La mémoire neuve - L'Infirmière Magazine n° 193 du 01/05/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 193 du 01/05/2004

 

Horizons

Fini le cahier de liaisons qui ne transite jamais par le malade ! Une équipe de l'hôpital Bretonneau a conçu un agenda pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Associant également les proches et les soignants, il est fondé sur l'anticipation et le rappel.

« Dans les hôpitaux, il y a toujours eu des carnets de liaisons. Mais le patient n'y prenait pas part. On voulait créer quelque chose qu'il puisse s'approprier. Ici, ils ont avant tout des problèmes de mémoire. Ils ne se souviennent souvent pas de ce qu'ils ont fait au début de la journée. Ce cahier se fonde sur l'anticipation et le rappel. On travaille sur la mémoire prospective et antérograde. Les proches peuvent participer. »

Blandine Orellana, cadre de santé à l'hôpital Bretonneau (Paris) jusqu'en janvier dernier, a contribué avec toute une équipe à la mise en place de ce cahier de mémoire. Aujourd'hui cadre au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), elle revient sur ce projet. Un projet récompensé lors du Salon infirmier par la fondation Eisai (cf. encadré ci-dessous) qui a remis un prix de 6 000 Euro(s) à l'une des infirmières de l'équipe : Vilna Nyeck, aujourd'hui élève à l'école des cadres de La Pitié-Salpêtrière (Paris). Mais qu'est-ce que ce fameux cahier de mémoire ? « Ce cahier vise à être à la fois un outil de liaison et un outil thérapeutique », observe en souriant Vilna Nyeck.

Désorientés

Partant du constat que les patients touchés par la maladie d'Alzheimer sont souvent désorientés, toute l'équipe composée d'aides-soignantes, de psychologues, d'infirmières, d'un orthophoniste, d'un neurologue et d'un gériatre a réfléchi à un agenda. « Quand est-ce que je reviens donc ? », « Quel jour je reviens ici ? », « Je reviens bien demain ? » sont des questions qui surgissent souvent. Ce nouvel outil s'appuie sur le « potentiel résiduel » de patients atteints par la maladie d'Alzheimer. « On a commencé par travailler sur plusieurs agendas avant de concevoir le nôtre, explique Blandine Orellana. Cela me tient à coeur car je connais beaucoup d'hôpitaux de jour. D'habitude, le cahier de liaisons passe de l'ambulancier au médecin puis aux proches mais il ne transite jamais par le patient. »

Au départ, ce cahier était très artisanal. L'équipe pluridisciplinaire avait créé un cahier tout simple pour noter l'activité journalière des patients et ce qui est prévu ultérieurement.

Compte rendu daté

Pour les aider à se souvenir, ils disposaient jusque-là d'aide-mémoire (post-it, agendas...) dont l'efficacité était limitée. Une nouvelle phase du projet a été abordée en 2003 : il s'agissait de permettre aux patients de se rappeler en fin d'après-midi des faits essentiels de leur journée passée à l'hôpital. L'agenda est devenu un compte rendu daté auquel le patient et la famille peuvent se référer. « Nous avons demandé ensuite à un laboratoire de nous aider à concevoir un agenda mémoire, explique Blandine Orellana. Ce carnet reprend les grands principes avec des indications d'utilisation. »

La publication de ce document par le laboratoire Janssen- Cilag coïncida avec l'attribution du prix Eisai à Vilna Nyeck. Une pure coïncidence. L'agenda du laboratoire apparaît sous forme d'un « carnet agenda » avec des jours datés et des couleurs. Les visiteurs médicaux le distribuent avec sa mallette d'explications. Il y a différentes parties de couleur. Mais pour l'heure, « l'ancienne version » du cahier de mémoire demeure la plus utilisée. « Il est très souple dans son fonctionnement, cela favorise les liens entre l'équipe et la maison », explique le docteur Marie Sarazin, neurologue dans le service. Actuellement, grâce à la somme d'argent reçue par la fondation Eisai, on attend là aussi prochainement l'impression de cette première version.

« Il sera très ergonomique, fait observer Vilna Nyeck, petit donc facilement transportable. Le cadre ne doit pas être trop étroit au risque de brider l'expression. Par exemple, on a choisi de ne pas inscrire de date. Il est essentiel de montrer la pertinence de ce cahier. »

À l'hôpital de jour neuropsychogériatrique de Bretonneau, les patients sont accueillis du lundi au vendredi de 9 heures à 17 heures. Deux groupes de 16 personnes passent la journée à l'hôpital, soit 32 personnes en tout. Les deux groupes ne sont pas au même niveau de perte d'autonomie.

Vignettes autocollantes

La durée de séjour est de cinq mois. Les personnes prioritaires sont celles qui vivent seules. La journée type est la suivante : l'atelier Taï Chi(1) a lieu à 9 h 45. À 10 h 15, première séance de rééducation.

Ensuite, ceux qui le désirent peuvent aider le personnel à mettre la table pour le déjeuner qui a lieu à midi. Puis chacun fait la sieste ou joue aux dominos. À 14 heures, c'est l'heure du second atelier de rééducation. À 15 h 15 survient le goûter.

C'est aussi le moment de revenir sur le cahier de mémoire. À cette étape de la journée très importante, tous les patients réunis sortent leur cahier pour reconstituer leur journée. C'est donc bien devenu un compte rendu daté auquel le patient et sa famille se réfèrent. Le cahier contient une page de garde avec le nom et le jour de l'hospitalisation puis le livret d'accueil de l'hospitalisation de jour. Les pages suivantes sont ensuite séparées entre le matin, l'après-midi et la correspondance avec la famille et les intervenants. Les patients disposent de planches avec différentes étiquettes autocollantes, très pratiques pour ceux qui n'ont plus accès à l'écriture. « C'est une béquille, une aide, note Blandine Orellana. Cela les aidera longtemps. Un outil comme un autre pour faire durer l'autonomie. »

Une page est consacrée à l'information de la semaine (exemple, mon fils est en vacances). Une zone est donc prévue pour les médecins qui communiquent par ce biais avec la famille. Ils vont ainsi noter ce qu'ils ont fait dans la journée.

Moins d'angoisse

Faire reculer l'hospitalisation reste le but de cette initiative. À Bretonneau, tous les patients ont leur cahier de mémoire, un outil thérapeutique et outil de liaison avec la famille, les soignants. Les familles sont ainsi moins angoissées parce qu'elles savent ce qui se passe à l'hôpital et les patients se souviennent.

Un questionnaire auprès des familles a permis de réaliser l'importance du cahier. Les proches sont ainsi moins désemparés avec cet outil qui est un lien entre eux et l'hôpital. « Cela a été très positif, tout le monde est unanime pour dire que les troubles du comportement se sont arrangés. Les actes d'hygiène reviennent un peu chez les patients. C'est toujours cela de gagné. Cela soulage beaucoup les familles. »

Maintenir l'autonomie, telle est la mission de ce simple cahier. Une idée que l'équipe de Bretonneau aimerait bien voir relayée. « L'idée est que ce cahier sorte de l'hôpital pour aller en ville, conclut Vilna Nyeck. D'autres hôpitaux doivent se l'approprier. Il faut le faire vivre ! »

1- Pour plus d'informations sur la pratique du Taï Chi à Bretonneau, lire Alzheimer : des progrès de Taï L'Infirmière magazine n° 185, septembre 2003, p. 24.

FONDATION

Présentez votre projet !

Depuis sa création en 1996, le laboratoire Eisai(1) est très impliqué dans l'information sur la maladie d'Alzheimer. Sa fondation vise notamment à soutenir les malades et leurs familles, permettre la prise en charge sociale en concevant des projets de formation médicale et paramédicale. Elle propose tous les ans aux infirmières de participer aux bourses Florence Nightingale. Si vous avez un projet innovant dont la finalité est le respect de la dignité des personnes âgées, le respect de leurs choix de vie, et le maintien de l'autonomie, demandez un dossier de candidature par courrier à la Fondation d'entreprise Eisai, Greenwich Corporate, Bourses Florence Nightingale, 11, villa Wagram Saint-Honoré, 75008 Paris ou par mail (contact@greenwich.fr).

1- http://www.eisai-fondation.org