« L'évolution des infirmières mérite une réflexion approfondie... » - L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003

 

Yolande Briand et Luc Delrue

Questions à

Le rapport de messieurs Debrosse, Perrin et Vallancien, remis le 3 avril dernier, a été accueilli de façon positive par le ministre de la Santé. Dans l'attente de sa décision et de ses choix, deux syndicats de personnels, représentés par Yolande Briand et Luc Delrue(1), commentent le travail de la mission.

Questions à Yolande Briand (CFDT)

Les propositions du rapport concernant la formation des personnels hospitaliers vous semblent-elles réalisables ?

C'est une idée intéressante. Encore faut-il qu'elle soit retenue par le ministre. Dans ce cas, il sera nécessaire de négocier de façon détaillée et précise les crédits de remplacements des personnels, pour qu'ils puissent partir en formation. Avec Martine Aubry, suite aux accords de mars 2000, un dispositif concernant la formation avait été prévu sur trois ans. Deux millions de francs avaient été prévus à l'époque pour la formation et ces crédits n'ont pas été reconduits aujourd'hui.

D'autre part, si le développement de la formation continue est une intention louable, car il est clair que les infirmières ne bénéficient pas suffisamment des dispositifs de formation continue, comment pourront-elles s'absenter pour suivre une formation, alors que nous sommes en période de pénurie ?

Que pensez-vous du développement de « l'infirmière experte » ?

Si l'objectif est de remplacer des médecins par « une super-infirmière » ou un « petit médecin »... pour pallier les problèmes de démographie médicale... Je doute que cela soit très pertinent. L'évolution des infirmières mérite une réflexion approfondie. D'une part, parce que si on octroie de plus grandes responsabilités aux infirmières, il faut repenser leur dispositif de classification de la fonction publique hospitalière et leur rémunération. D'autre part, il est nécessaire de s'interroger sur les missions des infirmières.

Que fait une infirmière spécialisée, Iade, Ibode, puéricultrice ? Que fait une infirmière experte qui a validé des compétences en cardiologie, en gastroentérologie ? Quelle mission pour l'infirmière clinicienne ? Toute une réflexion sur leurs actes et leurs missions est à mener.

Nous ne sommes pas opposés à l'ouverture d'un débat. Mais cette évolution morcelle la profession. Ce qui est contradictoire avec les dispositions pour lutter contre le cloisonnement à l'hôpital, contre la balkanisation des compétences et des savoir-faire. Cela peut créer de nouveaux sujets de crispation entre les professionnels. Cette réflexion doit être menée dans le cadre d'un projet global de l'hôpital, et non pas une fuite en avant pour résoudre des problèmes démographiques.

Que pensez-vous de ce rapport ?

Depuis dix ans, vingt ans, l'hôpital public et l'organisation du système de santé font l'objet de rapports successifs. Les notions de pôles de responsabilité (l'amendement liberté), de contrat d'objectifs et de moyens à l'interne, d'intéressement, tout cela a déjà été évoqué, étudié, voire expérimenté. Finalement, le problème n'est peut-être plus de savoir si on est d'accord ou non avec les mesures, mais de savoir pourquoi ça ne se fait pas ? Pourquoi l'hôpital public connaît toujours les mêmes faiblesses ? Pourquoi les modifications déjà produites n'ont pas eu les effets attendus ?

Je crois que les professionnels ont très envie aujourd'hui que ça change. Mais avant de produire des textes, des règlements, des lois, des rapports, il faut s'interroger publiquement sur une définition de l'hospitalisation publique, de l'intérêt général en santé et du soin.

Questions à Luc Delrue (FO)

Le 3 avril, c'était un rapport de plus ?

Il me semble que si on comptabilise le nombre de rapports et de missions qui tombent depuis l'arrivée de Jean-François Mattei, on atteint la quinzaine... Notre ministre avait annoncé que le temps des reports et des rapports était achevé, je me demande si c'est le cas. Sans compter le rapport d'information réalisé par la mission parlementaire du député-maire René Couanau qui porte lui aussi sur l'organisation interne à l'hôpital. Comme on le voit, les idées ne manquent pas pour permettre au ministre de faire son marché. D'autant que tous ces écrits vont dans le même sens : une logique de démantèlement et de privatisation qui menace l'hospitalisation publique, la fonction publique hospitalière, la Sécurité sociale.

Et puis, dans le cadre de leur mission, nous avons rencontré Denis Debrosse et Guy Vallancien en février dernier. Je n'ai pas considéré pendant les soixante minutes d'entretien qu'ils avaient une attitude très constructive à l'égard des personnels hospitaliers.

Et le développement de la formation continue ?

La formation continue est une bonne chose en soi. Cependant, il faut regarder ce qu'il propose comme contenus de formation. L'accent est mis sur « des formations transversales, qualité, gestion des risques, entretien d'évaluation... » Et puis, derrière le discours sur la formation continue, il y a la volonté d'accélérer le transfert de compétences. Le rapport Berland sur la démographie médicale est clair là-dessus. Sans compter qu'il y a un problème de moyens financier et humain. Sur la région Pays-de-la-Loire, des établissements ont fait un travail pour permettre à des aides-soignantes titulaires de passer les concours d'Ifsi. Une dizaine les ont réussis mais elles se sont retrouvées bloquées faute de financement. Ceci est aussi valable pour le secteur médicosocial, notamment les maisons de retraite.

Et « l'infirmière experte » dans tout cela ?

L'idée d'expertise est un vieux débat. Des formations existent déjà concernant les infirmières cliniciennes. Cependant, derrière l'aspect positif de l'expertise, je décèle seulement une réponse à la pénurie. Il ne faut pas être dupe, il s'agit toujours de transférer des actes médicaux aux infirmières afin de résoudre la pénurie de médecins. Je crois que le gouvernement cherche plus à réaliser des économies sur le dos de l'hôpital qu'à construire un véritable projet pour l'hospitalisation publique.

1- Respectivement secrétaire générale de la fédération santé CFDT et secrétaire fédéral adjoint de la fédération santé FO.