Les états dépressifs - L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 181 du 01/04/2003

 

Cours

Caractérisés par une tristesse pathologique, une inhibition psychomotrice et des symptômes de retentissement somatique, les états dépressifs revêtent différentes formes cliniques. Ils sont parfois évolutifs et varient en fonction de l'âge.

SYNDROME DÉPRESSIF

Le terme dépressif vient du latin depressio : enfoncement. Il signifie abaissement, mise en bas, empreinte en creux, concavité (dictionnaire Littré). Il était utilisé en anatomie, physiologie et chirurgie. Ce n'est que vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle que le terme de dépression commence à être adopté dans le langage psychiatrique. Avec Kraepelin, la dépression prend un sens plus strict et rigoureux : « Premièrement, un symptôme consistant et un sentiment de tristesse pathologique, deuxièmement, un syndrome dont le symptôme dépression est un élément généralement essentiel. » Dans le langage courant, elle renvoie aussi bien à un état morbide qu'à un tempérament, une disposition psychologique, un relâchement des résistances ou carrément la folie.

La dépression, dans la clinique psychiatrique, désigne un état pathologique caractérisé par :

- la tristesse pathologique ou douleur morale (humeur dépressive) ;

- l'inhibition psychomotrice ;

- des symptômes de retentissement somatique.

Humeur dépressive.

L'humeur dépressive est un état de tristesse pathologique qui peut aller jusqu'à la douleur morale intense. Elle s'exprime de différentes manières :

- par un sentiment d'ennui, de perte de la capacité à éprouver du plaisir (anhédonie), la perte des intérêts, qui dans des formes plus graves, se manifeste par une sorte d'anesthésie affective : « Je n'ai plus de sentiment, je ne ressens plus d'émotions » ;

- par des troubles de la pensée congruant à l'humeur dépressive : dévalorisation de soi, sentiment d'être un « bon à rien », culpabilité, avec ou sans auto-accusation, perte de l'estime de soi... Dans des formes plus graves, on observe une altération de la préhension de la réalité plus ou moins marquée : sentiment d'incompréhension ou de manque d'aide du monde extérieur : « Je ne suis pas compris, personne ne m'aide » ; projection de la responsabilité de ces troubles sur autrui qui peut prendre parfois un caractère délirant (délire de préjudice ou de persécution) ;

- par du pessimisme, un sentiment d'incurabilité, une incapacité de se projeter, ou une projection péjorative, dans l'avenir ;

- parfois, cette tristesse pathologique s'exprime à travers la mimique : douleur morale avec oméga mélancolique.

Inhibition psychomotrice.

L'inhibition psychomotrice se traduit par la fatigabilité, l'asthénie, l'adynamie et le ralentissement moteur et psychique.

Le patient éprouve un sentiment de fatigue pathologique en ce sens qu'elle survient au repos, au moindre effort ou même au réveil. Ce sentiment de lassitude est souvent associé à une inertie (incapacité à commencer une action), une aboulie (inhibition de la volonté), une perte d'initiative et, dans les formes les plus graves, à une impossibilité d'assumer les actes les plus courants de la vie : se laver, se raser, s'habiller, etc.

Le ralentissement moteur est la diminution, la lenteur de toute activité motrice. Il peut atteindre plusieurs degrés et aboutir à la stupeur, qui est la disparition de toute activité motrice. Le plus souvent, on observe :

- une bradykinésie : hypotonie, lenteur des mouvements, inertie motrice ;

- une bradyphémie : lenteur du débit verbal qui peut atteindre la prosodie (tonalité basse et absence de modulation de la voix), et le mutisme (absence de parole);

- des troubles de l'expression mimique allant de l'hypomimie (rareté des mouvements) jusqu'à l'amimie (immobilité complète).

Le ralentissement psychique ou bradypsychie se traduit par le ralentissement de l'ensemble des opérations mentales :

- troubles de la mémoire à type de dysmnésie (mémoire défaillante, imprécise, oublis fréquents) ;

- troubles de la concentration avec baisse de l'attention ou impossibilité de la fixer (aprosexie) ;

- troubles de la compréhension ;

- ralentissement du flux idéique et difficultés de passer d'une idée à une autre ;

- ruminations mentales à thème dépressifs.

Pour certains auteurs (Widlocher), le ralentissement psychomoteur est au centre du syndrome dépressif, plus que l'humeur dépressive ou la douleur morale.

Des symptômes de retentissement somatique.

Anxiété. L'anxiété se traduit en règle générale par un sentiment de nervosité et différents symptômes comme : dyspnée, suffocation, « noeud » à la gorge ou estomac « serré », tachycardie, palpitations, sécheresse des muqueuses, sensation d'oppression et constriction thoracique, sueurs, pâleur, etc. Pour certains auteurs (Lopez-Ibor), certaines manifestations d'agitation anxieuse constituent des équivalents dépressifs (cf. infra).

Dans son versant psychique, l'anxiété se manifeste par une impression de danger ou de catastrophe, vague mais imminente, une sensation d'être sur le point de mourir, le sentiment d'une impossibilité de se défendre. Cette expérience a une connotation pénible, insupportable et plonge le sujet dans un état où il s'irrite facilement, présente des crises de colère ou de larmes, souvent pour des causes minimes.

L'école psychiatrique française confère traditionnellement un sens différent aux deux termes d'angoisse et d'anxiété : l'angoisse traduit l'expression corporelle du phénomène, ses manifestations somatiques. L'anxiété en définit l'état psychique, ce qui implique un certain degré d'élaboration.

De nos jours, ces nuances semblent s'estomper au profit d'une différence d'intensité : on parle volontiers d'angoisse psychotique, alors que le terme d'anxiété est réservé à des manifestations moins envahissantes qui sont le propre des sujets névrotiques, ou qui accompagnent des troubles de l'humeur. Cependant, différencier sur le plan clinique « l'anxiété pure » de l'anxiété du déprimé est difficile : les symptômes associés peuvent y aider.

Troubles du sommeil. L'hypersomnie, qui s'accompagne souvent de clinophilie (on reste dans son lit) est beaucoup moins fréquente que l'insomnie. Le patient se plaint de se réveiller fatigué ou de souffrir d'insomnies :

- insomnie inaugurale ou d'endormissement, qui est souvent liée à l'anxiété (il met une ou deux heures avant de s'endormir) ;

- insomnie terminale ou matinale, qui est un signe dépressif, parfois même mélancolique (il se réveille trop tôt le matin et n'arrive pas à se rendormir) ;

- insomnies qui cèdent mal aux somnifères et où les douleurs somatiques associées résistent aux antalgiques habituels, souvent suspectes de constituer un signe avant-coureur d'un état dépressif.

Troubles de l'alimentation. Dans de nombreux cas, la perte de l'appétit accompagne le syndrome dépressif. Cette anorexie peut conduire à un amaigrissement important : il est considéré comme significatif si la perte de poids représente au moins 5 % du poids corporel au cours du dernier mois. Elle peut être accompagnée d'un certain nombre de difficultés fonctionnelles (déglutition, nausées, vomissements, constipation), associées à une perte du goût ou la sensation d'une odeur désagréable des aliments. Parfois, le déprimé mange lentement et souvent ne finit pas son assiette.

Douleurs et troubles somatiques. Les symptômes somatiques révélateurs d'un état dépressif peuvent appartenir à plusieurs registres. Les douleurs (brachialgies, douleurs sciatiques, douleurs cervicales) sont fréquentes ainsi que des céphalées et d'autres phénomènes végétatifs (bouche sèche, météorisme, constipation mais également diarrhée chronique, hypotension...). Ces mêmes symptômes peuvent se rencontrer lors de troubles anxieux ou constituer les effets secondaires de certains traitements antidépresseurs, d'où la nécessité d'un interrogatoire attentif.

Troubles sexuels. Fréquents dans les pathologies dépressives, les troubles sexuels sont de plusieurs types :

- chez l'homme, diminution ou disparition totale du désir ou du plaisir de l'acte sexuel et troubles de l'érection, voire impuissance (l'absence d'érection matinale et d'activité autoérotique orientent le diagnostic différentiel vers une pathologie organique) ;

- chez la femme, l'absence de désir et de plaisir de l'acte sexuel (frigidité) est le symptôme le plus fréquent. Le vaginisme (contraction involontaire des muscles entourant l'orifice vaginal) est présent lors de pathologies dépressives associées à une symptomatologie phobique ou hystérique.

FORMES CLINIQUES DE LA DÉPRESSION

La dépression ne s'exprime pas de manière univoque. Il est par conséquent important de présenter les différentes formes cliniques qu'elle peut revêtir. Il existe deux grands modèles par rapport aux états dépressifs : le modèle unitaire (Kendell) qui voit les différents types de dépressions observées comme les variations individuelles d'une seule maladie, et le modèle dichotomique (Pichot, Roth, Deniker) qui voit dans les différentes formes de dépressions des maladies différentes.

Différentes classifications des états dépressifs ont été proposées, chacune cherchant à rendre compte des effets cliniques observés, de l'évolution des troubles et des hypothèses étiologiques.

Le plus souvent, la classification retenue (Hardy-Baylé) distingue les troubles thymiques primaires et les troubles thymiques secondaires.

Troubles thymiques primaires

Au cours des troubles thymiques primaires, l'état dépressif résume la maladie du sujet. En d'autres termes, il y a absence de toute affection médicale ou tout autre trouble psychique antérieur ou contemporain aux troubles de l'humeur.

Dépressions endogènes. Affections sévères, les dépressions endogènes se rapprochent du modèle clinique de la mélancolie. Elles peuvent être isolées ou à évolution périodique (troubles bipolaires, PMD) ou récurrentes.

Dépressions psychogènes. Les dépressions psychogènes sont des troubles plus bénins dont on différencie schématiquement trois formes :

- dépression névrotique, marquée par la réactivation, dans la situation actuelle, de carences ou d'un vécu abandonnique de l'enfance (à distinguer ainsi des dépressions survenant sur une névrose) ;

- dépression d'épuisement, suite à une accumulation de tensions ou stress psychologiques ;

- dépression réactionnelle, suite à des traumatismes affectifs (deuils, abandons, échecs...).

Troubles thymiques secondaires

Les troubles thymiques secondaires succèdent ou sont associés à une autre affection somatique ou à d'autres entités psychiatriques, sans relation de causalité entre ces affections.

Dépressions secondaires à des affections somatiques. Les affections organiques en cause sont nombreuses : affections cérébrales (tumeurs frontales ou temporales, sclérose en plaques, épilepsie), maladie d'Alzheimer, endocrinopathies (hypothyroïdies, maladie d'Addison, syndrome de Cushing), affections générales (infarctus du myocarde, tuberculose, cancers, rectocolite hémorragique, etc.), longues chimiothérapies (certains anti-hypertenseurs, corticoïdes, antiépileptiques, antidiabétiques, psychotropes, oestroprogestatifs, anorexigènes, etc.), et sevrages chez l'alcoolique ou le toxicomane. La symptomatologie dépressive est souvent associée à des symptômes confusionnels et résiste volontiers aux traitements antidépresseurs ; dominent l'asthénie, l'aboulie et les troubles du caractère. L'évolution est souvent chronique.

Dépressions secondaires à d'autres maladies psychiatriques. Elles peuvent survenir au cours d'une névrose phobique, hystérique ou obsessionnelle, au cours d'un délire chronique, ou au cours d'une psychose schizophrénique (dépression atypique inaugurale - cf. infra - ou dépression modérée lors d'un début insidieux de schizophrénie ou dépression post-psychotique au décours d'une poussée schizophrénique lorsque les éléments délirants ont régressé).

FORMES ÉVOLUTIVES DE LA DÉPRESSION

Épisode dépressif majeur (épisode isolé)

Il est caractérisé par la présence pendant au moins quinze jours, d'au moins cinq des symptômes suivants et représente une rupture par rapport au fonctionnement antérieur du sujet : humeur dépressive pratiquement toute la journée, apathie, anorexie et perte de poids, troubles du sommeil, ralentissement psychomoteur, asthénie, sentiment d'indignité ou de culpabilité, inhibition de la pensée, idées suicidaires ou tentatives de suicide.

Trouble dépressif récurrent

Ce trouble se rapproche du trouble unipolaire ou des troubles bipolaires type III. Il est caractérisé par la survenue répétée d'épisodes dépressifs, en l'absence de tout antécédent d'épisodes d'exaltation de l'humeur et d'augmentation de l'activité répondant aux critères d'une manie. Le trouble peut toutefois comporter de brefs épisodes caractérisés par une légère élévation de l'humeur (hypomanie) succédant immédiatement à un épisode dépressif. L'âge de la survenue, la sévérité, la durée et la fréquence des épisodes dépressifs sont très variables. Le premier épisode survient généralement plus tardivement que dans les troubles bipolaires, habituellement au cours de la quatrième ou cinquième décennie. Comme dans les troubles bipolaires, chaque épisode persiste pendant trois à douze mois (environ six mois en moyenne) mais les récidives sont moins fréquentes que dans les troubles bipolaires. Entre les épisodes, le sujet ne présente habituellement aucun symptôme dépressif. Dans de rares cas, le trouble peut évoluer vers une dépression persistante ou dépression chronique. Elle est considérée comme telle si elle évolue depuis plus de deux ans sans intervalle libre de symptômes.

Les dépressions chroniques semblent représenter entre 12 et 15 % des cas de troubles de l'humeur. Les épisodes dépressifs sont souvent déclenchés par des événements stressants. Ce trouble est deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes et ce, dans de nombreuses cultures différentes. Le risque de survenue d'un épisode maniaque ne peut jamais être complètement écarté, quel que soit le nombre d'épisodes dépressifs déjà survenus. En cas d'apparition d'un épisode maniaque, le diagnostic doit être modifié pour celui de troubles affectifs bipolaires.

Enfin, il faut distinguer le cas de dépressions dites résistantes : il s'agit de patients insensibles aux traitements pourtant correctement choisis, dosés et administrés pendant un temps suffisant ; ou d'autres chez lesquels telle molécule s'étant avérée efficace, semble inactive lors d'une deuxième prescription.

Troubles de l'humeur persistants

Troubles cyclothymiques. Les troubles cyclothymiques sont une instabilité persistante de l'humeur comportant de nombreuses périodes de dépression ou d'élation légère, aucune de celles-ci n'étant suffisamment sévère ou prolongée pour justifier un diagnostic d'épisode dépressif ou maniaque. Ce trouble ne répond ainsi ni aux critères d'un trouble affectif bipolaire ni à ceux d'un trouble dépressif récurrent. Cette instabilité débute habituellement chez le jeune adulte et évolue sur un mode chronique, même si l'humeur peut être normale et stable durant plusieurs mois. Comme les fluctuations de l'humeur sont peu importantes et les périodes d'élation habituellement modérées, voire parfois agréables, une cyclothymie n'amène pas forcément à consulter.

Troubles dysthymiques. On observe une dépression chronique de l'humeur, mais dont la sévérité est insuffisante ou la durée des différents épisodes trop brève pour justifier un diagnostic de troubles dépressifs récurrents. Le trouble peut toutefois avoir répondu aux critères d'un épisode dépressif dans le passé, en particulier au moment de son installation. La fréquence et la durée des périodes de dépression et des périodes d'humeur relativement normale, sont très variables. Les sujets présentent habituellement des périodes de quelques jours ou quelques semaines durant lesquelles ils se sentent bien mais, pendant plusieurs semaines consécutives, ils se sentent fatigués et déprimés. Le trouble dysthymique présente de nombreux points communs avec le concept de dépression névrotique.

AUTRES TROUBLES DE L'HUMEUR

Dépression masquée

La dépression masquée est définie comme un processus dépressif se manifestant en premier lieu sur le plan somatique (douleurs atypiques, fixes et persistantes, notamment céphalées, lombalgies et autres algies, troubles digestifs et cardiovasculaires), alors que les symptômes spécifiques de la dépression n'existent qu'en arrière-plan. On peut ainsi retrouver l'inhibition, l'insomnie et la perte du goût, notamment sexuel.

Le diagnostic peut s'appuyer sur : l'absence de cause organique, l'existence d'antécédents dépressifs familiaux, la disproportion entre la souffrance physique alléguée et l'incapacité fonctionnelle constatée, la périodicité ou l'évolution phasique des troubles (ils alternent parfois avec des troubles dépressifs plus typiques), et l'épreuve thérapeutique : inefficacité des traitements symptomatiques (antalgiques ou autres) et efficacité des antidépresseurs.

Troubles atypiques de l'humeur

La dépression atypique désigne, dans la tradition psychiatrique française, un mode particulier d'entrée dans la schizophrénie, chez l'adolescent ou le jeune adulte. D'installation lente et insidieuse, elle est marquée par :

- un fléchissement de l'activité avec baisse des rendements chez une personne connue pour son assiduité. Ce désintérêt concerne surtout les activités de contact et de communication. Il peut s'associer à un goût particulier récent pour les tenues vestimentaires insolites ou excentriques ou les sciences occultes, les phénomènes cosmiques, etc. ;

- une modification de l'affectivité : le patient semble indifférent aux joies et aux peines. Il réagit parfois même de manière paradoxale et inopinée ;

- le caractère paradoxal de certains symptômes dépressifs : anorexie qui prend la forme de régimes originaux ou excentriques ; plaintes hypochondriaques associées à des idées d'incurabilité ou de contraction d'une maladie « honteuse »...

Le diagnostic différentiel est à établir entre un trouble schizo-affectif ou un mode d'entrée dans la schizophrénie. La présence d'un sentiment de dépersonnalisation et d'idées délirantes mal systématisées peut orienter en ce sens. L'épreuve thérapeutique peut constituer une aide au diagnostic.

EXPRESSION DES TROUBLES DÉPRESSIFS SELON L'ÂGE

Chez l'adolescent

Devant les portes qui le mènent à la vie adulte, sans encore y accéder, le jeune se trouve contraint d'abandonner ses objets, ses comportements, ses conduites de l'enfance. Ces séparations, ces ruptures, ne vont pas sans angoisse, sans doute sur sa valeur et ses capacités à prendre sa place dans le monde des adultes. L'adolescence est alors la période idéale pour l'installation d'un état dépressif.

Il se traduit par des manifestations comportementales (passages à l'acte, fugues, actes de petite délinquance, tentatives de suicide, toxicomanie occasionnelle), des plaintes somatiques portant sur l'image du corps (préoccupations concernant l'esthétique, la forme, le poids, l'apparence, voire des craintes dysmorphophobiques), un sentiment d'infériorité (doutes sur ses propres capacités intellectuelles et physiques, sur ses capacités d'être en relation avec autrui, sur l'intérêt ou l'estime qu'il peut susciter chez l'autre) et des crises anxieuses avec manifestations phobiques (crainte, voire phobie portant sur son activité mentale). La participation familiale et environnementale (amis, école) à ces symptômes est intense et les risques suicidaires s'avèrent élevés.

Chez le sujet âgé.

Le nombre de personnes du troisième âge risquant de présenter un état dépressif est de trois à quatre fois plus élevé que celui de la population générale. Il en est de même pour les tentatives de suicide réussies. Ces constatations amènent à réfléchir sur certains critères spécifiques de la dépression du sujet âgé.

Darcourt propose trois critères pour faciliter ce repérage :

- le désintérêt est disproportionné par rapport aux aptitudes physiques et intellectuelles conservées ;

- le désintérêt s'amplifie brusquement ;

- il atteint le dernier centre d'intérêt qu'est celui de la nourriture, d'où la grande valeur sémiologique de l'anorexie dans les dépressions du troisième âge.

Il paraît utile de souligner l'importance des troubles physiques, volontiers axés sur la fonction alimentaire et digestive, la fréquence des troubles du caractère (irritabilité, méfiance, tendance à des conduites hostiles et agressives) et l'aspect dépressiogène des divers traitements médicamenteux somatiques.

Deux diagnostics différentiels se posent souvent devant une suspicion de dépression chez le sujet âgé : la maladie d'Alzheimer et les autres détériorations mentales, qui peuvent se confondre avec un état dépressif et la maladie de Parkinson dont la lenteur physique, l'aspect figé du faciès et de la démarche, la raréfaction des gestes peuvent se confondre avec l'inhibition psychomotrice du déprimé.

ÉVALUATION QUANTITATIVE DES ÉTATS DÉPRESSIFS

On observe actuellement un intérêt croissant pour l'utilisation des échelles d'évaluation des troubles dépressifs. Elles introduisent des critères standardisés, sinon objectifs, dans l'analyse sémiologique. Les plus fréquemment utilisées sont : l'échelle de Hamilton, la MADRS (Montgomery), l'échelle HARD (Ferreri) qui propose un diagramme en fonction de l'humeur, de l'angoisse, du ralentissement et du danger suicidaire et l'échelle de ralentissement (Widlocher).

En résumé

> Quelle que soit la nature des symptômes, l'attention doit être attirée par le changement brutal opéré dans la vie du sujet : les symptômes apparaissent comme une rupture par rapport à son état antérieur.

> La symptomatologie dépressive peut représenter des variations nycthémérales : on observe très souvent une amélioration vespérale du tableau clinique ; en revanche, l'humeur dépressive ne varie guère d'un jour à l'autre ou selon les circonstances.

> Une durée de deux semaines est habituellement exigée pour le diagnostic d'épisode dépressif, quelle que soit son intensité ; une durée plus courte peut éventuellement suffire lorsque les symptômes sont exceptionnellement sévères et d'installation rapide.

> La reconnaissance d'un état dépressif impose d'évaluer attentivement le risque suicidaire.

Évaluation du risque suicidaire

Toute TS, même mineure, doit être prise très au sérieux.

> Devant tout syndrome dépressif, il faut penser à l'éventualité des risques de suicide. Les différentes enquêtes ont montré que beaucoup de suicidés ou de suicidants(1) avaient consulté récemment leur médecin avant de réaliser leur acte.

> Demander au patient s'il a des idées de suicide. Beaucoup de suicidés ou de suicidants avaient exprimé ouvertement leur intention dans les jours ou semaines précédant leur passage à l'acte (deux tiers selon les estimations). Il vaut mieux oser poser ces questions plutôt que d'encourir le risque d'un acte aux conséquences souvent graves.

> Évaluer avec le sujet ce qui peut le retenir ou au contraire l'inciter à commettre cet acte.

> Évaluer les facteurs de risques :

- sexe : deux à trois hommes pour une femme en matière de suicide, l'inverse pour les tentatives de suicide ;

- âge : le risque augmente avec l'âge ;

- isolement social et affectif ;

- veuvage ou changement brutal de situation matrimoniale ;

- chômage et, plus particulièrement, rupture récente d'activité professionnelle ;

- antécédents personnels ou familiaux de tentatives de suicide ;

- troubles psychiques associés : alcoolisme et toxicomanie, troubles paniques, schizophrénie, états limites, troubles graves de la personnalité ;

- maladies somatiques chroniques.

> Évaluer les facteurs de risque caractéristiques de l'épisode dépressif :

- anxiété ou insomnie sévères ;

- anhédonie ;

- désespoir ;

- idées délirantes ;

- idées envahissantes de suicide ;

- sévérité globale des symptômes dépressifs ou états mélancoliques : suicide inaugural, en début d'accès mélancolique ou suicide en cours de traitement, par la levée de l'inhibition psychomotrice.

> Interroger la famille tout en sachant qu'un déprimé très suicidaire peut échapper à la surveillance de son entourage, et parfois même des soignants.

1- Le suicidant est une personne ayant fait une tentative de suicide ; le suicidaire une personne exprimant des idées ou une intention suicidaire.