L'hôpital fait son nid... - L'Infirmière Magazine n° 192 du 01/04/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 192 du 01/04/2004

 

Horizons

Au CHU de Brest, les équipes appliquent auprès des enfants nés prématurément un programme de soins de développement appelé Nidcap. Qui implique une plus grande attention des soignants, et une participation active des parents aux soins.

- 9 h 45, service de néonatologie du CHU de Brest. L'une des puéricultrices, Nathalie Daniel, apprend que la mère de Karla vient d'arriver. « Comme la petite est réveillée, on va en profiter pour faire ensemble la toilette », commente-t-elle. Quelques instants plus tard, comme Karla ne semble pas trop fatiguée, la mère est chargée de la peser. Puis elle l'endort, grâce à une séance de peau à peau.

Soins individualisés.

Catherine Mambrini, puéricultrice cadre de santé en néonatologie, explique que « le traitement des prématurés a beaucoup évolué depuis que l'équipe applique la méthode américaine Nidcap (Programme néonatal de soins et de soutien du développement). Ce concept, qui se base sur des observations régulières des patients, permet d'élaborer un programme de soins individualisés. Auparavant, nous suivions un système centré sur des protocoles stricts, sans tenir vraiment compte de l'état de l'enfant. Par exemple, toutes les toilettes devaient être faites le matin : ça hurlait, mais à dix heures, ils étaient tous lavés, leurs couveuses impeccables... Mais, dans l'intervalle, certains bébés stressés s'étaient épuisés à pleurer, avaient des difficultés à boire, voire faisaient des bradycardies plus nombreuses dans la matinée. Aujourd'hui, a contrario, on ne va surtout pas réveiller un enfant pour lui faire sa toilette. On attendra le moment favorable pour la réaliser, si possible en présence des parents. »

Réagir aux pleurs.

« Hormis la première semaine, les soins à apporter aux prématurés ne sont pas tous à faire en urgence, commente le professeur Jacques Sizun, responsable de l'unité de réanimation et du secteur périnatal. On n'attend donc plus d'une infirmière qu'elle suive uniquement les instructions d'une fiche de poste mais bien qu'elle sache observer un enfant... et qu'elle apprenne à réagir en conséquence. » Un changement de travail d'abord difficile à assumer, comme en témoigne Nathalie Daniel : « Quand j'ai réintégré ce service en 1999, j'ai commencé par prendre une grosse claque ! Le premier prématuré que j'ai baigné m'a fait une bradycardie avant de vomir... Aujourd'hui, j'ai appris à repérer les signes de stress qui m'avertissent de ne pas aller trop loin avec un bébé fatigué. »

« Par exemple, explique Catherine Mambrini, ce n'est qu'à partir d'environ huit mois qu'un enfant pleure afin d'attirer l'attention. Avant cet âge, ces mêmes pleurs correspondent à un véritable appel de détresse, auquel il faut répondre rapidement. Il convient également de prendre le temps de rendormir les enfants. Par la suite, l'infirmière aura moins besoin d'intervenir auprès d'eux. Ainsi, le temps qu'on pense avoir perdu avant est donc récupéré sur l'ensemble de la journée... D'ailleurs, le nombre de personnes travaillant dans le service n'a pas changé depuis l'application de la nouvelle méthode. En revanche, cinq infirmières sur 29 sont parties : elles n'arrivaient pas à s'adapter à ces évolutions. »

Silence !

Même l'ambiance du service a été bouleversée par Nidcap. « Autrefois, se souvient Nathalie Daniel, entre infirmières, on parlait fort, on rigolait même parfois autour des bébés ! Maintenant, on s'exprime doucement, on ne claque plus les portes... Et ça nous choque quand un professionnel ou quelqu'un de la famille élève trop la voix ! Ce calme nous permet aussi de baisser le volume des sonneries d'alarme. » Afin de permettre aux prématurés de se reposer, les rideaux sont également tirés (afin d'atténuer l'intensité lumineuse) et les couveuses sont recouvertes de protection si nécessaire. « Ça a été dur d'apprendre à travailler dans cette obscurité, surtout en réanimation, reconnaît une autre infirmière, Sylvie Bleunven. Mais on s'y habitue et l'on apprend aussi à protéger les yeux du prématuré avec une main lorsque l'on veut pouvoir l'examiner en pleine lumière... Avant, j'avais l'impression d'appliquer une technique. Aujourd'hui, j'ai le sentiment de regarder réellement les enfants dont je m'occupe, avant, pendant et après le soin. »

Des parents partenaires.

La méthode Nidcap comporte un volet d'intégration des parents. Ceux-ci sont admis 24 heures sur 24 dans les services de réanimation et de néonatologie. « S'ils connaissent par coeur leur enfant, ils pourront mieux s'en occuper à la sortie de l'hôpital, affirme Sylvie Bleunven. Au départ, certaines mamans n'osent même pas toucher leur prématuré... On leur apprend à les soutenir avec les mains puis, quand l'enfant va mieux, on progresse jusqu'aux soins de nursing. » « Quand l'enfant nous a montré qu'il était capable de supporter les déplacements, nous le mettons même intubé dans les bras de ses parents, au lieu de le laisser tout le temps dans sa couveuse, complète Nathalie Daniel. C'est à nous de savoir accueillir les parents : il ne faut pas les regarder comme des juges mais bien comme des partenaires. En partant du principe qu'ils sont compétents. Même quand surgit un problème, ils apprennent les informations sur le vif. De cette manière, ils sont moins agressifs que si on les avait laissés attendre derrière une porte. »

Deux parcours.

Gwénola et Christophe sont parents de deux prématurés, nés respectivement avant et après la mise en place de la méthode Nidcap au CHU. « Je connais mieux Blandine que mon premier né, Clément, confirme aussitôt la maman. Pour ma petite fille, j'ai été présente durant son parcours en réanimation. Ce qui n'était pas facile car, à chaque aspiration, elle faisait des malaises. Mais j'avais l'impression que je pouvais lui donner l'envie de se battre, qu'elle entendait ma voix... En revanche, pour Clément, dès qu'il y avait un problème, on nous faisait sortir, c'était extrêmement frustrant ! De même, les infirmières m'ont mis Blandine au bout de quinze jours dans les bras, alors qu'il a fallu attendre plus d'un mois pour mon fils... À cause de tout ça, mon premier né m'est apparu comme un enfant malade, dont j'avais un peu peur. En revanche, comme j'ai assisté aux crises de Blandine, je me sens davantage capable de juger si elle va bien ou non. Résultat : lorsque ma fille va sortir de l'hôpital, ça va être une vraie joie, on va célébrer son arrivée chez nous un peu comme une seconde naissance ! Clément et Blandine auront tous les deux leur album photo "spécial hôpital" à la maison. Mais ça restera des histoires bien différentes l'une de l'autre. »

Méthode peu utilisée.

« Je constate que les enfants ainsi traités ont besoin d'une durée d'oxygénation ou de ventilation moindre, conclut le professeur Sizun. Leur période d'alimentation par gavage est également réduite. » Autre observation de Catherine Mambrini : « Comme les médecins se fient davantage à l'examen clinique, cela permet de baisser le nombre de prélèvements biologiques effectués (tels que les prélèvements sanguins, les radios pulmonaires). En revanche, dès qu'un problème surgit, on remet toute la batterie des examens en marche. »

Expérimentée pour la première fois dans les années 80 aux États-Unis, la méthode Nidcap n'est encore appliquée en Europe que par une poignée d'équipes médicales. Pour l'heure, cinq études randomisées ont été réalisées auprès de grands prématurés, mais elles correspondent à des échantillons numériquement faibles. Une enquête scientifique de grande ampleur reste donc à mener...

LIVRE

Je vous parle, regardez-moi !

Le docteur Nathalie Ratynski occupe à Brest un poste de formateur dédié à la méthode Nidcap. Elle a écrit un livret intitulé Je vous parle, regardez-moi !(1). Destiné aux parents, il leur délivre des conseils pratiques concernant la prise en charge de leur enfant prématuré, en partenariat avec les soignants. Il y est expliqué, par exemple, qu'il est essentiel de préserver la position naturelle de l'enfant. En l'installant couché sur le côté, le dos bien fléchi, le bébé peut ainsi rapprocher ses mains de son visage et serrer ses pieds l'un contre l'autre, dans une position où il se sent bien. On l'aide aussi à se maintenir et à trouver les limites de son corps, en l'entourant d'un petit nid fait d'un drap roulé suffisamment haut pour qu'il puisse y appuyer ses pieds. Ce qui évite au prématuré de se sentir perdu dans sa couveuse. De même, durant la pesée, l'enfant est enveloppé d'un linge, afin de lui éviter la désagréable sensation d'être effeuillé.

1- Je vous parle, regardez-moi !, diffusé par l'association Sparadrap, 48, rue de la Plaine, 75020 Paris. Tél. : 01 43 48 11 80 ou http://www.sparadrap.org.

Où se renseigner ?

Centre hospitalier universitaire

5, avenue Foch 29200 Brest

Tél. : 02 98 22 33 33