La mémoire au comptoir - L'Infirmière Magazine n° 193 du 01/05/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 193 du 01/05/2004

 

ALZHEIMER

Actualités

« Plus la maladie d'une personne Alzheimer s'aggrave, plus elle est mise à l'écart », constataient les auteurs d'une étude citée dans notre numéro d'avril. C'est justement pour éviter cette exclusion qu'à Rennes, un Bistrot mémoire a vu le jour.

Ce 8 avril, comme tous les jeudis après-midi, au fond du café Le Scaramouche, situé derrière le Théâtre national de Bretagne, en plein centre de Rennes, les conversations vont bon train. Pas de thème de discussion cet après-midi. Exceptionnellement, c'est relâche. Dernière séance, avant la coupure pascale. Trois mini-groupes se sont constitués spontanément.

Reconstruire l'histoire

Sur les murs de la salle qui accueille ce Bistrot mémoire ont été fixées des photos de Cuba. Légèrement au-dessus des autres, une place est reservée au portrait de Che Guevara. Bien à sa place, tellement l'endroit est... révolutionnaire. Pourtant, l'idée paraît toute simple : créer un lieu, ouvert aux personnes atteintes d'un Alzheimer, à leurs proches et aux aidants, non thérapeutique. C'est-à-dire un espace où, comme le dit joliment Marie-Hélène Le Breton, la psychologue embauchée pour l'occasion et chargée d'être à l'écoute de ceux qui sont le plus en souffrance, « le travail se fait à l'insu de la personne ». C'est dire le besoin de communication. « Libre à ceux qui le souhaitent, parmi les proches, de rejoindre par exemple un groupe de parole. »

Carence en structures

À l'origine de cette aventure, qui a débuté le 15 janvier, quelques membres d'un groupe de parole en fonctionnement dans une maison de retraite de Rennes, et désireux de se retrouver autour de personnes malades. « Les conjoints ou enfants souffrent de voir que l'histoire commune construite avec leur proche est rompue, explique Isabelle Donnio, psychologue et une des initiatrices du Bistrot. Ils craignent alors de perdre la relation. D'où cette idée de proposer des rencontres dans un lieu symbolique, le café, pour aider à retisser du lien social dans la famille et au-delà dans la société. Car la maladie d'Alzheimer ne doit pas être qu'une affaire de professionnels. »

Le déficit de structures et d'informations étant tel, les discussions tournent beaucoup autour des questions d'organisation. « Des questions importantes, considère un participant ayant perdu son épouse atteinte d'Alzheimer. Il ne faut pas attendre d'être à bout pour trouver des solutions. Ne serait-ce que pour sortir de son environnement de temps en temps, car vivre 24 heures sur 24 avec un malade Alzheimer n'est pas rigolo. »

Par la seule force de son témoignage il y a quelques semaines, ce participant a convaincu le mari d'une personne malade de partir en vacances avec sa femme et en compagnie d'un de leurs enfants. Improbable avant cette rencontre. Ce type de propos peut conforter certains proches dans leur démarche d'ouverture. « D'autant plus que les proches ressentent souvent un sentiment de culpabilité, remarque Marie-Hélène Le Breton. Même quand il s'agit de faire intervenir une aide-soignante pour la toilette, la prise des médicaments... »

Relation apaisée

L'heure avance, mais les personnes attablées autour d'un thé ou d'un jus d'orange ne sont pas pressées de partir. D'ordinaire, vers 16 heures, un thème est abordé par un spécialiste : « Le généraliste et la suspicion d'une maladie d'Alzheimer », « L'aide des caisses de retraite complémentaire » ou, à venir le 27 mai, « Autour de l'alimentation » avec l'intervention d'une infirmière et d'un cuisinier. Mais certains participants assidus ont eu envie de pouvoir parfois échanger entre eux, librement. Ce moment volé en quelque sorte leur montre que, malgré les difficultés du quotidien, les inquiétudes quant à l'évolution de la maladie, la vie peut continuer, sans occulter la réalité, mais autrement. « Il est possible d'avoir une relation avec le proche malade, mais complètement différente de celle qui existait, estime Isabelle Donnio. Plus sensitive, plus intuitive. »

« Une des participantes a constaté que lorsqu'elle a accepté la perte de la communication d'avant, la relation est devenue plus tendre, plus apaisée, son conjoint moins agressif », conclut Marie- Hélène Le Breton

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