Le traitement des troubles de l'humeur - L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003

 

Cours

Pour assurer la sécurité du patient, le traitement des troubles de l'humeur peut nécessiter une hospitalisation. L'abord psychothérapique (psychothérapie familiale, cognitive, psychanalytique, comportementale, interpersonnelle) et les traitements pharmacologiques sont à la base du traitement.

Le traitement du patient atteint de troubles de l'humeur doit être défini en fonction de plusieurs objectifs (H.I. Kaplan, B.J. Sadock) :

- la sécurité du patient doit être garantie et c'est là que doit se discuter l'utilité d'une hospitalisation en fonction du risque vital pour le patient et en fonction du soutien familial dont il peut disposer. Dans le cas où l'état clinique ne permet pas le consentement éclairé du patient, une mesure d'hospitalisation sous contrainte sera nécessaire ;

- il faut réaliser une évaluation diagnostique complète du patient ;

- une stratégie thérapeutique à la fois pharmacologique et psychothérapeutique doit être mise en oeuvre. Il faudra non seulement envisager la lutte contre les symptômes de l'accès actuel, mais aussi penser à assurer le long terme. Le traitement doit s'efforcer de réduire le nombre et la sévérité des facteurs de stress dans l'existence du patient. En raison du risque d'évolution chronique, le patient et sa famille doivent être informés des stratégies ultérieures de traitement. Il est capital de créer une alliance thérapeutique avec le patient, de l'informer sur son traitement afin d'obtenir une meilleure observance, et d'augmenter ses capacités de dépistage personnel d'une rechute ultérieure.

HOSPITALISATION

L'hospitalisation est indiquée en fonction de la gravité de la symptomatologie, du risque suicidaire ou d'homicide, d'une altération importante de l'aptitude du patient à se nourrir et à se protéger, de la qualité de son entourage familial. Le système de soutien du patient doit être solide sans jamais surinvestir ni désinvestir le patient. Un trouble thymique sévère, soit en raison du ralentissement idéique, soit en raison du manque de conscience de la maladie, peut altérer la capacité du patient à exprimer un consentement éclairé à ses soins. Dans cette situation, l'hospitalisation sous contrainte dans le cadre défini par la loi sera nécessaire.

Le premier contact du patient avec l'hôpital est fondamental et il convient d'insister sur l'importance de l'accueil et de la prise en charge de ce patient qu'il faut surveiller, étayer et contenir durant cette période à haut risque.

ABORD PSYCHOTHÉRAPIQUE

Abord psychoéducatif.

Le trouble bipolaire est une maladie chronique qui nécessite une prise en charge thérapeutique durant la vie entière. Il est essentiel que le patient connaisse bien sa maladie, ses points faibles, afin de lutter contre eux plus efficacement. L'accès à des informations de qualité sur la maladie et ses risques ne peut qu'être bénéfique.

Une meilleure connaissance de la maladie, et notamment l'apprentissage du repérage des signes précoces de dépression ou d'accès maniaque, est le meilleur garant d'une prévention du risque de rechute. Cet abord psychoéducatif du trouble bipolaire peut être considéré comme un préambule à une psychothérapie.

Psychothérapie d'inspiration psychanalytique.

La psychothérapie d'inspiration psychanalytique met en exergue l'importance de l'inconscient et des conflits que notre conscience ne peut porter au grand jour. La psychothérapie vise à promouvoir un changement de la personnalité par la compréhension des conflits passés. Il s'agit de permettre l'élaboration de la perte d'objet et de la réaction de deuil consécutive.

Psychothérapie familiale.

La famille, et principalement le couple, ont été considérés comme facteurs de première importance. L'équilibre familial est le plus souvent mis à mal en raison des conséquences des accès thymiques. Le conjoint du patient est impliqué dans tous les moments de l'évolution et intervient incontestablement dans le pronostic de la maladie. La prise en compte de la relation conjugale de ces patients est donc une « pièce maîtresse » de la thérapeutique. La vulnérabilité du patient et la compétence de la famille peuvent être vues comme des forces interagissant. Cette forme de psychothérapie vise donc à renforcer les équilibres au sein de la famille en faisant appel aux compétences de chacun.

Psychothérapie cognitive.

Le but de la psychothérapie cognitive est de repérer et de modifier les systèmes de pensées (cognition) qui sont des points de vulnérabilité chez les personnes bipolaires : la mauvaise estime de soi, les pensées négatives, l'hypersensibilité émotionnelle et la mauvaise gestion du stress.

Thérapie comportementale.

La thérapie comportementale est fondée sur l'hypothèse qu'en raison de modèles comportementaux inadaptés, le sujet se sent mal à l'aise dans la vie en société et parfois même rejeté. La thérapie s'intéresse aux comportements inadaptés et le patient apprend à fonctionner dans le monde de façon à recevoir un renforcement positif. Ce type de thérapie paraît efficace principalement pour les accès dépressifs.

Thérapie interpersonnelle.

La thérapie interpersonnelle se concentre sur un ou deux problèmes interpersonnels actuels du patient. Elle se base sur deux hypothèses : les problèmes interpersonnels actuels ont leur origine dans des relations dysfonctionnelles précoces et les problèmes interpersonnels actuels sont susceptibles d'intervenir dans l'aggravation ou le maintien des symptômes dépressifs actuels.

TRAITEMENTS PHARMACOLOGIQUES

Traitements pharmacologiques des états dépressifs.

Médicaments antidépresseurs. Les médicaments antidépresseurs ont profondément modifié l'évolution des troubles dépressifs. Les produits de référence sont :

- les antidépresseurs tricycliques essentiellement imipraminiques ;

- les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) ;

- les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) ;

- les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) ;

- Les antidépresseurs non imipraminiques, non IMAO.

Ils agissent sur les voies et/ou de la sérotonine et/ou de la dopamine et/ou de la noradrénaline.

Règles de prescription. Les médicaments antidépresseurs doivent être prescrits à des doses suffisantes. Un produit est inefficace pour un patient donné si celui-ci ne voit aucune amélioration de son état au bout d'au moins un mois de traitement à dose thérapeutique efficace. Si un patient a déjà présenté un état dépressif ayant répondu favorablement à un produit donné, ce dernier doit être à nouveau choisi en première intention.

Un traitement efficace doit être poursuivi au moins six mois, parfois même jusqu'à douze mois, après la rémission complète des symptômes dépressifs, afin de limiter les risques de récidives.

Une surveillance clinique, biologique et diététique ainsi qu'un bilan (biologique, cardiologique, ophtalmologique, urinaire) sont souvent indispensables lors de la mise en place et du suivi de certains produits, notamment des tricycliques et des IMAO. Une prise de poids peut survenir avec la plupart de ces produits.

Pour certains antidépresseurs, il existe une dissociation entre l'action désinhibitrice, qui intervient rapidement, et l'action antidépressive, qui intervient plus tard. Cette connaissance est importante : le risque suicidaire dans la mélancolie est très élevé après une semaine de traitement, où l'humeur reste encore dépressive, tandis que la levée de l'inhibition augmente les possibilités de passage à l'acte.

Choix du produit. Le choix du produit est fonction :

- de la clinique observée (prévalence de l'humeur, du ralentissement psychomoteur, de symptômes somatiques, anxiété associée ou non, risque suicidaire) ;

- des effets prioritairement recherchés (sédatifs ou désinhibiteurs) ;

- de la famille pharmacologique du produit ;

- des effets indésirables.

Il doit être précédé d'une analyse du rapport bénéfice escompté/risque encouru.

Les produits dits de la nouvelle génération (IRS, IRSNA) ont un délai d'action plus rapide que celui des tricycliques et des IMAO qui est de 15 à 21 jours. Ces nouveaux antidépresseurs, sur le plan de la tolérance, permettent une plus grande sécurité d'emploi que les tricycliques et les IMAO. Ils ont par conséquent tendance à être utilisés de plus en plus fréquemment en première intention dans le traitement des syndromes dépressifs, même majeurs.

De manière générale, on évite la prescription simultanée de deux antidépresseurs. En cas de dépression récurrente de type mélancolique, l'association antidépresseur-thymorégulateur est envisageable. Des associations antidépresseur-neuroleptique sont utilisées dans les dépressions avec idées délirantes. L'association d'un traitement anxiolytique et/ou hypnotique peut être utile, en fonction de l'intensité des manifestations anxieuses et de troubles du sommeil. L'association d'une chimiothérapie et d'une psychothérapie est vivement recommandée.

Enfin, savoir écouter et prescrire sont deux actes indissociables. « Prescrire, c'est déjà un acte psychothérapique » (Lempérière).

L'électroconvulsivothérapie. L'électroconvulsivothérapie ou sismothérapie (ECT) est réalisée sous anesthésie générale et curarisation, pour limiter les effets secondaires (lésions dentaires, effets neurologiques, luxations, rares fractures). Elle provoque une crise comitiale généralisée au moyen d'un courant électrique faible et très bref, appliqué à la surface du crâne. L'ECT peut être utilisée dans les états dépressifs majeurs, isolés ou récurrents : en première intention lorsque le pronostic vital est engagé (risque suicidaire important, altération grave de l'état général) ou en présence de signes psychotiques associés (mélancoliques) ; en deuxième intention lorsque les thérapeutiques pharmacologiques ont échoué ou ont été mal tolérées. L'ECT a une efficacité comparable aux antidépresseurs dans les dépressions majeures avec une efficacité à court terme chez près de 80 % des patients. Le nombre de séances nécessaires varie de cinq à vingt. Des troubles de mémoire peuvent être observés ; ils disparaissent généralement après quelques semaines.

La sismothérapie peut être utile dans les états maniaques aigus ou les états mixtes lorsque l'agitation est mal contrôlée par les thérapeutiques médicamenteuses, ou en cas d'échec de celles-ci. Elle peut être indiquée devant une manie délirante ou confuse. L'information et le consentement du patient et/ou de son entourage sont nécessaires. Un bilan préalable (pré-anesthésique, cardiovasculaire, ophtalmologique et dentaire) est réalisé afin d'éliminer d'éventuelles contre-indications.

Photothérapie. Certains états dépressifs majeurs sont caractérisés par leur apparition à une certaine époque de l'année, le plus souvent en hiver : on a ainsi délimité les troubles saisonniers de l'humeur pour lesquels l'effet antidépresseur de la lumière a été suggéré.

Après un bilan ophtalmologique, les patients déprimés saisonniers sont placés devant un écran en plastique qui laisse diffuser l'ensemble du spectre de la lumière visible et une partie des ultra-violets, émis par des rampes lumineuses. L'effet antidépresseur survient entre le troisième et le septième jour du traitement, et provoque une amélioration de la symptomatologie dans 60 à 80 % des cas.

Les contre-indications sont rares. On retiendra les ophtalmopathies en raison du risque de toxicité des ultra-violets, les photoallergies (porphyrie ou traitement photosensibilisant) et enfin les sujets instables et impulsifs en raison du risque de virage hypomaniaque.

Traitements pharmacologiques des troubles bipolaires.

L'approche pharmacologique a révolutionné le traitement et a considérablement influencé l'évolution des troubles bipolaires. Les principales classes utilisées sont les thymorégulateurs (lithium, divalproate et carbamazépine), les neuroleptiques et les antidépresseurs. D'autres classes comme les benzodiazépines ou les hormones thyroïdiennes peuvent présenter un certain intérêt dans des indications plus limitées.

Le traitement pharmacologique du trouble bipolaire est actuellement bien codifié dans des recueils de recommandations élaborés par des groupes de travail d'experts qui ont abouti à des consensus (Sachs, Printz, Kahn, Carpenter, Docherty).

Premier épisode maniaque. Les experts considèrent que l'utilisation d'un thymorégulateur seul constitue le tableau de choix pour la manie euphorique, la manie dysphorique ou l'hypomanie. L'association d'un antipsychotique de préférence atypique aux thymorégulateurs est recommandée dans les cas de manies avec signes psychotiques associés.

En ce qui concerne le choix du thymorégulateur, le divalproate et le lithium constituent les traitements de choix dans tous les sous-types de manies. La carbamazépine apparaît comme une alternative aux précédents traitements.

Épisode dépressif dans le cadre d'un trouble bipolaire. Dans les états dépressifs d'intensité légère à modérée ou chez les patients pour lesquels un traitement antidépresseur a induit un virage maniaque, les experts préfèrent l'utilisation d'un thymorégulateur seul (lithium).

En cas de dépression sévère, l'association thymorégulateur avec antidépresseur est fortement recommandée. Dans ce cas, les experts ont établi une classification au sein des antidépresseurs afin de recommander un ordre de préférence.

Formes à cycle rapide : pour les formes à cycle rapide en phase maniaque, le divalproate est le traitement préconisé. La carbamazépine et le lithium sont des alternatives.

En phase dépressive des cycles rapides, ce sont respectivement le divalproate et le lithium qui sont conseillés.

Les adjonctions d'antidépresseurs (en phase dépressive) ou d'antipsychotiques (en phase maniaque) n'apparaissent que comme des recommandations de second, voire de troisième rang.

Traitement préventif d'entretien. Les experts recommandent l'utilisation du divalproate ou du lithium ou l'association des deux lors du traitement à long terme, et ce en fonction de ce qui a été efficace en phase aiguë.

Bilan. L'utilisation d'un thymorégulateur est recommandée à toutes les phases du traitement d'un trouble bipolaire, en phase aiguë comme en phase prophylactique. Quel que soit le produit utilisé en premier lieu, si la monothérapie échoue, l'intervention thérapeutique recommandée en seconde intention est une association de ces deux thymorégulateurs.

La trithérapie divalproate/lithium/carbamazépine a parfois été citée pour le traitement des formes résistantes. Enfin, dans ces formes résistantes, l'utilisation de l'électroconvulsivothérapie, de la clozapine, des hormones thyroïdiennes, apparaissent comme des stratégies thérapeutiques sur lesquelles les experts recommandent de s'appuyer.