Les stagiaires, indispensables ou indésirables - L'Infirmière Magazine n° 188 du 01/12/2003 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 188 du 01/12/2003

 

Enquête

Le contexte actuel pèse lourdement sur l'organisation et le déroulement des stages Entre l'explosion du quota étudiant et la pénurie du personnel hospitalier, la qualité de l'accueil et de l'encadrement est loin d'être garantie...

« L'accueil est fonction de différents facteurs : l'état du service (nombre d'infirmières, présence d'un cadre...), les qualités humaines et de disponibilité des soignants, mais aussi... l'année d'étude ! En première année, l'encadrement, plus délimité, est dispensé par les aides-soignantes : toilettes, nursing... elles ont tout intérêt à se montrer très "cadrantes" face à des étudiants vierges de tout savoir pratique. En troisième année, tu es quasi opérationnelle et avec la pénurie, tu peux arriver sur des lieux de stage, notamment en gériatrie, où l'on te demande d'emblée : "Tu es de quelle année ? Milieu deuxième ? Parfait : tu prends le service"... et tu te retrouves avec 50 personnes sous ta responsabilité. L'infirmière complètement débordée se repose alors sur nous. Bien sûr, si besoin, elle vient à la rescousse... »

En quelques phrases, Solange, fraîchement diplômée, brosse sans exagérer la dure réalité des stagiaires. Entre le besoin d'expérimenter la formation dispensée à l'Ifsi, une légitime volonté d'intégration et la réalité du terrain, la place des stagiaires n'est pas aisée.

Contrainte.

Les témoignages concordent : « Quand l'accueil est protocolé, tout se déroule parfaitement, résume Aurelia. On nous fait visiter le service, on nous présente le personnel, on nous explique le fonctionnement... Luxe suprême, on reçoit un livret d'accueil et un badge à notre nom ! Après lui avoir donné nos objectifs de stage, la surveillante charge une infirmière référente de nous accompagner dans nos gestes et d'évaluer notre travail. Sans cet accueil protocolé, tout repose sur la bonne volonté et les qualités pédagogiques de l'infirmière concernée. Pour certaines, l'attribution d'un stagiaire relève visiblement de la contrainte, elles n'aiment pas expliquer ce qu'elles font... »

En effet, selon Michaël Deroche, président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, la solidarité se perd : « Les récits témoignent souvent d'expériences malheureuses : mauvaise intégration dans l'équipe, mésentente avec des soignants... Avec la pénibilité et la charge de travail, la notion d'accueil s'amoindrit. On voit déjà apparaître les manquements des équipes jeunes et inexpérimentées. Les problèmes du service priment sur ceux de l'étudiant... »

Désorienté, ce dernier ne trouve parfois pas de réponse à ses questions, reste seul avec ses doutes. « Ce que j'ai trouvé difficile, explique Solange, c'est la confrontation à la mort et à la maladie. En médecine générale, lors de mon deuxième stage de première année, j'ai assisté à la fin de vie d'un patient. J'avais du mal à être seule dans sa chambre et j'ai très vite senti que les infirmières du service avaient le même sentiment. Je me disais que pour moi c'était normal, mais pour les diplômées depuis dix ans... Ce patient est décédé seul et ça m'a beaucoup touchée. Je ne me suis pas du tout sentie encadrée, faute de temps de la part des soignants, mais aussi de ressources dans ce service où la mort était peu évoquée. J'ai décidé de travailler cette question et j'ai écrit mon mémoire sur la souffrance des soignants face à la maladie et à la mort. »

Pas d'alarmisme toutefois, certains soignants continuent de s'investir dans cette mission éducative : « Je n'oublie jamais que j'ai été élève parce que j'ai trouvé ça parfois très difficile d'apprendre sous le regard de "pros" plus ou moins complaisantes ! observe Caroline, infirmière dans un service de chirurgie. Je me souviens avoir été maltraitée par le personnel soignant et ce n'est pas facile parce que forcément, les stagiaires nous freinent un peu. Mais ils nous aident beaucoup, sont plutôt volontaires et prêts à apprendre le maximum. Ils nous permettent de nous remettre en question, de nous montrer plus vigilants par rapport aux soins. À nous de les sécuriser, de leur donner des points de repère... Ma façon de faire n'est pas forcément la meilleure, je suis prête à regarder ce qu'ils font pour livrer ensuite une critique positive de leur travail. »

Trop de stagiaires !

L'augmentation générale des quotas sur l'ensemble de la France a représenté un surplus de 40 % en 2000 et 14 % cette année... soit 30 000 étudiants en première année. Face à cela, un certain nombre de services et de cliniques privées ont fermé sur tout le territoire, avec pour effet de supprimer beaucoup de terrains de stages. Pour les Ifsi ayant une rentrée en septembre et en février, donc six promotions, c'est 30 mises en stage successives sur l'année qu'il faut gérer. Du coup, les services se retrouvent en situation de surcharge d'étudiants due aux chevauchements des périodes de stage. Enfin, le manque de personnel prive les étudiants de la qualité d'encadrement dont ils bénéficiaient avant. Même si la mission de formation des pairs reste une prérogative du mandat infirmier, la priorité est naturellement accordée aux soins auprès des patients.

Dans ce contexte complexe, Jean-Paul Lafont, formateur à l'Ifsi d'Evreux, est responsable des mises en stages pour les infirmières, les aides-soignantes et les auxiliaires de puériculture. Un total de 580 stagiaires, soit 3 500 stages dans l'année. Depuis six ans qu'il exerce cette fonction de coordinateur, sa mission s'est considérablement compliquée : « Nous sommes au bord de l'implosion ! Il devient de plus en plus difficile, voire périlleux, de répondre aux exigences des textes... » Exemple : la répartition des vingt semaines de stage dans trois lieux différents, dont le stage professionnel à placer en fin de formation, donc en période estivale, au moment où l'on trouve moins de terrains de stage et moins de personnel. « Il faudra bien pour que la formation puisse continuer à être assurée dans de bonnes conditions, poursuit Jean-Paul Lafont, que l'application des textes puisse se faire avec souplesse. Les textes de la DGS nous contraignent à jongler avec les intitulés des stages. Un stage en médecine gériatrique se verra parfois intituler "médecine" même s'il s'agit de "gériatrie"... »

Peut-on choisir ?

Autre conséquence, le coût majoré des stages. « Comme nous sommes obligés de prospecter au plus large autour des Ifsi, note le maître de stages, les terrains sont de plus en plus éloignés, ce qui entraîne un coût humain et financier parfois mal supporté par les étudiants. Pour répondre aux quotas et exigences, nous plaçons prioritairement les étudiants du département (soit 50 % de nos étudiants) et nous conseillons aux autres de se chercher des terrains de stage sur leur région. »

Il est tout aussi délicat de répondre aux attentes légitimes des étudiants en respectant leur projet professionnel. Certains choix sont difficiles à satisfaire, c'est le cas de la pédiatrie, service très prisé des étudiants mais où l'on ne pourra exaucer que 10 à 15 % des demandes. On n'a en revanche pas de difficultés à trouver des stages auprès des personnes âgées, le nombre de maisons de retraite étant élevé.

Les choix des étudiants deviendraient-ils secondaires, au profit de l'organisation ? « Vu les circonstances, reconnaît Martine Perrasse, présidente du Cefiec (Comité d'entente des formations infirmières et cadres), on aborde à présent des terrains de stages que l'on n'aurait pas forcément choisi a priori : certains stages de consultations par exemple, où l'intérêt pour les étudiants est moindre. »

Pour pallier ces difficultés, certains suggèrent un allongement de la durée des stages : « Je suis pour une présentation des spécialités en première année pour qu'ensuite l'étudiant procède à un vrai choix éclairé, et suive en 2e et 3e années, des stages de trois ou quatre mois, sous la tutelle d'un soignant, remarque Jean-Paul Lafont. Tout le monde y gagnerait, étudiant, tuteur et services ! L'étudiant pourrait vraiment s'investir et apprendre. » Une proposition à laquelle adhère Martine Perrasse, même si elle observe que la réforme des études à venir bloque toute modification de l'organisation des stages dans l'immédiat.

TÉMOIGNAGE

« Un chien dans un jeu de quilles ! »

Aurélia, qui vient de préparer son DE, évoque les difficultés auxquelles sont souvent confrontés les stagiaires. Et rappelle la possibilité de dire non...

« Le premier jour, on nous demande souvent de venir un peu plus tard que l'infirmière, pour qu'elle ait le temps d'abattre déjà du travail. Lorsque l'on arrive, on la trouve en plein soin. On se présente, gênée de la déranger, on se sent parfois un peu comme un chien dans un jeu de quilles ! On attend de nous que l'on se mette rapidement à l'oeuvre et que l'on intègre au plus vite les habitudes de fonctionnement du service. Pourtant, ce sont aussi les stagiaires qui font tourner les services, fournissent de la main-d'oeuvre pas cher et s'investissent même sur des temps courts. Parfois, on finit par se sentir exploité ! En troisième année, j'étais plus sûre de moi. Je savais que j'étais toujours en formation et non partie intégrante de l'équipe et du personnel. Si l'on me demandait trop de choses, j'osais refuser. Je m'affirmais enfin, sachant que mon diplôme ne serait pas menacé pour autant. Car il faut subir et ne pas se laisser effrayer par les petites blagues qui n'en sont pas vraiment : "Attention, ta feuille de notes c'est moi qui te la fais à la fin du stage..." On sait très bien que certains notent vraiment comme ça, uniquement sur le ressenti ! Une fille de ma "promo" a refusé de signer sa feuille de notes à la suite de l'infirmière et de la surveillante, estimant que les critiques qu'on lui formulait étaient infondées. Elle est revenue à l'Ifsi avec sa feuille non signée et s'est expliquée sur son refus, demandant à l'Ifsi de prendre contact avec le service l'ayant accueillie en stage. Le problème s'est réglé à l'amiable... »

68 semaines

Sur leurs trois ans de formation, les étudiants doivent accomplir 68 semaines de stage. Selon les obligations du programme, elles se décomposent ainsi :

> huit semaines obligatoires en gériatrie, en chirurgie, en médecine, en santé publique et en psychiatrie, soit quarante semaines au total ;

> quatre semaines obligatoires en soins intensifs et en pédiatrie (élargies aux crèches, maternité... partout où l'on accueille des enfants sains ou malades), soit huit semaines au total ;

> vingt semaines à la disposition des Ifsi, lesquels proposent des stages en combinant les possibilités d'accueil des services et les projets professionnels étudiants. Ces vingt semaines sont obligatoirement découpées en trois stages différents et se déroulent en fin de formation. L'un d'eux est le stage professionnel (entre huit à douze semaines selon les Ifsi). Le stage ultime est réservé au passage du DE. Enfin, le troisième stage s'organise en fonction des possibilités des terrains.

Vrai/Faux

-> Les stages ne sont pas rémunérés.

VRAI - Ils sont seulement défrayés. Certains Ifsi dédommagent à hauteur de 0,15 centimes d'euros du kilomètre en trajet administratif (de l'école au lieu de stage). Les étudiants bénéficient également de rémunérations par semaine de stage : 23 Euro(s) en 1re année, 30 Euro(s) en 2e année et 40 Euro(s) en 3e année.

-> L'Europe ouvre des perspectives en matière de stage.

VRAI - Mais pour le moment, ce n'est pas encore d'actualité. Les accords de Bologne, signés par 29 pays, prévoient des échanges possibles dans les formations au sein de l'Europe. Le calcul des acquis s'effectuerait non plus en nombre d'heures mais en ECTS, crédits permettant des passerelles d'une formation à l'autre. Une formation commencée en France pourrait être conclue dans un autre pays, à condition d'avoir le même crédit d'acquis. Ce système entrera en vigueur en 2010.