« Notre société maltraite les personnes âgées » - L'Infirmière Magazine n° 180 du 01/03/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 180 du 01/03/2003

 

Pascal Champvert

Questions à

Votée en juillet 2001, l'Apa (allocation personnalisée d'autonomie) est remise en question par une proposition de loi. Pascal Champvert, directeur de l'Adehpa(1), réagit...

Nombreux sont ceux qui font l'amalgame entre la PSD (prestation spécifique dépendance) remplacée depuis deux ans par l'Apa et cette dernière. Quelle est la différence entre les deux ?

À la base, l'Apa a été créée pour être une amélioration de la PSD, même si elle n'est pas allée aussi loin. L'Apa n'entraîne pas de recours sur l'héritage. Et c'est là la première grande différence. Beaucoup de personnes âgées, des centaines de milliers, ont préféré ne pas toucher la PSD pour avantager leurs enfants. Ensuite, la PSD instaurait un barème régional. Les prestations variaient donc beaucoup en fonction de l'endroit où l'on vivait dans l'Hexagone. L'Apa instaure un barème national. Ce sont les deux différences majeures entre ces deux mesures.

Et aujourd'hui, qu'est-ce que la proposition de loi sur l'Apa remet en question ?

Il y a une remise en question sur la méthode et sur le fond. Sur la méthode, il faut savoir que des sénateurs tel Louis de Broissia (UMP, Côte-d'Or) sont des présidents de conseils généraux. Comme ce sont ces mêmes départements qui payent la facture, ils ne veulent pas verser de prestations pour des personnes âgées qui deviendront un jour des personnes handicapées. Ils se saisissent du sénat pour revenir en arrière sur ce qui a été décidé. Même si la PSD a été créée sur une proposition sénatoriale. Dans la proposition de loi initiale, pendant les deux premiers mois, les bénéficiaires ne touchaient pas l'Apa s'ils étaient logés en établissement.

À handicap égal, les personnes âgées à domicile reçoivent une allocation plus conséquente.

Quand une personne dépose un dossier, celui-ci, à la différence de la PSD, n'est pas accepté tout de suite. La personne bénéficiaire de l'allocation doit attendre deux mois avant de l'obtenir(2). C'est donc une façon de réduire les droits des personnes âgées. Pour moi, c'est impardonnable. Notre pays ne propose toujours pas, à la différence de nombre de nos voisins européens, une vraie prestation d'autonomie. Dans notre système, on revient sur ce que l'on a donné. Et en France, ça fait vingt ans que cela dure. Le pays n'arrive pas à accoucher d'une vraie loi pour les personnes âgées dépendantes.

Il a aussi été question de verser l'allocation directement aux établissements. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Normalement, les départements versent l'allocation à la famille ou aux personnes concernées mais dans la réalité, 60 % des départements versent directement l'Apa aux établissements. Il faut savoir qu'avec la complexité des conventions tripartites, nous sommes dans un système où l'on rencontre une difficulté énorme par rapport aux modes de paiement des maisons de retraite. Les différentes grilles pour assurer le paiement sont très compliquées. L'un des moyens de simplifier est de verser l'Apa directement de la sorte aux établissements.

La menace du recours sur succession(3) est-elle sérieuse ?

Oui, c'est une mesure évoquée mais on parle aussi de supprimer l'Apa. Ce qui me paraît incroyable, c'est que quand il s'agit de baisser les prestations, les politiques trouvent toujours mille solutions. À la différence de nos voisins européens (Allemagne, pays scandinaves, Autriche...), nous n'aidons pas les aînés à mieux vivre. Au lieu de toujours revenir en arrière sur des lois, il va bien falloir se décider un jour. L'un des arguments qui a entraîné une remise en question de l'Apa, c'est qu'il y avait trop de demandes. Mais il faut savoir que sur les 700 000 dossiers déposés, plus de la moitié ont été refusés ! Il faudrait que l'on soit capable de nous montrer les chiffres exacts des bénéficiaires de l'Apa. On bataille sans cesse sur des sommes qui ne sont pas si importantes. Les politiques, et notamment les sénateurs, sont obsédés par les questions financières.

Les personnes touchant plus de 623 euros par mois doivent participer au financement de l'Apa à hauteur de 12 %. Si cette proposition de loi est adoptée, les revenus les plus faibles vont donc être pénalisés ?

Oui. C'est très clair : on diminue l'Apa mais les gens vont toucher moins d'allocation. Ceux qui sont à domicile vont réduire l'aide qu'ils reçoivent car ils ne pourront se l'offrir. Les gens dans le besoin vont être moins aidés. L'État engagé sur le plan de financement et de médicalisation des établissements pour personnes âgées a annoncé qu'il n'y aurait pas un centime de plus pour l'année 2003.

On a parlé de l'Apa comme d'un droit universel et objectif, qu'est-ce que cette définition vous inspire ?

Il y a deux ans, en juillet 2001, le vote de la loi sur l'allocation personnalisée d'autonomie et le fait d'avoir posé politiquement le principe étaient très positifs. C'est essentiel. L'Apa et la PSD sont de vrais progrès. Mais dès que l'on a le sentiment d'avoir avancé, on s'alarme et on se dépêche de baisser la prestation. Notre société maltraite globalement les personnes âgées. C'est un problème majeur et profond.

Dans le fond, vous ne croyez pas que les politiques nient le besoin d'accompagnement des personnes âgées dépendantes ?

Aujourd'hui en France, on nie le problème. Il faut que l'opinion publique et les professionnels aient vraiment conscience des problèmes rencontrés par les personnes âgées. Mais cette situation n'émeut guère l'opinion publique. Un sondage réalisé dernièrement montre pourtant que les Français pensent que les politiques doivent faire plus pour les personnes âgées. Plus on parlera de la situation de nos aînés, plus on arrivera à faire évoluer les choses. Il faut espérer que les politiques prennent conscience de ces enjeux majeurs.

1- Association des directeurs d'établissements d'hébergement de personnes âgées. 2- Sauf pour les personnes âgées dépendantes en établissement qui devraient bénéficier du versement de l'Apa dès le dépôt de leur demande. 3- Cette mesure permettrait à l'État de récupérer une partie des aides versées après le décès de la personne dépendante.