La surdité, handicap invisible - L'Infirmière Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Dossier

- L'épidémie du sida a révélé les difficultés d'accès aux soins vécues par les sourds - Depuis, une dizaine d'équipes composées de soignants sourds ou « signeurs » se sont mobilisées - Mais les besoins sont loin d'être comblés, notamment en santé mentale.

- Dans tous les domaines de la vie courante, la surdité, handicap invisible, crée l'exclusion. En France, quatre millions de personnes présentent une déficience auditive. Mais les degrés de surdité sont extrêmement divers(1), de la surdité légère à la déficience auditive totale. Sur ces quatre millions, 300 000 sont sourds profonds, parmi lesquels 200 000 le sont devenus à l'âge adulte. Environ 700 enfants sourds naissent chaque année. Quant aux locuteurs de la langue des signes française (LSF), leur nombre est évalué à 100 000 au moins.

SYSTÈME INADAPTÉ

Jusqu'à une période très récente - il y a une dizaine d'années - il n'existait pour les personnes sourdes aucune offre spécifique en matière d'accès aux soins. La prise de conscience collective d'un manque d'information, de la difficulté d'accès aux soins, de problèmes de communication, d'absence totale d'écoute a été tardive. Alors que la communication, quelle que soit sa forme (verbale, corporelle, visuelle...), constitue la base même des soins, le système de santé se révélait inadapté aux besoins de la population sourde.

C'est l'épidémie de sida qui a mis en lumière les difficultés de recours aux soins des sourds. Il y a une douzaine d'années, alors que l'épidémie a commencé depuis dix ans, des sourds et, en particulier, le groupe Sourds de l'association Aides, et des soignants mobilisés dans la lutte contre le sida, constatent que nombre de sourds contaminés ne vont pas se faire soigner. Pourquoi ? Notamment parce que pour consulter, ils devaient être accompagnés d'un parent, d'un ami, d'un proche entendant, et faire fi de la confidentialité. Dans le service de médecine interne du Pr Herson, à La Salpêtrière, à Paris, les soignants découvrent une immense souffrance liée à un manque parfois total d'information.

Une recherche est menée au sein de ce service par le Dr Jean Dagron sur l'épidémie de sida dans la population sourde. Et en janvier 1995, il ouvre la première consultation en LSF. Un premier bilan de l'épidémie de sida dans la population sourde, en décembre 95, montre que l'épidémie a touché cette population dans les mêmes proportions que la population générale. Mais lors des consultations, les médecins s'aperçoivent que les messages de prévention ne sont absolument pas passés chez les sourds et que nombre d'entre eux ignorent tout de la maladie et de ses modes de contamination. C'est ainsi, rapporte Jean Dagron, qu'on a vu des sourds sauter de joie en apprenant qu'ils étaient séropositifs : pour eux, il y avait dans le mot « séropositif » une connotation positive.

RÉSEAUX RÉGIONAUX

Au-delà de la grave problématique du sida, la consultation révèle des besoins de santé majeurs, d'importantes difficultés de relations entre sourds et santé. Au fil des mois, l'équipe élabore de nouvelles pistes pour permettre aux sourds de bénéficier d'un accès aux soins égal aux autres citoyens : des consultations en langue des signes, la possibilité du recours à un interprète, la médiation d'un professionnel sourd, etc. Face à un tel constat de carence, il est en effet urgent d'apporter des réponses en termes de santé publique.

En la matière, le rapport de Dominique Gillot, députée du Val-d'Oise et future secrétaire d'État à la Santé et aux Handicapés du gouvernement Jospin, fonctionne comme un déclic et enclenche l'action des pouvoirs publics. En 1998, son rapport en 115 propositions recommande dans le domaine de la santé la création d'une dizaine de réseaux régionaux de professionnels de santé bilingues, répartis sur l'ensemble du territoire et structurés autour d'un pôle hospitalier, comprenant des équipes de sourds et d'entendants bilingues.

Cinq ans plus tard, ces pôles hospitaliers fonctionnent. Il en existe actuellement dix, d'autres étant en cours de création (cf. encadré, p. 32). « Ces pôles, explique le Dr Dagron, qui s'occupe désormais du pôle Accueil et soins en LSF Paca créé en janvier 2003 à Marseille, constituent une offre de service public pour soigner des gens en langue des signes. La vocation de ces services n'est pas de s'occuper de tous les patients sourds de France, mais de ceux qui rencontrent des difficultés d'accès aux soins. Ceux qui se débrouillent très bien en lecture labiale ou à l'écrit, vont consulter sans problème à côté de chez eux. » « L'idéal est bien sûr d'avoir un médecin qui pratique la LSF car il n'y a pas d'intermédiaire, témoigne Françoise Masson(2), sourde de naissance et chargée du droit des sourds à la Fédération nationale des sourds de France (FNSF). Mais c'est déjà un grand pas qu'un interprète soit là pour aider à la communication. Car c'est juste un problème de communication, de pouvoir s'exprimer et de pouvoir comprendre. Pour nous, ces pôles surdité représentent une chance. Et voir des sourds qui travaillent dans les services hospitaliers est très valorisant, ça met les autres sourds en confiance. »

Ces structures ont en commun un mode de fonctionnement. Situés au sein d'un pôle hospitalier important, offrant par exemple une maternité, un service d'urgences, ils fonctionnent comme une porte d'entrée vers les différents services de l'hôpital. Chaque équipe comporte en principe au moins un médecin « signeur » (qui s'exprime couramment en langue des signes), un professionnel sourd, un interprète et un soignant ou un travailleur social signeur.

SOIGNANTS « SIGNEURS »

Carole Bruneau, 33 ans, fut la première professionnelle de santé sourde à intégrer un poste de médiatrice à La Pitié-Salpêtrière. Dans son bureau de l'Unité d'information et de soins des sourds, elle raconte les difficultés rencontrées alors(3). « J'ai un diplôme de laborantine, une formation aux prélèvements. Quand j'ai cherché du travail, ça a été vraiment très difficile. Puis j'ai rencontré le Dr Dagron, et grâce à son appui, malgré les difficultés administratives, et notamment le refus de la médecine du travail, on a pu obtenir une dérogation. Mais ça a duré trois ans. » Depuis 1997, Carole Bruneau est en quelque sorte le pivot de l'unité. Elle est chargée de l'accueil des patients, qui présentent tous types de surdité. Bien sûr, elle répond aux fax, au minitel, aux SMS - moyens de communication privilégiés des sourds - pour des demandes de rendez-vous ou d'information, un travail de secrétariat médical classique. Elle assure aussi les prélèvements sanguins dans le service de médecine interne du Pr Herson, dont dépend l'unité. Mais c'est surtout elle qui, en premier lieu, voit les patients. Et c'est là que s'exerce pleinement son rôle de médiatrice. « D'abord, les gens exigent parfois de voir tout de suite un spécialiste. Il faut donc souvent leur expliquer comment fonctionne le système de santé, leur dire qu'avant tout il faut consulter l'un des quatre médecins généralistes du service. Mais surtout, quand on reçoit des patients sourds étrangers, qui ne s'expriment donc pas en LSF, je vais à la consultation avec l'interprète, pour simplifier une question, voir si l'information passe. » En fonction du niveau et du mode de langage du patient, qu'elle évalue, Carole Bruneau va donc reprendre avec lui les informations qui ont été délivrées, répondre à ses interrogations. « Ici, quand un médecin fait une prescription, beaucoup de patients n'ont pas compris à la sortie de la consultation. Alors j'explique, je réponds aux questions, je fais de la prévention. »

Tous les intervenants des différentes structures d'accueil insistent d'ailleurs largement sur l'indispensable présence de professionnels sourds. Parce que tous les sourds ne s'expriment pas en LSF (en particulier les devenus sourds), parce que ceux qui signent n'ont pas tous le même niveau de langage, parce que les sourds étrangers sont de plus en plus nombreux à consulter, en particulier à Paris, et parce que, de façon générale, comme pour tout le monde, les modes d'expression dépendent de l'éducation reçue. Cependant, estime Jean Dagron, « deux sourds, même avec une langue des signes différente, arriveront toujours à communiquer. Lorsqu'un sourd a une langue des signes rudimentaire, les entendants, même bon signeurs, sont souvent en difficulté. Ils font appel à un sourd-relais qui leur reformule, en LSF compréhensible pour eux, ce que le premier sourd veut exprimer. »

CONSULTATIONS SPÉCIALISÉES

Les promoteurs de ces consultations spécialisées se sont donc donné les moyens de professionnaliser des personnes sourdes afin qu'elles puissent y exercer leurs compétences. C'est ainsi qu'en 2000-2001, pour la première fois, une formation d'aide-soignant destinée aux personnes sourdes était organisée par le groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière(4). Six places étaient offertes, mais finalement quatre aides-soignantes ont été formées et exercent aujourd'hui dans les pôles en tant que professionnelles de santé bilingues.

Une première union de ces dix pôles vient d'être constituée. Elle a fait tout récemment un bilan de leur activité. Au total, la file active actuelle est de 3 065 personnes sourdes, selon les chiffres établis par Jean Dagron. Une majorité d'entre elles (63 %) ont été vues à La Pitié-Salpêtrière, qui existe officiellement depuis 1996, tandis que la plupart des autres ont au plus un à deux ans d'existence. Mais au cours des huit premiers mois de l'année 2003, il y a eu en France 5 952 consultations, dont environ 1 000 avec psychiatre signeur. Et La Salpêtrière ne représente plus que 26 % de l'activité. De ce bilan, il ressort notamment que « 15 à 20 % des personnes qui s'y rendent sont des gens à qui l'équipe fait des diagnostics de maladie grave qui n'avaient pas encore été faits. Et qui étaient donc mal soignés », insiste Jean Dagron. 80 % des consultants ne souffrent pas de grosses pathologies mais manifestent un grand désir d'explications et révèlent un important besoin d'éducation à la santé.

PSYCHIATRIE OUBLIÉE

C'est également ce dont témoigne le Dr Jean-Luc Vourc'h, médecin généraliste aujourd'hui responsable de l'unité de La Salpêtrière, mais qui accueille des patients sourds en LSF dans son cabinet de ville depuis 1982. « Je connais une jeune patiente atteinte de drépanocytose qui est suivie depuis des mois dans un hôpital sans interprète : c'est inacceptable ! Comme elle est en formation dans une école où l'infirmière est en contact avec nous, on va lui proposer une consultation en LSF avant une transplantation plasmatique à La Pitié. Elle va enfin pouvoir comprendre son traitement ! » Ce travail d'éducation thérapeutique - les pôles suivent d'ailleurs un nombre important de patients diabétiques - c'est tout l'intérêt d'un service spécifique pour des personnes sourdes chez lesquelles le besoin est parfois énorme. La méconnaissance du fonctionnement du corps par les personnes sourdes de naissance peut être quasi totale selon l'éducation qu'elles ont reçue.

Globalement toutefois, en termes de prévention, d'éducation à la santé, d'accès aux soins, la situation a bien progressé en quelques années. Mais les difficultés demeurent. Et s'il est une discipline où les besoins restent importants, c'est bien, selon les professionnels du dispositif, la psychiatrie. Non que les sourds, quelle que soit la nature de leur surdité, aient des besoins différents de l'ensemble de la population. Les chiffres de la schizophrénie, par exemple, sont exactement les mêmes que ceux de la population générale. Mais, dans une discipline où tout passe par le « dire », il n'existe en France qu'une seule unité dédiée à la santé mentale en langue des signes. C'est le pôle Surdité et souffrance psychique du centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris.

L'équipe est composée de deux psychiatres signeurs, d'une psychologue, d'une art-thérapeute sourde et d'une infirmière, Michèle Ginès. C'est par curiosité pour la langue, puis pour la culture des sourds, qu'elle a appris la LSF. Puis sensibilisé, et formé les autres infirmières de son service. En leur répétant que « le sourd est un patient comme les autres ». Elle accueille en langue des signes les sourds qui viennent en consultation ou en suivi de traitement, mène des entretiens avec les patients, anime un groupe de parole une fois par semaine, avec des sourds qui ne maîtrisent pas bien la LSF, et souvent aide une patiente dans ses démarches administratives. « C'est un boulot de secrétaire, d'assistante sociale, d'infirmière. Tout ça demande pas mal d'énergie, et on manque terriblement de temps. »

FORMATION LACUNAIRE

Au centre médicopsychologique, le nombre de consultations, environ 1 500 aujourd'hui, a plus que doublé entre 2000 et 2002, et le service compte actuellement 257 dossiers. Le dispositif est complètement débordé. « Aujourd'hui encore, on voit des erreurs de diagnostic, des patients qui se chronicisent tranquillement, d'autres qui traînent depuis 30 ans en hôpital psychiatrique, explique le Dr Catherine Quérel, psychiatre signeur. Alors que c'est vraiment une problématique de communication : à Sainte-Anne, à partir du moment où on a mis en place la LSF, la durée moyenne de séjour est passée à 14 jours, comme pour les entendants, alors qu'elle se comptait auparavant en mois ou en années. »

Mais, outre le CMP et la consultation d'un psychiatre en LSF à La Salpêtrière, il n'y a aucun autre spécialiste signeur dans les pôles. « En santé mentale, s'indigne le Dr Françoise Gorog, chef de service à Sainte-Anne, ne pas s'apercevoir que quelqu'un est malade car il ne peut pas le dire, c'est dramatique. » « C'est là où ça pêche, estime pour sa part le Dr Vourc'h. Savoir comment on va réussir à former suffisamment de psychiatres, c'est le challenge des années à venir. » Pour former davantage de professionnels - de santé, de l'action sociale, sourds et entendants - à la prise en charge de la santé mentale des sourds, un diplôme universitaire vient d'être créé cet automne. Aujourd'hui, les psychiatres bilingues sont à peine une dizaine.

À travers ce dispositif encore en cours de développement, il ne s'agit pas de changer les structures hospitalières pour une minorité de personnes. L'idée est plutôt de créer des réseaux de professionnels à partir des pôles phares. En sensibilisant l'ensemble du personnel à l'accueil de ces patients. Pour cela, des professionnels font des interventions dans certains Ifsi, des établissements organisent des journées de sensibilisation ouvertes à toutes les catégories de personnel, ou bien proposent des formations dans lesquelles les infirmières sont loin d'être en reste. « Beaucoup d'infirmières sont intéressées par la LSF, note Jean Dagron, les formations qui leur sont destinées sont pleines à craquer. Parce qu'elles sont dans la relation d'aide, parce qu'elles sont confrontées dans les services à des sourds et veulent dialoguer avec leurs patients. Nous animons ici un atelier de communication : il n'y a aucun médecin, mais plein d'infirmières ! »

ZONES ÉLOIGNÉES

Malgré les bonnes volontés, malgré aussi les moyens que continue d'attribuer l'État aux pôles (avec de prochaines créations de postes, de consultations de proximité, par exemple à Nice et à Toulon en 2004...), tous les problèmes ne sont pas réglés. Que dire en effet des zones géographiques éloignées des pôles hospitaliers où, pour certains patients sourds, la situation n'a pas bougé d'un iota ? Le témoignage d'Émilie Rousseau, qui réside en Poitou-Charentes et dont les parents sont sourds de naissance, est édifiant : « Ma mère a des problèmes de santé, elle a été hospitalisée plusieurs fois et doit souvent consulter. Nous sommes trois enfants, et depuis que nous sommes tout petits, nous devons systématiquement l'accompagner chez le médecin. Parce que nous sommes à même de lui expliquer les choses dans son langage à elle. Sinon, la plupart du temps, elle ne comprend rien. » Est-ce vraiment la place d'un enfant ? Et où est la confidentialité ? Et la dignité du patient ?

Bien sûr, tout le monde ne peut se former à la LSF. Et les professionnels exerçant auprès des sourds ne jettent pas la pierre à leurs confrères. L'apprentissage de la langue repose sur la bonne volonté de chacun. « Il y a de jeunes médecins qui se forment à la LSF, mais insuffisamment, note Jean-Luc Vourc'h. Et certains veulent des formations payées, sur leur temps de travail. On ne peut pas forcer quelqu'un à se former, d'autant qu'il faut au moins quatre ou cinq ans de pratique pour être vraiment à l'aise. » Sensibiliser davantage les médecins généralistes libéraux est pourtant aujourd'hui l'une des revendications des sourds et des parents d'enfants sourds.

CHÈQUES INTERPRÉTARIAT

« Il existe une demande importante de réponse en termes de médecine de proximité », souligne Michel Gargam, directeur de l'Union régionale des associations de parents d'enfants déficients auditifs (Urapeda) de Bretagne, rapportant les interrogations émises lors d'une toute récente réunion de présentation de l'Unité d'accès aux soins des personnes sourdes mise en place au CHU de Rennes en mai dernier. Si les principaux intéressés se disent très satisfaits de la création d'un pôle à Rennes, ils regrettent en revanche que « rares soient les médecins de famille qui connaissent les modes de communication avec les sourds ». Une préoccupation que partage la FNSF, qui tente de développer les « chèques-interprétariat », une sorte de chèque emploi service pour payer des interprètes, afin notamment d'aller consulter un généraliste de proximité. La Fédération vient d'ailleurs de rendre public un livre blanc sur la communauté sourde dans la société dont le volet santé comporte 14 propositions. Une sensibilisation plus grande de tous les professionnels de la santé sur le monde des sourds, « notamment lors de leur formation initiale », la mise à disposition de minitels, de télévisions sous-titrées pour rompre l'isolement en cas d'hospitalisation font partie de ces propositions. « Les urgences dans les hôpitaux publics et dans les cliniques privées, estime la FNSF, doivent être équipées d'un minitel avec un boîtier dialogue et un flash lumineux pour faciliter l'appel des personnes sourdes et malentendantes et les secourir dans les délais les plus rapides. »

Autre population concernée, autres réserves, pour les personnes devenues sourdes : lors de la réunion sur le pôle de Rennes, poursuit Michel Gargam, « certains protestaient, estimant que le pôle avait une orientation très "LSF", alors que ce n'est pas leur besoin. Eux s'expriment en langue française orale et écrite et lisent sur les lèvres de leurs interlocuteurs : ceux-ci doivent donc s'adapter en s'efforçant de ralentir leur rythme de parole, de ne pas se placer à contre-jour, etc. ». Pour Françoise Gorog, il est effectivement urgent de développer des réponses adaptées pour les personnes devenues sourdes. « En société, celles-ci sont peu à peu exclues de la communication. Devenir sourd crée un isolement, peut entraîner une dépression, voire des idées de suicide. Or, un Français sur dix va devenir sourd. »

1- Pour plus de précisions, voir ce lien : http://www.surdite.net/ documentation/surdite/degres.html 2- L'interview de Françoise Masson a été traduite par Pascale Gras. 3- L'interview de Carole Bruneau a été traduite par Christine Quipourt, l'une des trois interprètes du service. 4- Une autre formation devrait être mise en place l'an prochain.

Qu'est-ce que la LSF ?

La langue des signes française (LSF) est une langue à part entière. Gestuelle et visuelle, elle mobilise l'ensemble du corps (signes des mains, regards, expressions du visage, attitudes...) et possède sa syntaxe et son vocabulaire. La LSF est privilégiée par un certain nombre de sourds profonds pour lesquels elle constitue le meilleur moyen de s'exprimer pleinement - comme n'importe quelle langue maternelle. Inventée par des sourds pour communiquer entre eux et développée à l'initiative de l'abbé de l'Épée, qui créa des établissements où les sourds pouvaient la pratiquer, elle fut interdite en France à partir de la fin du XIXe siècle. La LSF n'est reconnue comme une langue possible pour les jeunes sourds que depuis 1991.

D'un monde à l'autre

Pour se rencontrer, au moins deux lieux passerelles conviviaux entre le monde des sourds et celui des entendants existent à Paris. Le Kiosque flottant, péniche-café amarrée près de la Bibliothèque nationale de France, est souvent fréquenté par des sourds et emploie des serveurs sourds. Quant au Café Signes, ouvert au printemps dernier, il est bien davantage qu'un café-restaurant. C'est un projet d'insertion conçu par le CAT Jean-Moulin, structure d'aide à l'insertion socioprofessionnelle des personnes sourdes. Ouvert à tous, il peut être l'occasion d'amorcer une communication avec le monde des sourds.

> Café Signes : 33, avenue Jean-Moulin, 75014 Paris. Tél. : 01 45 39 37 40.

> Le Kiosque flottant : 27, quai François-Mauriac, 75013 Paris. Tél. : 01 53 61 23 29.

LIVRE

Sourd à l'hôpital

Pour éclairer les personnels hospitaliers sur les difficultés rencontrées par une personne sourde dans le monde du soin, il existe un petit livret intitulé Je vais à l'hôpital... Mais je suis sourd. Édité en 1998 par l'Arpada (Association régionale de parents et amis de déficients auditifs) Île-de-France(1), il permet aux soignants de mieux comprendre les conséquences de ce handicap. En visualisant, par exemple, les angoisses d'un sourd dans une salle d'attente : comment la personne va-t-elle savoir si on l'appelle ? Comment son interlocuteur va-t-elle la comprendre ? Support d'information pour tous les personnels qui interviennent auprès d'une personne sourde hospitalisée, c'est aussi un petit outil de communication basique très pratique. En effet, les très nombreux dessins, mais aussi les quelques phrases et l'alphabet en langue des signes, peuvent permettre un début de dialogue. En outre, on trouve à la fin du livret des étiquettes autocollantes avec un logo représentant une oreille barrée. Elles peuvent être collées sur le dossier médical du patient, par exemple, pour signaler à l'équipe que la personne concernée est sourde.

1- Disponible au prix de 4,50 Euro(s) auprès de l'Arpada, FSCF, 22, rue Oberkampf, 75011 Paris. Tél./fax : 01 43 57 65 69.

LSF à l'hôpital

À Paris, les pôles hospitaliers de soins en langue des signes sont l'Unité d'information et de soins des sourds de La Salpêtrière, le pôle Surdité et souffrance psychique du Centre hospitalier Sainte-Anne, auquel il faut ajouter le travail réalisé auprès des enfants à l'hôpital Robert-Debré (cf. encadré ci-dessous), en réseau avec La Salpêtrière, et le service d'orthopédie de l'hôpital Raymond-Poincaré à Garches (92).

En outre, huit pôles régionaux fonctionnent à l'heure actuelle, aux CHU de Marseille, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Montpellier, Rennes et Grenoble et à l'hôpital Saint-Philibert de Lille. D'autres sont en cours de création.

Renseignements : http://www.visuf.org/ viepratSante.php

INTERVIEW

« Un temps d'explication et d'écoute... »

Maria-Alexandra Groff, cadre puéricultrice aux urgences, s'occupe de l'accueil et de l'accompagnement des enfants sourds à l'hôpital Robert-Debré à Paris.

> Quel est votre rôle auprès des enfants sourds ?

Je suis une infirmière puéricultrice qui communique en langue des signes. En plus de mon travail de cadre aux urgences, j'accueille en consultation les parents et les enfants sourds et leur donne des informations sur la maladie, le traitement, les examens. Je reprends systématiquement ce qui a été expliqué, parfois avec un interprète si je sens que je ne maîtrise pas suffisamment le vocabulaire d'une spécialité trop pointue, pour être sûre que tout est bien compris. J'assure aujourd'hui une dizaine de consultations par mois. Elles durent au moins une demi-heure, mais c'est un temps d'explication et d'écoute nécessaire.

> Et en cas d'hospitalisation, d'intervention chirurgicale ?

Dès qu'une personne arrive au bloc, on m'appelle. J'explique le déroulement de l'opération, je reste en salle de réveil pour pouvoir communiquer autour de la douleur du patient. Il m'arrive aussi d'intervenir auprès d'une femme sourde en cas de césarienne : pendant l'intervention, elle a plein de questions et c'est très important de pouvoir y répondre. Enfin, je vais régulièrement dans les services voir les enfants sourds hospitalisés.

> Comment vous êtes-vous intéressé aux personnes sourdes ?

C'était il y a dix ou douze ans, j'étais dans un autre hôpital. La première fois que j'ai vu une personne sourde dans mon service, c'était une adolescente de douze ans. Personne n'arrivait à communiquer avec elle. Au bout de quelques jours, elle a tout mis par terre dans sa chambre, et puis elle s'est enfuie. Pour la calmer, on l'a piquée sans ménagement, ça m'a choquée. Je sais aujourd'hui que cette enfant avait des choses à dire sans pouvoir les exprimer. Et ça m'a marquée.