Infirmière d'internat, avenir ou déclin de la profession ? - L'Infirmière Magazine n° 183 du 01/06/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 183 du 01/06/2003

 

Enquête

- Les infirmières d'internat font désormais trois nuits d'astreinte au lieu de cinq - Moins pénible, leur métier a perdu en qualité d'aide et d'écoute aux élèves - Faute de postes créés, il leur est difficile à présent d'exercer un véritable rôle « d'éducation à la santé ».

« Nous sommes infirmières scolaires en journée. Nous jonglons avec nos heures pour nous ménager un temps de disponibilité le soir pour être aussi infirmières d'internat. De 18 heures à 21 heures, on passe un temps complètement privilégié avec les élèves. C'est assez magique car c'est un moment où ils viennent et se racontent. L'infirmerie est un lieu à part dans un établissement. Une zone neutre... C'est pas l'école. Je leur dis souvent "ici c'est la Suisse" ! Pendant les deux premiers mois de l'année, ils présentent des troubles psychosomatiques. Ils ont mal partout. Puis, quand on dépasse cela et qu'on les met en confiance, les élèves viennent seulement pour nous parler : ils commencent par les mobylettes, la pêche, la chasse... Et puis le reste : leurs amours, leurs premières expériences sexuelles. Ce dont ils ne parleraient pas à leurs mères ! Je me demande parfois ce qu'ils viennent chercher, quelquefois, je pense que c'est une réassurance, la preuve de leur normalité... » Infirmière d'internat depuis 32 ans, en poste depuis 14 ans dans un lycée professionnel charentais, Michèle Jacquet se dit « proche de la retraite et ravie de l'être ». Elle se sent représentative d'une profession révolue. Car l'internat et les missions de ses infirmières ont évolué.

Passage à trois nuits.

En janvier 2002, les 1 800 infirmières d'internat ont vécu une « petite révolution » : le passage de cinq à trois nuits d'astreinte et la prise en compte du travail de nuit (les interventions de nuit sont comptabilisées et majorées de 50 % du temps. Les heures sont récupérées ensuite dans le trimestre suivant.) « Je vous garantis que cela fait réfléchir les chefs d'établissement et que l'on est moins dérangé, commente Christophe Poncet, en poste au collège de Saint-Sauveur-sur-Tinée (Alpes-Maritimes). La nuit, on ne nous appelle plus que pour des urgences. Avant, c'était insupportable, j'étais dérangé au moins une nuit par semaine. Cette année, on a dû m'appeler quatre fois pour des questions sérieuses. Mes interventions ont été divisées par dix. »

Cette avancée sociale ne s'est cependant pas accompagnée de créations de postes : l'infirmière n'est pas remplacée lors des nuits et pas davantage en journée lors de ses récupérations. Principale conséquence : les maîtres d'internat, des étudiants non formés aux soins et à la relation d'aide, se retrouvent parfois très seuls, ceci au détriment du bien-être des élèves. « À présent, la journée, j'ai plus de travail, note Christophe Poncet. Moins de réponses sont apportées aux élèves le soir, quand ils sont énervés et angoissés... Rappelons que même si les chefs d'établissement ou CPE sont d'astreinte également, aucun autre personnel n'a le droit et les compétences pour remplacer une infirmière durant son absence ou ses repos. »

« On est sorti de contraintes archaïques et c'est très bien : 95 heures de présence au lycée, c'était un travail d'esclave, observe Laurence Genot, infirmière d'internat à Bastia. Mais comme pour l'application des 35 heures, il n'y a pas eu de création de poste et l'on n'arrive pas à faire la jonction. Maintenant, les nouveaux arrivés en seconde ne prennent pas l'habitude de nous voir puisqu'une fois sur deux ils trouvent la porte fermée. »

Une prise de contact, un suivi rendu plus difficile. Qui peut générer également certains dysfonctionnements : « Certains élèves suivent des traitements assez lourds (épilepsie, diabète...), ajoute Laurence Genot. L'an dernier, l'une de mes élèves diabétiques ne se prenait pas du tout en charge. J'adaptais les doses car elle était incapable de le faire en fonction de son alimentation, sa dépense physique. Je me demande comment on aurait fait cette année ! On devrait être deux à l'internat pour le bien-être des élèves... Et parce qu'on ne peut pas couvrir l'amplitude horaire... Il y a un créneau, de 7 à 8 heures le matin, où il n'y a personne, ce qui en internat est aberrant. »

Formation suffisante ?

Parallèlement à la transformation de l'internat, la profession et les missions de ses infirmières ont évolué. D'un aspect « soin et relationnel », on s'est acheminé vers davantage de prévention, autrement dénommée « éducation à la santé ».

Jacqueline le Roux est secrétaire générale adjointe du Syndicat national des infirmières conseillères de santé, et infirmière scolaire depuis 1969. Ayant longtemps travaillé en internat, elle en connaît bien les enjeux : « Le soir, je faisais de l'éducation à la santé pour les élèves et cela me permettait de mieux les connaître et de les entendre. L'écoute fait partie des soins infirmiers et c'est sans doute l'une des parties les plus essentielles de notre travail. Mais j'estime que notre formation est insuffisante et que ce métier demande beaucoup d'investissement personnel. Je n'aime pas beaucoup entendre que nous sommes là pour materner les élèves. Je ne crois d'ailleurs pas que nous soyons dans le maternage. Peut-être justement qu'une formation plus élaborée permettrait de nous situer comme un tiers ou une interface. »

Les professionnelles ne se sentent pas toujours à l'aise dans ces nouvelles missions : « Je trouve moins d'intérêt aux nouvelles fonctions, dépistage et éducation à la santé, confesse Michèle Jacquet. Je crois plus à la relation à deux, trois maximum... Si l'on veut parler d'une relation sexuelle, il ne faut pas être quinze. On ne peut pas raconter cela devant ses copains, et être naturel... C'est trop important ! Parfois on a des vérités à leur dire qui ne souffrent pas la présence d'autrui. Quand je dis à un ado "tu sens mauvais des pieds", il sait que c'est vrai et si dix copains l'entendent, c'est horrible pour lui ! Devant une classe on dira : il faut se brosser les dents, en individuel on fera directement remarquer au jeune qu'il a mauvaise haleine. Cela aura plus d'impact. »

Fatigue.

Monter des programmes de prévention requiert beaucoup d'énergie pour les infirmières ; c'est d'autant plus épuisant qu'elles sont seules : « L'an dernier, relate Pascal Bonneau, j'ai entrepris une formation sur la sexualité avec une collègue. On partageait la classe en deux groupes non mixtes. Moi, je prenais les garçons pour discuter avec eux mais pendant cette intervention, j'étais dérangé sans arrêt sur mon portable. » Vieil infirmier mais jeune infirmier scolaire, Pascal Bonneau travaille en internat et sur deux établissements de l'académie de Grenoble (un lycée professionnel et un lycée général et technique). Il reconnaît s'être attendu à « plus calme » : « Je me représentais cette profession un peu selon l'image que l'on s'en fait , où l'on peut discuter avec les élèves... Je me retrouve sur un gros internat, dans un poste dont personne ne voulait. Il y a toujours eu deux infirmières, une pour chaque établissement, mais pour faire des économies, ils ont supprimé un poste... C'est fatiguant et en fait on n'a le temps de ne rien faire d'intéressant, entre les gens qui veulent rentrer chez eux et les billets de dispense pour l'éducation physique...»

Relance ?

L'infirmière d'internat fait partie de l'équipe éducative. À ce titre, elle peut prétendre être écoutée en matière de sécurité, d'alimentation : « Le soir, une quiche et une salade, même pour respecter la diététique, ce n'est pas suffisant pour des jeunes de 19 ou 20 ans qui ont fait huit heures d'atelier, remarque Hélène Parsy, infirmière scolaire à Amiens.

«Si on n'est pas à la queue du self à noter que les élèves ne mangent ni légumes ni fruits, ils continueront à manger des nouilles et du riz », martèle Michèle Jacquet.

Le gouvernement actuel semble comme le précédent, animé de la volonté de redonner ses « lettres de noblesse » à l'internat scolaire. Mais de quels moyens dispose-t-on ? Difficile d'obtenir des réponses « officielles » à ces questions. « Les jeunes accueillis en internat sont là parce qu'il vivent des ruptures familiales, des échecs scolaires, conclut Christophe Poncet. C'est vrai que cela leur apporte du positif, au niveau de la vie en collectivité, des règles de vie et de l'apprentissage des limites. Mais nous devons être relayés. Dans mon collège, situé en zone montagneuse, les enfants se retrouvent isolés sans qu'existe un partenariat avec la Ddass, les structures hospitalières ou médicopsychologiques. Que signifie réellement la relance de l'internat ? »

Médecine scolaire

La médecine scolaire est une médecine de prévention : le médecin scolaire fait du dépistage et les infirmières de l'éducation à la santé. Le chef d'établissement a obligation de mettre en place une médecine de soin qui réponde aux critères de l'établissement. Il passe une convention avec un médecin de ville ou un Samu.

TÉMOIGNAGE

« Corvéable à merci... »

Hélène Parsy a été infirmière d'internat pendant 28 ans. Pour le meilleur et pour le pire...

« Vous êtes logé sur place et corvéable à merci. J'estime avoir condamné mon mari à 25 ans de logement de fonction ! Même s'il n'y a pas « non-assistance à personne en danger » si vous ne répondez pas, vous avez une conscience professionnelle. Quand les élèves montaient se coucher, je ne m'absentais même pas pour faire une promenade dans la cour parce que j'aurais été injoignable ! Les portables n'existaient pas et on restait de faction dans son logement...

J'ai vécu des choses graves : un décès la nuit, des tentatives de suicide très dures, des comas hystériques suite à des incestes, des maltraitances... Le lundi, on soigne les bagarres du week-end, les blessures du sport. Les parents se disent "on n'a pas de sous, on va pas faire venir un médecin, tu iras chez l'infirmière demain"... Peu à peu, on a fait de la prévention. J'ai des souvenirs forts de cours de secourisme donnés à des gamins hostiles à tout... Je me souviens de certaines jeunes internes qui n'avaient pas de linge dans leur sac... Il a fallu, avec beaucoup de pudeur, leur apporter une aide, pour les sensibiliser à la propreté et à l'hygiène. J'ai vu des élèves venir me voir parce qu'elles avaient eu une relation dans le car : malgré les programmes de prévention dans les classes, quand elles ont un problème, elles ne savent plus quoi faire. »

Vrai/Faux

->Les infirmières d'internat bénéficient du logement.

VRAI - Le logement est attribué pour le poste : on est logé par nécessité absolue de service. La superficie est en rapport avec la fonction dans les établissements. Dans l'ordre de la hiérarchie, l'infirmière a le logement le plus petit avec la concierge : 70 m2 (anciens textes), ce qui correspond en général à un F3.

-> Les infirmières scolaires dépendent de l'Éducation nationale.

VRAI - Les médecins, les assistantes sociales, les conseillères d'orientation et psychologues devraient dépendre à la rentrée 2003, soit de la région, soit du département, donc seront certainement moins présents dans les établissements. Jean-Pierre Raffarin a annoncé certaines mesures : 210 créations de postes, un statut réévalué, calqué sur la fonction publique hospitalière. Autre mesure de taille : les postes de maîtres d'internat (étudiants boursiers) vont disparaître au profit des « assistants d'éducation » ouverts à tous (mères de famille, militaires à la retraite, jeunes retraités...).

-> C'est tranquille comme travail...

FAUX - « Mes premières missions sont d'accueillir et d'accompagner les élèves, individuellement pour chaque demande, explique Pascal Bonneau. Sauf que les élèves sont là 105 heures par semaine et moi trois nuits (soit 30 heures) plus en journée 40 heures environ : cela fait 70 heures de présence... Il manque 30 heures. De plus, on a des formations, des stages, ce qui diminue encore le temps de présence, qui n'est ni compensé, ni remplacé. »