures. Ainsi, j'ai du mal à stabiliser les effectifs de l'équipe. »

Ssiad et HAD

Il ne faut pas confondre l'hospitalisation à domicile (HAD) avec les Ssiad. Les structures d'HAD ont un statut hospitalier. L'HAD a été officialisée en 1957. Elle coordonne des professionnels (médecins, infirmières, kinésithérapeutes...) qui interviennent au domicile de malades atteints de maladies graves nécessitant un matériel médicalisé. La France comptait en 2002 plus de 80 structures d'HAD, soit plus de 5 000 places selon la Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile.