Infirmières, assurez vos arrières ! - L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003

 

Enquête

- Dans un contexte de surcharge de travail, la faute professionnelle menace plus souvent l'infirmière - Elle encourt des sanctions pénales et disciplinaires plutôt que financières - La non-assistance à personne en danger est lourdement sanctionnée par la justice.

La santé n'échappe pas à la judiciarisation croissante de la société. Quelles sont les responsabilités infirmières ? Comment exercer son métier en restant dans le cadre de la définition juridique de ses compétences ? En cas de dépassement de ses responsabilités, quels sont les risques encourus ? Autant de questions angoissantes, que beaucoup d'infirmières se posent, surtout à l'heure où pénurie, surcharge de travail et sur-responsabilisation faussent les repères habituels, et sèment le doute entre ce qu'elles devraient faire et ce qu'elles font.

Responsabilité civile.

La définition de la responsabilité civile donnée par Gilles Devers, avocat et ancien infirmier, dans son livre La Responsabilité infirmière, est claire : la responsabilité civile ou administrative a pour objet l'indemnisation de la victime par le responsable. On agit en responsabilité civile contre une clinique, personne morale de droit privé, devant le tribunal de grande instance. En revanche, on agit en responsabilité administrative contre un hôpital, devant le tribunal administratif.

Le principe de base du droit civil est que quiconque cause à autrui un dommage, même involontaire (par négligence, inattention), doit le réparer (art.1382 et 1383 du Code civil). De plus, l'infirmière est non seulement responsable des dommages résultant de ses propres actes, mais aussi de ceux des personnes dont elle doit répondre, ou des choses qu'elle a sous sa garde ou sous sa surveillance (art. 1384 du Code civil).

Pour Gilles Devers, en matière civile, la faute de l'infirmière engage la responsabilité de l'employeur, que l'infirmière soit agent de la fonction publique ou salariée d'une clinique. Une seule exception : la « faute détachable », d'une très haute gravité, ne peut être rattachée au service et à l'exercice de la fonction infirmière. La faute détachable entraîne une action récursoire de la part de l'établissement où exerçe l'infirmière. En clair, l'établissement se retourne contre l'infirmière qui doit alors verser des indemnités. Jusqu'à présent, ce type de faute était rarissime. Cependant, depuis peu, la faute détachable de service se développe. Par exemple, si une personne âgée que l'on force à manger s'étouffe à la suite d'un « repas » administré par seringue de gavage, cela est retenu comme une faute détachable de service.

Cette exception faite, même un glissement de tâche est pris en charge par l'établissement, et non par l'infirmière. Le risque est donc réel, selon Gilles Devers, mais il n'est pas financier. Il se situe à un niveau pénal et disciplinaire. S'il y a plus de recours qu'avant, il ne doit pas y avoir plus de 30 ou 40 cas concernant des infirmières mises en examen. Sur ce point, Gilles Devers tient à être clair : certaines compagnies d'assurances s'emploient à répandre des rumeurs insinuant que les infirmières ne seraient pas couvertes dans certains cas, ce qui est totalement faux. Nicolas Couëssurel, infirmier sapeur-pompier, juriste et responsable du site Internet urgence.com, est plus modéré. Les infirmières ne sortent pas indemnes du matraquage des hôpitaux et des maternités par les assurances. Bien que couvertes par leur établissement à un niveau civil, la multiplication des actions en justice pour cause, par exemple, d'infections nosocomiales, a provoqué « un renversement de la charge de la preuve ». C'est donc désormais à l'établissement de démontrer qu'il n'a pas fait de faute. Une infirmière qui n'aurait pas appliqué les « règles de l'art » endosse la responsabilité... D'où l'intérêt d'une application stricte des règles et des protocoles en place.

Responsabilité pénale.

La responsabilité pénale correspond à une sanction (au nom de la société) résultant d'une infraction codifiée par le Code pénal entraînant des peines de prison et/ou des amendes, estime Nicolas Couëssurel. Au niveau infirmier, trois types d'infractions sont souvent invoqués : coups et blessures involontaires, non-assistance à personne en danger, et manquement au secret professionnel.

Maître Aveline, avocate, précise que c'est sur la base du délit de non-assistance à personne en danger (après celui d'atteintes involontaires à l'intégrité corporelle) que les tribunaux sont les plus inflexibles avec les soignants, du fait même de leurs compétences. Nicolas Couëssurel rappelle que juridiquement, la non-assistance à personne en danger implique « un péril réel et imminent ». Cependant, à l'impossible nul n'est tenu. L'infirmière doit donc porter secours dans les limites de son expérience ou prévenir un tiers qualifié.

Autres cas fréquents de fautes, l'homicide et les coups et blessures involontaires. Car une faute même « légère » de dosage peut y mener. Selon maître Aveline, neuf fois sur dix, les procès concernent des erreurs de prescription ou de dosage. Si l'infirmière ne vérifie pas la prescription, elle est en faute. « Si j'avais un conseil à donner, ce serait de vérifier systématiquement les prescriptions et les dosages, et de ne pas appliquer une prescription sur laquelle on a des doutes. Et enfin, de toujours laisser une trace écrite de sa démarche dans le dossier de soins. »

D'après cette avocate, la plupart des problèmes juridiques impliquant des infirmières sont liés à un malentendu, oral ou écrit (écriture illisible). La maladresse d'une infirmière est coupable lorsqu'elle résulte de la méconnaissance ou de la négligence des règles fondamentales de l'exercice professionnel garantissant la sûreté d'un malade. L'infirmière est aussi garante de l'hygiène de l'environnement aussi bien que de l'asepsie des soins. Nicolas Couëssurel insiste sur ce point : l'infirmière est tenue d'appliquer les protocoles (qui la couvrent en cas de problèmes) en vigueur dans l'établissement.

Traçabilité.

Chantal Levasseur, présidente de l'Unaibode, met le doigt sur les responsabilités particulières des infirmières de bloc : « Nous sommes responsables du matériel. Le fournisseur assure sa stérilisation jusqu'au lieu de livraison. Cependant, la transition entre le lieu de livraison et le bloc ne doit pas être négligée, sinon c'est l'Ibode qui est mise en cause. » Elle est convaincue que le mot-clef rimant avec responsabilités est traçabilité.

Pénalement, une infirmière voit sa responsabilité engagée si elle ne signale pas un défaut qu'elle a remarqué sur un appareil. La vérification du contenu des ampoules et le décompte systématique des compresses sont des sécurités supplémentaires. « Souvent, les fautes proviennent d'un problème d'organisation d'un service. Il faut signaler les dysfonctionnements, cela fait partie des responsabilités infirmières et cela constituera en même temps une garantie de votre non-culpabilité en cas de faute. »

De même, exercer avec des aides opératoires qui ont été recalées à l'examen de validation implique un risque. « Votre responsabilité est engagée en cas de non-conformité des actes de l'aide opératoire », rappelle Chantal Levasseur. Thierry Faucon, président du Snia (anesthésistes), insiste sur la chaîne organisationnelle des soins. « Un seul maillon défaillant suffit pour que la sécurité du patient ne soit plus assurée. » Le non-respect de la chaîne sécuritaire et réglementaire de l'anesthésie représente un danger pour le patient et pour l'infirmière anesthésiste. L'infirmière anesthésiste devrait refuser de pratiquer une anesthésie dans des conditions non réglementaires.

Thierry Faucon souligne que les accidents mortels sont provoqués par des actes banals. Dans le privé, les infirmières anesthésistes peuvent subir une pression de la part des médecins anesthésistes qui sont leur chef et leur employeur. En cas de procès, une infirmière tolérant une organisation du travail où elle assume régulièrement seule des tâches alors que le médecin devrait être présent, est coupable. « Je suis pour une responsabilisation des infirmières, affirme Thierry Faucon. Les textes de notre profession ne sont pas légion, il faut impérativement les connaître. »

Enfin, le respect du secret professionnel a été rappelé avec force dans le texte de loi du 4 mars 2002. Les juges sont sévères sur la question, car ils estiment que cela touche aux libertés individuelles.

Connaître leurs responsabilités permet aux infirmières de prendre conscience de leurs devoirs mais aussi de ce qu'elles sont en droit de refuser de faire.

Que risquez-vous au pénal ?

Coups et blessures involontaires créant une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois (art. 222-19) : deux ans de prison et 30 000 Euro(s)d'amende.

> Coups et blessures involontaires créant une incapacité totale de travail d'une durée inférieure ou égale à trois mois (art. 222-20) : un an de prison et 15 000 Euro(s) d'amende.

> Homicide involontaire (art. 221-6 du Code pénal) : trois ans de prison et 45 000 Euro(s) d'amende.

> Non-assistance à personne en danger (art. 223-7) : deux ans de prison et 30 000 Euro(s) d'amende.

> Manquement au secret professionnel (art. 226-13) : un an de prison et 15 000 Euro(s)d'amende.

TÉMOIGNAGE

« Je leur pompe un peu l'air... »

Carole, infirmière hygiéniste chez Esso (société du groupe Exxon Mobil), fait rimer responsabilité et sécurité dans son entreprise.

« Nous avons des missions dont les gens n'ont pas conscience. Je partage mon temps entre les activités de soins et l'hygiène industrielle. » Cela fait quatorze ans que Carole assure l'hygiène industrielle chez Esso. C'est un travail qui lui plaît car il est diversifié et non statique. « Je n'attends pas seulement que les gens viennent me voir, je vais aussi sur leur lieu de travail. Je leur pompe un peu l'air, aux deux sens du terme, car je fais des prélèvements ambiants pour identifier les polluants atmosphériques dans un premier temps. Je fais aussi des mesures d'éclairage, d'exposition au bruit, ou à la poussière. Dans un deuxième temps, je formule des recommandations. Celles-ci donneront lieu à la mise en place de mesures permettant la réduction de pollution à la source, ou, lorsque cela n'est pas possible, au port d'équipement de protection industrielle. »

Carole assure donc la sécurité et le confort des salariés. « Nous participons beaucoup à la politique de prévention des risques du travail sur l'activité du raffinage. » Face à ses responsabilités multiples, Carole ne s'est cependant jamais sentie confrontée à une surresponsabilisation, car « l'environnement est fait de telle sorte que nous ne sommes jamais seules lors d'une intervention d'urgence. Nous opérons en binômes (deux infirmières) et avons un système de radio qui nous permet de communiquer en direct avec le médecin lorsque nous sommes sur le terrain. »

Les infirmières de santé au travail ont un rôle clé, tant sur le plan de la prévention que de la sécurité.

Références utiles

> Décret de compétence n° 2002-194 du 11 février 2002 et décret de règles professionnelles n° 93-221 du 16 février 1993.

> http://www.urgence.com/juridique/articles/ droitinf/index.html .

> La Responsabilité infirmière. Gilles Devers. Éditions Eska.

> La Responsabilité juridique de l'infirmière. Claude Boissier-Rambaud et Georges Holleaux. Éditions Lamarre.

> Rubrique juridique de maître Aveline, chaque mois dans L'Infirmière magazine.

Vrai/Faux

-> La responsabilité civile des infirmières est prise en charge par l'établissement où elles travaillent.

VRAI - Les infirmières ne sont pas responsables financièrement des fautes commises. C'est l'assurance de l'établissement qui paie les indemnités.

-> L'infirmière paie des indemnités en cas de faute détachable.

VRAI - C'est la principale exception.

-> Une infirmière ne peut être responsable d'une infection nosocomiale.

FAUX - Elle en est responsable si l'établissement parvient à prouver par renversement de la charge de la preuve qu'une infirmière a commis une faute dans l'application des règles de l'art ou dans l'application des protocoles en place.

-> En cas d'urgence, l'infirmière peut dépasser ses compétences.

FAUX - Seul un protocole d'urgence peut permettre d'accomplir des actes prévus dans le décret de compétence sans présence d'un médecin, sous réserve d'un rapport écrit à l'issue de la gestion de l'urgence.

-> Il est rare que les infirmières soient accusées d'homicide et de coups et blessures involontaires.

FAUX - C'est le type d'infraction le plus fréquent pénalement (ex. : erreur de dosage).