La dyspnée en fin de vie - L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003

 

Soins palliatifs

Conduites a tenir

La dyspnée est un symptôme très fréquent chez les patients en fin de vie, cancéreux notamment. Sensation subjective de difficulté respiratoire, difficile à évaluer pour le soignant, la dyspnée est source de souffrance majeure pour le patient.

ÉTIOLOGIES

La dyspnée peut être :

- la conséquence directe du cancer (tumeur pulmonaire primitive ou métastatique, obstruction des voies aériennes, épanchement pleural carcinomateux, épanchement péricardique...) ;

- la conséquence indirecte du cancer (embolie pulmonaire, pneumonie) ;

- la conséquence du traitement anticancéreux (pneumonie chimio-induite, pneumopathie postradique) ;

- d'origine médicamenteuse (pneumopathie secondaire à la prise de certains médicaments comme l'amiodarone) ;

- d'origine autres (BPCO, asthme, insuffisance cardiaque, pneumothorax, désordre neurologique d'origine centrale, anxiété, syndrome d'hyperventilation...).

CONDUITE À TENIR

Le rôle infirmier devant tout patient en soins palliatifs présentant une dyspnée reste symptomatique, l'objectif étant d'offrir au patient un confort optimal.

Selon les recommandations de l'Anaes, « les symptômes présentés par un patient en soins palliatifs ont comme caractéristiques d'être associés, voire intriqués, surtout quand on approche de la phase terminale. Cette notion est à prendre en compte pour la prise en charge, même si dans ces recommandations chaque symptôme a été traité isolément. Il est recommandé un traitement étiologique dans tous les cas où il est simple, rapidement efficace et acceptable pour le patient en étudiant au cas par cas le rapport bénéfices/risques des thérapeutiques ».(1)

Évaluer cliniquement la dyspnée.

- Interroger le patient ou l'entourage sur l'existence d'antécédents dyspnéiques, de pathologies cardiaques, de pneumopathie : le malade prend-il des médicaments risquant de provoquer ce symptôme : benzodiazépines, morphine, corticoïdes, Anandron® (risque rare de pneumonie interstitielle), Cordarone® ?

- Évaluer le mode d'installation de la dyspnée : lent dans le cas d'infection pulmonaire, brutal dans les obstructions bronchiques, les embolies pulmonaires, l'épanchement péricardique.

- Noter ses caractéristiques. S'agit-il d'une polypnée (fréquente en phase terminale), d'un encombrement bronchique ? Le patient a-t-il la sensation de suffoquer, de manquer d'air, d'expirer difficilement ? Noter le type de respiration : sifflante (bronchospasme), superficielle, ample et rapide (hyperventilation), les signes cliniques associés (cyanose, toux, hémoptysie, anxiété...). Pour préciser la gêne ressentie par le patient, on peut utiliser des échelles visuelles analogiques ou des échelles verbales.

Examens complémentaires.

Le médecin peut demander une radiographie pulmonaire afin de rechercher des signes de décompensation cardiaque ou un épanchement pleural. En cas d'hypoxie, l'oxymétrie de pouls (SpO2) réalise une surveillance fiable de la saturation artérielle en oxygène (SaO2). La saturation en oxygène est la proportion d'hémoglobine totale combinée à l'oxygène.

Approches thérapeutiques.

Mesures générales. Si le patient est anxieux (et généralement il l'est car rien n'est plus angoissant que de manquer d'air), le rôle de l'infirmière est de soulager la composante anxieuse en créant une atmosphère paisible, tranquille et réconfortante, et en parlant d'une voix calme. Il faut lui donner des conseils pour éviter la crise de panique (rester calme, relâcher les muscles des épaules, du dos, du cou et des bras en se concentrant sur une expiration lente) ;

- le soignant doit prendre le temps d'écouter le malade, le laisser exprimer ses peurs, sa crainte de la mort, ou de la solitude. On installe le malade confortablement dans son lit en position demi-assise ou au fauteuil et on reste à ses côtés. La fenêtre est entrouverte pour apporter de l'air frais. À défaut, on peut installer un ventilateur orienté sur le visage. Le passage d'air frais dans les fosses nasales soulage la dyspnée par stimulation des récepteurs dans le nasopharynx. Cette technique est souvent aussi efficace (en l'absence de cyanose) que l'oxygène.

L'oxygénothérapie n'est pas toujours nécessaire, mais elle peut rassurer le patient ainsi que sa famille. Le rapport de l'Anaes propose « un traitement discontinu sur 24 heures, en utilisant des lunettes plutôt qu'un masque ».(1)

En cas d'encombrement bronchique, il faut aspirer le patient et prévoir une kinésithérapie douce.

Traitements étiologiques de la dyspnée. Les traitements étiologiques de la dyspnée dépendent du contexte clinique :

- installation d'une prothèse endobronchique en cas de compression extrinsèque de la trachée ou des bronches ;

- résection par laser YAG ou cryothérapie en cas de tumeurs bourgeonnantes de la trachée et/ou des grosses bronches ;

- radiothérapie en cas d'envahissement du médiastin ou d'obstruction bronchique tumorale ;

- drainage en cas d'épanchement pleural ;

- on peut également avoir recours à une pleurectomie et à une trachéotomie selon l'étiologie.

Traitements médicamenteux.

Corticoïdes. Ils agissent en réduisant la réaction oedémateuse tumorale mais aussi par leur effet bronchodilatateur et anti- inflammatoire.

Ils sont prescrits en cas de compression des voies respiratoires, de la veine cave ou de lymphangite carcinomateuse.

Bronchodilatateurs. En cas de composante obstructive, les bronchodilatateurs B2 stimulants (salbutamol, terbutaline) peuvent être utilisés.

Anticholinergiques. « S'il existe des sécrétions bronchiques très abondantes, la réduction des apports hydriques et nutritionnels est à discuter et si cela ne suffit pas, un anticholinergique par voie sous-cutanée (scopolamine hydrobromide en première intention ou à défaut atropine) peut être proposé (en cas de prescription d'anticholinergique, il est recommandé de ne pas les utiliser en aérosol, de surveiller l'apparition d'un globe vésical et de prévenir ou de traiter la sécheresse buccale). »(2)

Dans tous les cas, on installera le patient en position latérale de sécurité afin de drainer alternativement chaque poumon, d'éviter la chute en arrière de la langue et de prévenir l'inhalation bronchique.

Benzodiazépines. « En cas d'anxiété, les benzodiazépines à demi-vie courte sont indiquées, per os (lorazépam, bromazépam, alprazolam) ou par voie injectable (midazolam). Les benzodiazépines à demi-vie longue (diazépam, clorazépate dipotassique) ne sont pas proposées en première intention. »

« Dans les dyspnées réfractaires ou les épisodes de suffocation, le midazolam est utilisé pour son effet sédatif. Dans les symptômes réfractaires (syndromes confusionnels, agitation, angoisse, dyspnée, douleurs intenses, hoquet réfractaire...), chez des patients en phase terminale, la sédation peut être utilisée pour contrôler les symptômes (accord professionnel). Le midazolam est recommandé compte tenu de son action rapide et brève.

Le midazolam est alors administré en bolus de 0,05 à 0,2 mg/kg IV ou SC s'il n'existe pas de voie IV, la dépression respiratoire susceptible de survenir étant secondaire dans ces situations exceptionnelles compte tenu d'une mort imminente. Une préparation anticipée de l'injection (conservée jusqu'à 30 jours) peut être envisagée afin de permettre une intervention rapide.

Le midazolam reste stable au moins un mois lorsqu'il est seul dans une seringue en propylène. En revanche, mélangé à de la morphine ou du fentanyl, le midazolam n'est pas stable au-delà de quatre jours (recommandation de grade A). »(2)

Morphine (hors antalgie). L'utilisation de la morphine chez un patient dyspnéique est souvent sujet de controverse chez les soignants, car elle reste l'archétype du médicament pouvant entraîner une détresse respiratoire. Pourtant, elle est actuellement utilisée par certains médecins pour soulager la dyspnée, et améliorer le confort des patients porteurs de cancer avancé.

« En cas d'accès de dyspnée, les doses initiales préconisées sont les suivantes :

- 10 mg équivalent morphine PO chez les patients ne recevant pas préalablement de la morphine ;

- 1/6 de la dose quotidienne chez les patients déjà sous morphine (accord professionnel).

En cas de dyspnée permanente, les doses initiales préconisées sont les suivantes :

- 60 mg/j équivalent morphine PO chez les patients ne recevant pas préalablement de la morphine ;

- augmentation de 25 % de la dose quotidienne chez les patients déjà sous morphine (accord professionnel).

La titration de la morphine dans la dyspnée se fera en fonction de la fréquence respiratoire. »(2)

Opioïdes. Selon le rapport de l'Anaes, « en cas de dyspnées résistantes aux traitements précédents, l'utilisation des opioïdes est proposée. Elle n'entraîne pas de détresse respiratoire aux doses initiales utilisées pour calmer la dyspnée. Les posologies suivantes peuvent être proposées, selon que le patient reçoit déjà ou non des opioïdes ; elles sont à adapter en fonction de l'âge et de l'état respiratoire du patient :

- chez les patients dyspnéiques recevant déjà des opioïdes, augmenter les doses de 20 à 30 % ;

- chez les patients ne recevant pas d'opioïdes, débuter par la moitié de la posologie initiale antalgique recommandée par le résumé des caractéristiques du produit. »(2)

La surveillance du traitement par opioïdes est basée sur la mesure régulière de la fréquence respiratoire, qui est à maintenir autour de 20-30 cycles par minute.

Cannabis et dérivés. Le cannabis pourrait prochainement être utilisé en France dans cette indication.

Déjà utilisée aux États-Unis et en Grande-Bretagne, la nabilone, extrait synthétique du cannabis, est employée pour ses effets bronchodilatateur et sédatif sur le système nerveux central.

Le laboratoire GW Pharmaceuticals s'apprête également à commercialiser des cannabinoïdes à usage médical.

Anesthésiques locaux. Les anesthésiques locaux (lidocaïne, bupivacaïne) ne sont pas recommandés pour le traitement symptomatique de la dyspnée, bien que certains auteurs les utilisent, notamment dans le cas de lymphangite carcinomateuse.

1- Recommandations Anaes, modalités de prise en charge de l'adulte nécessitant des soins palliatifs, décembre 2002. 2- Ibid.

Le râle expiratoire

La dyspnée aiguë et le râle du mourant se différencient par l'apparition de pauses respiratoires de plus en plus fréquentes à l'approche de la mort, souvent associées à une augmentation des sécrétions bronchiques. La longueur des pauses respiratoires est d'ailleurs l'un des signes que les soignants et les proches guettent pour se préparer à la mort. L'hypersécrétion bronchique et les bruits qu'elle engendre sont difficiles à supporter pour les soignants et la famille. « S'il y a souffrance à l'inspiration gênée par la quantité des secrétions, l'utilité des aspirations se posera au cas par cas et d'heure en heure. Par contre, le "bruit humide" d'une respiration gênée par quelques râles expiratoires ne doit pas nous conduire à une aspiration systématique. Il faudra peser l'agression que représente ce geste par rapport aux résultats attendus, en termes de confort », estime le docteur Véronique Alavoine .

Échelle CEE de cotation de la dyspnée

> Stade 0 :

- absence de dyspnée

> Stade 1 :

- dyspnée à l'effort physique important

> Stade 2 :

- dyspnée à la marche en montée, à allure normale

> Stade 3 :

- dyspnée à la marche à plat, à allure normale, avec quelqu'un d'autre : oblige à s'arrêter ou à ralentir notablement

> Stade 4 :

- arrêt de la marche à plat, au propre pas de la personne

> Stade 5 :

- dyspnée à l'effort minime (habillage, toilette, coiffure, rasage, alimentation)