Le cancer de la prostate - L'Infirmière Magazine n° 184 du 01/07/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 184 du 01/07/2003

 

Cours

Le cancer de la prostate est le premier cancer de l'homme de plus de 60 ans et le deuxième cancer masculin après celui du poumon. Il ne peut être guéri qu'à la condition d'être localisé, donc diagnostiqué précocement par les soignants, acteurs d'éducation et de prévention.

« Chaque année en France, 10 000 hommes meurent d'un cancer de la prostate et 40 000 nouveaux cas sont détectés. La moitié d'entre eux sont déjà à un stade ne permettant plus d'envisager une totale guérison par les traitements », indiquait le Pr Philippe Mangin, président de l'Association française d'urologie (Afu)(1), à l'occasion d'une conférence organisée dans le cadre du Medec, en mars dernier. L'incidence du cancer de la prostate (CP) augmente avec l'âge ; elle passe de 11,6/100 000 entre 50 et 54 ans à 54,4/100 000 entre 55 et 59 ans, pour atteindre 185,5/100 000 entre 60 et 64 ans. Au total, 10 % des hommes développeront un CP au cours de leur vie. Ce qui ne les met pas à l'abri d'un adénome prostatique (tumeur bénigne de la prostate), le cancer ne se développant pas sur la même partie de la glande (cf. encadré p. V).

PARTICULARITÉS

« Le CP présente la particularité d'exister à l'état latent sous forme de foyers microscopiques chez un grand nombre d'hommes, indique le Dr Sophie Conquy, PH, service d'urologie, hôpital Cochin (AP-HP). L'étude des séries autopsiques montre en effet que 35 à 40 % des hommes de 70 ans et plus sont porteurs d'un cancer de la prostate. Par ailleurs, près de 100 % des hommes de plus de 80 ans décédés d'une toute autre cause et n'ayant jamais présenté de pathologie urologique sont porteurs d'un cancer de la prostate. » Le CP est un cancer hormonosensible. Ce qui veut dire que les cellules prostatiques normales ou tumorales comportent des récepteurs de la testostérone ; plus le taux de testostérone est élevé, plus la prostate prolifère et plus les cellules cancéreuses se développent. Mais cela signifie aussi que ce cancer, tant qu'il reste hormonosensible (il finit toujours par devenir résistant), est accessible à l'hormonothérapie. Il évolue généralement lentement et à bas bruit, les premiers symptômes ne se manifestant qu'à un stade déjà avancé de la maladie, lorsque le cancer dépasse la localisation prostatique. Il s'étend ensuite à la graisse puis aux organes qui environnent la prostate : vessie, vésicules séminales, ganglions pelviens. Comme pour le cancer du sein, du rein et de la thyroïde, les métastases sont essentiellement osseuses (90 % des cas).

FACTEURS DE RISQUE

Bien qu'il existe des familles où le nombre de cas de CP est particulièrement élevé, son caractère héréditaire reste très discuté. Selon plusieurs études, un facteur génétique familial est retrouvé chez 2 % des malades(2). Dans ce cas, le risque de CP est multiplié par deux, si un père, un oncle ou un frère est atteint. Il est cinq fois plus élevé dans la descendance si l'âge du diagnostic est inférieur à 55 ans et serait multiplié par onze si trois parents proches sont concernés. On constate également que les Africains, les Antillais et les Afro-Américains présentent un risque plus élevé que les hommes de race blanche. Des facteurs environnementaux sont également avancés. Ils reposent sur des observations concrètes montrant que les Asiatiques, naturellement peu exposés au CP (environ 2 cas/100 000 hommes), se rapprochent de la courbe des Afro-Américains lorsqu'ils émigrent aux États-Unis. Parmi les hypothèses avancées pour expliquer ce phénomène, les changements d'habitudes alimentaires sembleraient être les plus plausibles.

Ainsi, en remplaçant les effets bénéfiques du soja (phytoestrogène jouant probablement un rôle protecteur contre le CP) par des graisses animales saturées et des junk foods (sucreries, barres énergétiques...) incriminés par de nombreuses études comme facteurs de risque de développement de certains cancers, les Asiatiques acquerraient le profil des populations américaines les plus à risque

LES DIFFÉRENTS STADES

Le cancer de la prostate peut être diagnostiqué à différents stades de son évolution. Il peut être localisé à la prostate - intracapsulaire - (stades T1a, T1b, T1c, T2), localement avancé - extracapsulaire - (stade T3), ou métastatique.

Si le pronostic est directement lié au stade d'évolution du cancer (on ne peut guérir que les CP localisés), il dépend aussi très directement de l'âge du patient et du degré de différenciation des cellules objectivé par le score de Gleason (cf. encadré p. III). « Plus le CP survient jeune, plus il est agressif et de mauvais pronostic, indique le Dr Conquy. De même, les CP très indifférenciés sont de moins bon pronostic que les cancers bien différenciés. » Plus le tissu glandulaire garde une structure cellulaire normale, permettant de différencier les cellules de la prostate normale des cellules cancéreuses, meilleur est le pronostic. Inversement, plus les cellules sont indifférenciées (au point de ne plus reconnaître les cellules de la prostate), plus le pronostic vital est compromis. D'où l'intérêt d'améliorer le repérage précoce de ce cancer car, ainsi qu'en témoignent les chiffres (on est passé de 9 000 à 10 000 décès par an entre 1995 et 2000 alors que le nombre de cas dépistés passaient simultanément de 27 000 à 40 000), une prostatectomie radicale à un stade précoce de la maladie modifie radicalement le devenir des patients.

ENCOURAGER LE DÉPISTAGE

« Suite à la position prise par l'Anaes en 1998, indique le Pr Mangin (elle avait conclu qu'elle « ne disposait d'aucun argument justifiant un dépistage systématique »), toutes les sociétés savantes ont conduit une réflexion qui nous permet d'affirmer aujourd'hui ceci : si les outils de dépistage dont nous disposons actuellement ne permettent pas de recommander un dépistage systématique(3), ils sont suffisamment fiables pour justifier une démarche de dépistage individuel précoce. D'une part, guérir d'un cancer de la prostate n'est possible qu'à la condition qu'il soit localisé au moment du diagnostic et, par conséquent, que ce diagnostic puisse être posé le plus tôt possible. D'autre part, le CP ne donne généralement de symptômes (cf. encadré ci-contre) que lorsqu'il a dépassé la localisation prostatique, donc lorsqu'il est trop tard pour espérer en guérir. Par conséquent, le diagnostic doit précéder l'apparition des symptômes si l'on souhaite accéder à des traitements curatifs et non pas seulement palliatifs. En outre, pouvoir opérer un cancer localisé très précocement permet d'épargner plus facilement (grâce à la microchirurgie), les bandelettes neurovasculaires qui passent à la périphérie de la prostate et sont déterminantes pour préserver les capacités érectiles, la vie sexuelle et la qualité de vie des patients. » Autant dire que les arguments défendus par l'Afu (Association française d'urologie) en faveur d'un dépistage individuel ciblé chez les hommes de 50 à 75 ans (leur espérance de vie est supérieure à dix ans) ne prêtent à aucune controverse. Une position qui a fait l'objet, en mars dernier, d'une campagne d'information auprès des médecins, des pharmaciens et des patients. Elle devrait également relancer le dialogue avec l'Anaes et à terme, aboutir à un consensus entre les sociétés savantes et les autorités sanitaires.

BANALISER LE TOUCHER RECTAL

Ce dépistage individuel repose sur deux examens : le toucher rectal (TR) et le dosage de PSA (antigène prostatique spécifique) total. Ils constituent les éléments diagnostiques de base permettant de juger de la nécessité d'approfondir les investigations biologiques et de poser l'indication d'une biopsie. Concernant ces examens, il importe de retenir que, pris isolément, ni le TR ni le dosage de PSA ne sont suffisamment fiables pour poser un diagnostic. « C'est vraiment la conjonction des deux examens qui permet de disposer d'un faisceau d'arguments suffisant pour justifier une confirmation par ponction-biopsie », indique le Dr Conquy. Le TR est indispensable, car 15 % des cancers de la prostate sont révélés par la détection clinique d'une zone d'induration anormale, alors que la valeur du PSA total est normale. « Malheureusement, c'est un examen qui reste tabou et que de nombreux médecins généralistes n'osent pas proposer à leurs patients, poursuit le Dr Conquy. Or, c'est un geste aussi anodin qu'un examen gynécologique pour la femme. Associé à un palper abdominal et réalisé avec délicatesse, en plaçant le patient en décubitus dorsal, il permet vraiment de palper des zones dures quasi pathognomoniques du cancer de la prostate. »

Autant dire qu'il est important d'en informer les patients, pour qu'ils en fassent eux-mêmes la demande, lorsque l'examen ne leur est pas spontanément proposé. Quant au PSA, il est important de savoir qu'il s'agit d'un marqueur tissulaire, et non d'un marqueur tumoral. Cela signifie qu'un taux normal de PSA n'élimine pas complètement le cancer. Inversement, un taux élevé ne signe pas forcément la présence d'un cancer. Raison pour laquelle l'interprétation du taux de PSA ne peut être dissociée des données du TR. Son dosage doit être réalisé à distance de toute infection urogénitale, et de préférence en respectant une semaine d'intervalle avec le TR. « Le seuil de normalité varie selon le test utilisé et doit être < à 2,5 ou 4 ng/ml selon la méthode employée, indique le Dr Conquy. D'où l'importance de toujours recourir au même laboratoire pour réaliser ces dosages. Lorsque la valeur est comprise entre 4 et 10 ng/ml, si la prostate n'est pas extrêmement volumineuse mais que le TR laisse le moindre doute, il faut adjoindre un dosage complémentaire de la fraction libre du PSA. Car un rapport fraction libre/fraction totale inférieur à 15 % est fortement évocateur de cancer, alors qu'un rapport supérieur à 25 % évoque plutôt une pathologie bénigne. Un rapport compris entre ces deux valeurs laisse planer une incertitude et nécessite de contrôler l'évolutivité du taux de PSA dans le temps (vélocité du PSA) et surtout son taux de doublement : en cas de cancer, le taux de PSA croît rapidement de plus de 0,75 ng/ml en moyenne (contre 0,04 ng/ml chez un homme indemne de maladie prostatique) avec un temps de doublement de deux ans et demi pour les cancers non métastatiques et de moins de deux ans pour les cancers métastatiques (contre 45 ans chez un individu sain). Si le taux de PSA augmente de 0,75 ng/ml par an pendant deux ans, une biopsie prostatique (cf. encadré p. VII) s'impose, même si le toucher rectal est rassurant. Si les résultats biologiques sont normaux, l'Afu recommande une surveillance annuelle (TR + dosage PSA) ; si les résultats biologiques sont suspects mais la biopsie négative, un contrôle semestriel est indiqué. En cas de biopsie positive, les résultats ne permettent pas de préciser l'étendue du cancer (il n'y a pas de corrélation entre l'analyse extemporanée de la tumeur et le nombre de biopsies positives). En revanche, ils permettent d'établir le degré de différenciation cellulaire (score de Gleason) et d'orienter le choix thérapeutique. Celui-ci doit également tenir compte de l'âge du patient et du bilan d'extension réalisé à l'aide d'examens complémentaires (cf. encadré p. VIII). »

TRAITEMENTS

« En présence d'un cancer localisé chez un patient âgé de moins de 70 ans, explique le Dr Conquy, il est admis de proposer un traitement par prostatectomie radicale. Si le patient est âgé de plus de 70 ans, on préférera (compte tenu de la morbidité associée à la chirurgie) une radiothérapie. Cela dit, en fonction des retentissements de la prostatectomie sur la vie sexuelle et la qualité de vie en général, on peut être amené à choisir (chez des patients relativement âgés) "l'abstention-surveillance". Car le fait de se retrouver incontinent et impuissant, alors que la maladie ne provoque aucun signe perturbant, peut faire hésiter certains patients. Il convient alors de leur préciser qu'après prostatectomie, leur espérance de vie à dix et quinze ans redeviendra identique à celle des hommes du même âge indemnes de cancer prostatique. En revanche, l'abstention-surveillance exposera plus de 50 % d'entre eux à un risque évolutif métastatique dans les cinq ans, nécessitant alors le recours à un traitement palliatif par hormonothérapie. C'est donc un choix difficile à faire, entre durée et qualité de vie. Un choix qu'il convient d'étayer en apportant au patient et à sa partenaire tous les éléments susceptibles de les aider à prendre une décision. Lorsque le cancer est localement avancé, le traitement associera l'hormonothérapie et la radiothérapie ; enfin, en cas de cancer métastatique, seule l'hormonothérapie présente un intérêt, tant que le cancer est hormonosensible. Elle pourra être suivie d'une chimiothérapie si le cancer devient hormonorésistant. »

Prostatectomie radicale. La prostatectomie radicale est généralement réalisée par chirurgie ouverte (laparotomie). Certaines équipes la pratiquent sous coelioscopie. Cette technique semblerait diminuer la douleur postopératoire et la durée de séjour (trois jours au lieu de sept) ; elle permettrait également une meilleure récupération de la continence(4). Toutefois, elle nécessite une équipe maîtrisant parfaitement la laparoscopie, et entraîne une intervention plus longue (quatre heures en moyenne). En tout état de cause, quelle que soit la technique employée, la chirurgie est généralement suivie de troubles urinaires et sexuels dont il importe de prévenir le patient et sa partenaire.

Conséquences urinaires. Dans 50 % des cas, les patients présentent des fuites urinaires temporaires provoquées, entre autres, par les changements de position ou la fatigue en fin de journée. La plupart récupèrent spontanément ; certains font appel à la rééducation périnéale. Mais dans environ 5 % des cas, l'incontinence urinaire est définitive et relève d'un traitement spécifique par sphincter artificiel.

Conséquences sexuelles. En dépit des précautions prises, le geste chirurgical entraîne très souvent une lésion, voire une section des bandelettes neurovasculaires innervant la verge, à l'origine de dysfonctions érectiles. Il peut aboutir parfois à l'impuissance totale. Dans ce cas, le seul traitement susceptible de provoquer artificiellement des érections relève des injections intracaverneuses de prostaglandines. « Il semble que plus on sollicite l'érection, plus on stimule son fonctionnement réflexe, indique le Dr Conquy. Nous avons en effet constaté que les patients qui réalisent régulièrement (une ou deux fois par semaine) des injections intracaverneuses, suivies de rapports, finissent par recouvrer des érections spontanées qui, associées à des traitements médicaux, restaurent la virilité. »

Suivi. Après prostatectomie radicale, les patients sont suivis tous les six mois, puis tous les ans avec un dosage de PSA et un TR. Lorsque le PSA remonte (quelques cellules cancéreuses peuvent avoir déjà migré dans la graisse extraprostatique et/ou les vésicules séminales au moment de l'intervention), les patients deviennent candidats à une deuxième ligne de traitement. Si le PSA reste bas, il s'agit probablement d'un problème localisé relevant de la radiothérapie locale . Inversement, si le PSA s'élève de façon significative, on choisira plutôt un traitement général par hormonothérapie. En cas de douleurs osseuses, si des métastases sont objectivées par scintigraphie, une radiothérapie palliative (antalgique) sera mise en oeuvre.

Radiothérapie. Il existe différentes modalités de radiothérapies à visée curative : la radiothérapie conformationnelle par voie externe et la curiethérapie interstitielle.

Radiothérapie conformationnelle. La radiothérapie conformationnelle a bénéficié ces dernières années des progrès de l'imagerie tridimensionnelle et des nouvelles techniques dites conformationnelles de délivrance de l'irradiation. Elles permettent un centrage prostatique plus précis et une diminution des effets morbides sur les organes adjacents (vessie, rectum). L'irradiation est délivrée durant deux à trois minutes à raison de cinq séances par semaine, pendant sept semaines. Elle provoque très peu de troubles de la continence (l'incontinence permanente atteint 1,2 % des patients), très peu (jusqu'à 4,5 %) de complications urinaires (cystite radique, sténose cervico-urétrale) et jusqu'à 11,4 % de troubles intestinaux (rectite, iléite, colite), dont 2,3 % nécessitent un geste chirurgical (colostomie, iléostomie). Quant aux troubles de l'érection, ils sont différés d'environ neuf mois (le temps que les cellules nerveuses soient entièrement détruites par l'irradiation) et surviennent chez plus de 40 % des patients(5).

De la même façon, les résultats sont différés dans la mesure où le taux de PSA diminue progressivement pendant 12 à 18 mois. Il est contrôlé à un mois, six mois, douze mois, et jusqu'à ce qu'on atteigne la valeur Nadir, c'est-à-dire la valeur la plus basse. Globalement, les résultats sont bons mais nettement inférieurs à ceux obtenus par la prostatectomie radicale. Il est habituel de considérer qu'ils sont identiques à cinq ans (75 % versus 85 %) mais chutent à dix ans de façon très significative (40 à 50 % versus 75 %) et ne sont plus que de 30 à 40 % versus 60 % à 15 ans. Les patients sont suivis tous les ans (PSA et TR). Lorsqu'ils échappent au traitement, le seul recours reste l'hormonothérapie. Celle-ci est souvent associée d'emblée à la radiothérapie, car il semble qu'un traitement hormonal potentialise la destruction des cellules par les rayons. Dans ce cas, elle est commencée 10 à 15 jours avant la radiothérapie et arrêtée 15 jours après la fin de ce traitement.

Curiethérapie interstitielle. Les résultats de cette technique récente semblent encourageants. Mais nous ne disposons pas du recul suffisant pour conclure à une efficacité équivalente à celle de la prostatectomie radicale. Elle consiste à implanter, par voie périnéale et sous contrôle échographique endorectal, des grains d'iode ou de palladium radioactifs dans la prostate. Elle n'est envisageable que si la prostate est de petite taille, et uniquement chez des hommes n'ayant jamais été opérés d'un adénome, car la curiethérapie exposerait 30 % d'entre eux à une incontinence définitive. L'implantation nécessite quelques précautions de radioprotection pour l'entourage, les patients devenant temporairement (trois mois environ) radioactifs. Il ne faut pas côtoyer de femme enceinte à proximité, ne pas uriner n'importe où, tirer la chasse d'eau immédiatement après avoir uriné, et ne pas avoir de rapports non protégés pendant les trois premiers mois. Pour l'heure, les résultats sont comparables à court terme, mais très peu d'études concernent la curiethérapie seule. Très souvent, d'autres traitements sont administrés conjointement, qui biaisent les résultats obtenus. Les effets secondaires de la curiethérapie sont encore en évaluation, mais il semblerait qu'elle entraîne moins d'effets sur la sexualité. Une hypothèse qui, si elle se vérifie, pourrait justifier une indication chez le sujet jeune.

Hormonothérapie. Sous dépendance des hormones androgéniques (testostérone), dont la sécrétion est assurée à 95 % par les testicules et 5 % par les surrénales, l'évolution du cancer de la prostate peut être freinée par une hormonothérapie visant à bloquer la sécrétion hormonale. Ce blocage peut être réalisé par castration chirurgicale ou chimique.

- La castration chirurgicale repose sur la pulpectomie testiculaire bilatérale (ablation des testicules), qui est radicale mais irréversible. Qui plus est, elle perturbe considérablement le schéma corporel, ce qui, chez des hommes encore jeunes, justifie de lui préférer la castration chimique.

- La castration médicamenteuse consiste à réaliser un blocage chimique de la production de testostérone. Elle peut être réalisée soit en agissant sur l'axe hypotalamo-hypophysaire par le biais des agonistes de la LH-RH injectables à action retard (Zoladex®, Enantone®, Décapeptyl®, Bigonist®), soit en administrant des anti-androgènes périphériques (Androcur®, Anandron®, Casodex®, Eulexine®) utilisés seuls ou en association avec un agoniste de la LH-RH. Cette association permet de réaliser un blocage androgénique complet ayant pour but d'empêcher la prostate de proliférer et le cancer de se développer. Elle constitue actuellement l'hormonothérapie standard du CP métastatique. Cela dit, tous ces produits ont des effets secondaires : la castration chimique est à l'origine d'impuissance sexuelle, de bouffées de chaleur, de troubles de l'humeur, d'asthénie physique et intellectuelle ; les effets secondaires des anti-androgènes sont la diarrhée (Eulexine®), les troubles de l'accommodation visuelle (Anandron®), la gynécomastie (Androcur®, Casodex®). En outre, l'impuissance sexuelle est constante avec l'Androcur®, et n'est pas exceptionnelle avec les autres anti-androgènes. L'efficacité de l'hormonothérapie dure en moyenne 30 mois. Passé ce délai, les cellules cancéreuses prostatiques deviennent résistantes. À ce stade, la chimiothérapie constitue le dernier recours. Peu efficace, elle fait appel à différentes molécules (Estracyt®, VP16®, Endoxan®, Taxotere® et Novantrone®) auxquelles les patients ne répondent que dans 20 % des cas. Toutefois, l'association récente du Taxotere® et de l'Estracyt® semble donner de meilleurs résultats en cas d'échappement hormonal.

En général, soit le cancer guérit, soit il évolue lentement, nécessitant d'adapter l'attitude thérapeutique en fonction de l'état physique et du taux de PSA des patients. Certaines complications ultimes (insuffisance rénale) peuvent justifier la mise en place d'une sonde urétérale ou une néphrostomie pour dériver les urines. La douleur, au-delà de la radiothérapie localisée à visée antalgique, peut également être traitée par les opiaciés ou par injection intraveineuse de Strontium® ou de Samarium® radioactifs. Ils réalisent une irradiation dite métabolique dirigée électivement sur les localisations métastatiques.

RÔLE INFIRMIER

« Les soins entourant la prostatectomie radicale ne présentent aucune spécificité particulière, indique le Dr Conquy. En revanche, les infirmières, en particulier celles des services d'urologie, amenées à prendre soin de patients de sexe masculin de 50 ans et plus, doivent les informer et les sensibiliser au dépistage précoce du cancer de la prostate. Car c'est en expliquant l'importance d'une surveillance régulière à partir de 50 ans et en banalisant des examens comme le TR qu'on pourra améliorer la prise en charge précoce de ce cancer. Et assurer ainsi la guérison d'un plus grand nombre de patients. » En attendant qu'une chimioprévention efficace soit mise au point (cf. encadré p. VI), les soignants doivent prendre la mesure du rôle majeur qu'ils ont à jouer, pour prévenir et favoriser la guérison du cancer de la prostate.

1- Secrétariat de l'Afu : Colloquium, 12, rue de la Croix-Faubin, Paris. Tél. : 01 44 64 14 82 ; fax : 01 44 64 15 16/17. 2- Bulletin de liaison des amis de l'Institut Curie (janvier 2003). 3- Se lancer dans un dépistage systématique exposerait un grand nombre de patients à une biopsie inutile, dont la morbidité n'est pas nulle. Cela entraînerait par ailleurs un coût financier très important. Raison pour laquelle les experts continuent à chercher un dosage ou une sous-fraction du PSA spécifique au CP. 4- « CP, le succès de la coelioscopie », IMH n° 426, 30 octobre 1998. 5- Le Guide diagnostique et thérapeutique. Urologie. Pr Marc Zerbib, Dr Sophie Conquy.

La classification de Gleason

Le score de Gleason est déterminé après étude de tout le tissu prostatique obtenu par biopsie, copeaux de résection, pièce d'adénomectomie ou de prostatectomie radicale. L'aspect le plus répandu définit le grade primaire de 1 à 5. L'aspect le moins étendu définit le grade secondaire de 1 à 5. Le score de Gleason correspond à la somme des grades primaire et secondaire. Il est donc coté de 2 à 10.

> De 2 à 4 : cancer bien différencié.

> De 5 à 7 : cancer moyennement différencié.

> De 8 à 10 : cancer peu différencié.

Source : Le Guide diagnostique et thérapeutique. Urologie. Pr Marc Zerbib, Dr Sophie Conquy.

Signes cliniques de la maladie

Il n'existe pas de troubles mictionnels spécifiques du cancer de la prostate, ni de symptômes spécifiques précoces. Certes, des troubles urinaires semblables à ceux d'une hypertrophie bénigne de la prostate (attente du jet d'urine, nécessité de pousser pour uriner, pollakiurie nocturne) peuvent évoquer un cancer de la prostate. Mais ces signes apparaissent assez tardivement dans l'évolution du cancer. Les signes plus spécifiques mais tout aussi tardifs, sont l'hématurie et l'hémospermie. Plus rarement, une insuffisance rénale ou une anurie par blindage pelvien (la tumeur prostatique englobe les uretères), voire des douleurs liées à des métastases osseuses, constituent les symptômes qui amènent les patients à consulter.

Rappels anatomiques

La prostate est une glande de l'appareil urogénital masculin située immédiatement sous la vessie, directement derrière le pubis et en avant du rectum. Elle pèse quelques grammes à la naissance et grossit de façon physiologique tout au long de la vie. Elle atteint environ 15 g à l'âge adulte et jusqu'à plusieurs centaines de grammes en cas de gros adénome. Elle participe à la fabrication d'une partie des constituants du sperme, liquide permettant de maintenir les spermatozoïdes en vie. Située autour de l'urètre, elle est composée de deux parties complètement distinctes : une partie directement en contact avec l'urètre et une partie externe. La partie la plus proche de l'urètre, comparable à « l'oeuf dans un coquetier » (principalement constituée de tissus musculaires) est celle qui grossit et forme l'adénome ; la partie externe est appelée prostate caudale. Elle représente le « coquetier ». Elle est essentiellement constituée de tissus glandulaires qui peuvent dégénérer en cancer. Autrement dit, sous un même nom, la prostate recouvre deux entités histologiques distinctes évoluant indépendamment l'une de l'autre. Par conséquent, se faire opérer d'un adénome prostatique (tumeur bénigne) ne protège pas du cancer et inversement.

La chimio- prévention

Ainsi que l'indiquait le Pr Jacques Irani (CHRU La Miletrie, Poitiers), dans le cadre du Medec 2003, «les caractéristiques du CP en font un bon candidat à la chimioprévention : prévalence élevée, latence importante, dépistage insuffisant, morbidité et mortalité significatives». De fait, plus de 30 agents sont aujourd'hui candidats à la chimioprévention du cancer de la prostate sur des données fondamentales, animales et épidémiologiques. De nombreuses études sont en cours, dont plusieurs études de phase III à base de finastéride (modulateurs de l'activité hormonale) et de levure de sélénium (antioxydants), qui ne permettent pas encore de définir la population qui pourrait bénéficier d'une telle chimioprévention.

La ponction-biopsie prostatique

Seul examen permettant de confirmer le diagnostic, la biopsie de prostate doit être réalisée chez un patient bénéficiant d'un traitement antibioprophylaxique et ayant réalisé à domicile un lavement évacuateur. Elle est mise en oeuvre par voie rectale sous contrôle échographique. Au moins six prélèvements en mapping doivent être réalisés. Si une zone anormale est repérée au TR ou à l'échographie, elle doit faire l'objet d'une biopsie spécifique. Actuellement, les anatomopathologistes préconisent de subdiviser chaque zone de biopsie en deux pour obtenir 12 sites de prélèvement, ce qui permettrait d'affiner les conclusions de l'examen. N'ont de valeur que les examens positifs. Donc, lorsque le PSA et le toucher rectal sont anormaux et les résultats de la biopsie négatifs, il faut s'assurer que l'on n'est pas passé à côté de la tumeur. Certaines équipes pratiquent cet examen en hospitalisation et sous anesthésie générale ; d'autres le réalisent en ambulatoire en utilisant du gel Xylocaïne®. La prostate étant peu innervée, cette anesthésie locale paraît suffisante, l'examen restant désagréable mais supportable. Dans les suites, la complication principale est la prostatite. Les patients doivent être prévenus et étroitement surveillés. Il convient également de les avertir qu'ils peuvent, durant les deux à trois semaines suivantes, présenter une hémospermie transitoire sans gravité.

Examens complémentaires

Le bilan d'extension a pour but de s'assurer qu'il n'y a pas de ganglions métastatiques de voisinage ni de métastases osseuses. À cet effet, un scanner abdominopelvien et une scintigraphie osseuse sont réalisés. « Certaines publications affirment que lorsque le PSA est < 10, la scintigraphie ne se justifie pas, car les métastases osseuses n'existent pas, indique le Dr Conquy. Or, nous pensons qu'il n'est pas possible d'être aussi catégorique, et qu'il est éthiquement discutable de se priver de la scintigraphie dans ce cas. » En effet, il arrive de détecter des métastases osseuses avec un PSA < 10.

Par ailleurs, lorsque l'extension locorégionale reste douteuse au TR, il est conseillé de réaliser une IRM endorectale. Mais cet examen est encore très peu répandu en France. L'IRM endorectale permet de s'assurer que la capsule prostatique et surtout, les vésicules séminales (annexes de la prostate) ne sont pas concernées par le cancer. En pareil cas, le patient change de stade. En effet, si ces annexes sont atteintes, il y a un risque important qu'elles aient, du fait de leur vascularisation, essaimé des cellules dans les organes de voisinage. Ce qui ne justifie plus le recours à la chirurgie.