« Nous ne sommes pas des Wonder Women... » - L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 182 du 01/05/2003

 

URGENCES

Actualités

Sensibilisé par la vague d'attentats terroristes qui a secoué la France dans les années 90, l'État a mis en place des cellules d'urgence médicopsychologique (CUMP) pour les victimes. Seule ombre au tableau, la souffrance psychique des soignants n'est pas encore suffisamment prise en compte.

Le choc des images, le poids des maux. Un thème de conférence plutôt alléchant pour les milliers d'infirmières urgentistes réunies à Paris lors du salon Urgences 2003. Pour aborder cette question, trois sujets étaient traités lors d'une conférence le 16 avril dernier : l'accompagnement psychologique des soignants, la création de la CUMP (cellule d'urgence médicopsychologique) et l'expérience de la fusillade de Nanterre.

Formation spécifique

Lors d'une catastrophe naturelle, d'un accident de la route ou autres, blessures psychiques et physiques sont souvent importantes. Chez les soignants, qui ne sont pas plus épargnés que les victimes, les troubles observés sont nombreux. Il peut s'agir de souffrances psychiques d'intensité variable (crise de panique, troubles du caractère), d'éléments répétitifs (visions hallucinatoires le jour et cauchemars répétitifs la nuit) ou d'une inhibition d'importance variable qui peut gêner le fonctionnement de la vie psychique personnelle et relationnelle. Souvent, il y a un délai entre le traumatisme et le début de ces troubles. C'est pour cela qu'il faut « s'exprimer au maximum. La prise en charge doit débuter immédiatement au cours des entretiens individuels ou en groupe, explique Stéphane Puchol, infirmier à Nîmes. Lors d'un entretien personnel, il est important de raconter sa biographie. Il faut restituer le sujet dans le temps. Chacun doit raconter ce qu'il a vécu. »

Dans les Ifsi, les étudiants reçoivent quelques notions de psychiatrie mais cela reste insuffisant. « Il faudrait une vraie formation spécifique dans les Ifsi. Quand nous recevons des étudiants en stage, nous les incitons à parler lors des situations de crise. L'expérience a montré qu'ils en tirent un grand bénéfice, observe Stéphane Puchol. Le soutien psychothérapeutique de la CUMP est nécessaire pour dédramatiser l'événement. Il faut absolument éviter le sentiment de culpabilité du soignant qui doit se préparer pour une nouvelle mission. Le gros risque est d'entraîner une inefficacité des soins. » Pour Jérôme Chauvet de Nîmes, « on aimerait bien une préparation "psy" avec une vraie formation pour accompagner l'entrée d'un soignant dans le service. Pour permettre de nous "dégrossir" un peu. »

Malgré l'impact des guerres mondiales sur le psychisme de la population, ce sont les vagues d'attentats de 1995 qui ont vraiment permis en France la mise en place d'unités de prise en charge spécialisées dans le traumatisme psychique. Répondre aux besoins psychologiques des victimes lors d'événements catastrophiques, telle est la mission des cellules d'urgence médicopsychologique (CUMP). Après les attentats du métro Saint-Michel du 25 juillet 1995, le président Chirac demandera à Xavier Emmanuelli, alors secrétaire d'État chargé de l'Action humanitaire d'urgence, de constituer un organisme approprié à la prise en charge des « blessés psychiques ».

« La circulaire du 28 mai 1997 du secrétariat d'État à la Santé et du secrétariat d'État chargé de l'Action humanitaire institue un réseau national de prise en charge de l'urgence médicopsychologique en cas de catastrophe, composé de volontaires psychologues, infirmières spécialisées, formés et prêts à intervenir lors de catastrophes ou d'accidents collectifs auprès des victimes psychiques, mais aussi auprès des sauveteurs intervenant dans le cadre des services de secours d'urgence », expliquent Pascale Moreau, infirmière coordinatrice et Francine Chaumet, cadre supérieur à Courbevoie.

Fusillade à Nanterre

Aujourd'hui, on compte sept cellules permanentes dans sept départements métropolitains à risque (Paris, Nord, Meurthe-et-Moselle, Rhône, Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Loire-Atlantique) et 93 psychiatres référents dans toute la France. Les sept cellules permanentes sont dotées de moyens en locaux (un bureau Samu), en personnels (un psychiatre, un psychologue et un secrétaire, tous à mi-temps), en matériels (équipements d'intervention sur le terrain, moyens de communication et bureautique) et en fonctionnement. Elles exercent un rôle de soutien opérationnel des psychiatres référents départementaux. Le rôle de l'infirmière est d'assurer la prise en charge globale des patients, de contribuer à l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et de participer à des actions de formation, d'encadrement et de recherche. Rappelons que la CUMP, c'est un travail volontaire. Comme l'affirme une personne dans la salle, « quand certains soignants partent sur une mission, ce sont les autres qui doivent les remplacer sur le terrain... »

Ces missions se déroulent bien souvent dans des conditions très difficiles. La fusillade de Nanterre en offre un exemple frappant. Rappelons les faits : le 27 mars 2002, à 2 h 20, un appel Samu 92 au médecin référent déclenche la CUMP 92. Celui-ci contacte Pascale Moreau, infirmière coordinatrice, qui appelle cinq infirmiers volontaires pour une mise en alerte : un homme a tiré sur le conseil municipal de Nanterre, tuant huit personnes et en blessant d'autres ; il a été arrêté.

« Quand nous sommes arrivés à Nanterre, témoignent Pascale Moreau et Francine Chaumet, nous étions bien dans une situation d'effroi absolu. Sur le coup, les proches n'avaient aucune manifestation de haine. Ni d'agressivité. On se souvient d'un proche qui se sentait responsable d'avoir dit à sa soeur de faire de la politique. Nous avons aidé et rencontré des proches des familles de victimes. Elles avaient été isolées. C'était irréel car il y avait cette douleur innommable des familles. Heureusement, entre nous, les soignants, nous avons fait un important travail de débriefing. Il fallait faire attention aux plus jeunes. On a parlé en reprenant la chronologie du jour. Lors d'un repas où chacun a pu prendre la parole. Cela nous a fait beaucoup de bien. Le partage du temps était nécessaire. »

Les deux infirmières ont raconté la soirée d'hommage qui a eu lieu au stade de la ville réunissant les familles et les politiques. Cela a permis de faire un dernier débriefing pour tous ceux qui avaient participé à l'événement.

C'était un moment important et nécessaire pour commencer à faire le deuil de cet événement. Pour les deux intervenantes, c'était « émouvant d'en reparler aujourd'hui. On a fait d'autres interventions depuis. Mais il a fallu du temps après Nanterre, car il s'est passé des choses avec les proches. Mais attention, concluent-elles, nous ne sommes pas des Wonder Women... »