Jeux de maux... - L'Infirmière Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Horizons

Et si la parole comptait plus que le médicament... Les habitants des quartiers Francmoisin et Belair, à Saint-Denis (93), ont lancé le débat avec des sketches joués sous chapiteau pendant le Forum social européen.

«- Vous n'y pensez pas, vous êtes dans votre pleine jeunesse !

- Ma jeunesse, elle ne durera pas longtemps à ce rythme-là ! Ligaturez-moi les trompes après mon accouchement, docteur ! » Sous le chapiteau à l'entrée de Saint-Denis, Catherine fait rire. Elle dit avec truculence le dialogue d'une femme africaine qui accouche pour la cinquième fois, du mari comblé par sa famille agrandie, et du médecin sourd à la demande d'aide formulée. Quelques saynètes s'enchaînent, très inspirées d'expériences livrées par les habitants de Saint-Denis et des villes voisines. Dans la suivante, Noria et Jeanne se font face, devant une table :

« - Vous n'avez aucune trace d'hépatite mais vous êtes séropositive.

- Merci, merci docteur !

- Vous ne comprenez pas : vous avez le virus du sida.

- Ah ! Tuez-le docteur ! » Puis, Catherine revient sur le devant de la scène, raconte, telle une véritable conteuse-griotte, l'histoire d'une jeune fille bannie de sa famille à cause du sida, et sa chance de trouver une association de femmes accueillantes.

Un public concerné.

Sous le chapiteau, l'auditoire est attentif. Le froid de cette soirée de novembre pénètre par dessous les bâches dressées près du canal de Saint-Denis. Nous sommes dans la banlieue nord de la capitale, à un des nombreux ateliers mis sur pied pendant le Forum social européen organisé par les altermondialistes à Paris, Saint-Denis, Bobigny, Ivry, du 13 au 16 novembre 2003. Emmitouflée et coiffée d'un foulard, une mère de famille d'origine maghrébine agite un landau et tient sur ses genoux des enfants en âge d'aller à la maternelle.

Les familles et voisins des apprentis comédiens, habitants des cités, quelques professionnels du domaine social et médical sont là, pas trop nombreux, mais concernés par cette rencontre hors du commun.

Le public réagit. « L'annonce de la séropositivité dans les années 80 et 90 était d'une grande brutalité, témoigne une spectatrice infirmière. À l'hôpital, on demande surtout de la technicité, alors envoyer des gestes et paroles d'amour et de tendresse, c'est une vraie bagarre à mener. Ils aident pourtant autant que les médicaments. Parler, c'est prévenir la souffrance et donc prévenir la maladie. »

« Parfois, les médecins ne prennent pas le temps d'expliquer, déplore une autre spectatrice. L'autre jour, ma fille a emmené son fils chez le médecin. Il lui a vaguement expliqué qu'il avait un purpura, elle avait l'impression de l'énerver. Ensemble, nous avons dû consulter sur Internet les sites médicaux... »

Paroles de ceux qui souffrent.

L'équipe de Didier Ménard, médecin dans le quartier, trésorier et membre-fondateur de l'association communautaire Santé bien-être, se devait d'être visible pendant les rencontres internationales du Forum social européen. « Il nous paraissait impensable que dans un forum qui prétend construire un monde alternatif, ne soient pas dites les paroles de ceux qui souffrent des dégâts de l'exclusion, de la précarité, des violences sociales et institutionnelles, de l'orientation de notre société. »

Pour préparer le Forum social européen, un parcours de vie, « jeux de maux », a été mis au point. Les joueurs avancent sur un plateau et endossent les atouts ou désavantages d'un personnage défini par sa catégorie socioprofessionnelle et culturelle. D'autre part, deux ateliers d'écritures d'après témoignages ont démarré en juin 2003 avec le concours de l'équipe, d'enseignants, de la troupe théâtrale et de plusieurs associations du quartier. Puis, ils se sont poursuivis par la mise en scène, la fabrication de décors et de costumes toujours grâce aux compétences des habitants du quartier.

Malade expert.

« Ce qui est revenu très souvent dans le recueil des témoignages, c'est combien les gens souhaitent modifier le mode de relation entre malades et médecins, qu'ils veulent beaucoup plus égalitaire. L'expérience dans la maladie confère une connaissance qui a valeur d'expertise. » Ce manque de compassion, ce refuge derrière des termes techniques, cette peur d'écouter et de ne pas se laisser envahir sont enseignés dans les facultés de médecine, estime Didier Ménard, qui rêve de transformer les rapports entre médecins et malades. Il faut, selon lui, intégrer dans les formations des médecins les points essentiels que sont l'insomnie, l'angoisse. Toute une éducation à refaire ! Agnès, une infirmière au sein d'une unité psychiatrique, est enthousiaste. Elle reconnaît bien les problèmes soulevés. « Récemment, pour répondre aux besoins, j'ai dû faire en heures supplémentaires la tournée des hôtels sociaux de plusieurs communes. Je ne voulais pas laisser un patient à la rue. Ceux qui sont en stabilisation psychiatrique n'ont plus d'endroit où aller à cause des suppressions de lit dans les hôpitaux. Un tiers d'entre eux ont moins de 30 ans. On calme leur violence à coup de médicaments. C'est insupportable. » D'après elle, « ces usagers-là, experts du quotidien, ne s'expriment pas ».

Refuges.

« La distanciation existe aussi dans notre profession, poursuit-elle. Les infirmières se réfugient moins derrière les mots que derrière la technicité. Et on nous demande d'être techniciennes. C'est aussi une manière de ne pas être pleinement réceptives à la relation d'échange. Donner et recevoir, cela existe de moins en moins. On n'arrive plus à prendre en compte la souffrance, alors qu'il faudrait s'en donner les moyens. Il suffit pour cela de travailler en équipe, pour que les choses soient dites. »

Sous le chapiteau, un médecin confirme au micro. « On n'est pas obligé de porter des gilets pare-balles ! Ressentir sans être démoli, c'est possible si le soignant est entouré. Il faut qu'il puisse en discuter avec des psychologues, des collègues, des associations de malades. Car on se soigne en constituant des liens les uns avec les autres, pas uniquement avec les médicaments. »

Ce réseau, c'est évidemment un des outils que l'association communautaire Santé bien-être s'est forgé. Comme le rappelle Hélène Zeitoun, présidente, l'association est en relation avec Profession banlieue, centre de ressource pour la politique de la ville en Seine-Saint-Denis, et aussi avec l'Institut Renaudot à Paris, attentif à la santé communautaire. Le groupe appartient également à la Fédération des femmes-relais, basée à Pantin. Modèle en son genre, il lui arrive d'accueillir des étudiantes infirmières, curieuses de connaître cette approche de médiation sociosanitaire.

ASSOCIATION

Santé bien-être

L'association communautaire Santé bien-être, créée voici douze ans en Seine-Saint-Denis, compte aujourd'hui six médiatrices sociosanitaires, dont une personne chargée de la jeunesse, une musicothérapeute et une secrétaire. Elle facilite les liens avec les institutions et l'administration, améliorant la connaissance des droits et même parfois... les relations familiales. Une activité de relaxation musicologique a enrichi les propositions de l'association. Elle tient des permanences pour les sans domicile fixe et pour les femmes en situation polygame et en cours de décohabitation.

Où se renseigner ?

Association communautaire Santé bien-être 3, allée Antoine-de-Saint-Exupéry 93200 Saint-Denis. Tél. : 01 48 09 09 01. Fax : 01 48 09 98 62.