Cadre de santé, des IDE disent NON merci ! - L'Infirmière Magazine n° 194 du 01/06/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 194 du 01/06/2004

 

Enquête

- Alors que la pénurie semble menacer les cadres de santé, certaines infirmières rechignent à s'engager dans cette voie - Les raisons de cette désaffection : trop de tracasseries administratives, pas assez de soins - Cette fonction mérite une revalorisation.

« Mon dossier de formation était bouclé. Mais au dernier moment, j'ai inventé une raison pour ne pas y aller. Réflexion faite, entre les contraintes budgétaires, le sacro-saint pouvoir médical, la gestion administrative et le peu de liberté décisionnelle donnée au cadre, ne serait-ce que dans le choix de son équipe, je me suis dit que ce poste était intenable. » À l'exemple de Corinne, infirmière urgentiste depuis une quinzaine d'années, nombre d'IDE ne veulent plus aujourd'hui embrasser la carrière de cadre de santé d'unité de soins. Au tableau de leur désamour, ces soignants affichent pêle-mêle : pesanteurs administratives, pénuries de personnels et de lits, manque de reconnaissance, complexité et polyvalence du poste, absence d'autonomie, éloignement du soin, travail à flux tendu... Bref, alors qu'hier encore cette évolution professionnelle leur semblait naturelle, la fonction de cadre est devenue un véritable repoussoir.

Patient absent

Pour Isabelle, IDE en Seine-Saint-Denis depuis 1989, l'affaire est d'ailleurs entendue : « Enseigner peut-être, encadrer jamais ! » Et d'ajouter : « Désormais, le rôle du cadre est voué aux tâches administratives. Dans cet univers, le patient est totalement absent. Pour l'instant, je préfère rester auprès des malades, car même si nous avons peu de temps à leur consacrer, c'est toujours plus que les cadres. Dans mon établissement, beaucoup de postes de cadres sont vacants. Pour l'heure, ils sont occupés par des IDE "faisant fonction". J'ai aussi été sollicitée, mais j'ai décliné l'offre car, de surcroît, il fallait réintégrer un temps complet. » Un manque d'enthousiasme qui ne surprend guère Bernard Henin, secrétaire fédéral de FO Santé. « La situation s'aggrave. Et même si nous n'avons pas de données précises, nous sentons bien, au travers des rencontres que nous avons un peu partout en France, que la crise de vocation est réelle. Il faut dire que les conditions de travail des cadres d'unités de soins et le malaise qui en découle ne sont pas très attrayants », constate le syndicaliste.

Les IDE ne sont pas les seules à se plaindre de l'évolution de la profession de cadre de santé. Josiane Pheulpin, cadre infirmier à l'hôpital intercommunal de la Haute-Saône, abonde également dans leur sens.

Image écornée

À l'occasion d'une table ronde réunie, en octobre 2002, par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, dont le thème portait sur l'organisation interne à l'hôpital, elle a fait part de son expérience et de ses doléances : « Les surveillantes des services sont devenues des gestionnaires administratives. Entre les réunions et les formations, elles sont rarement avec leurs équipes. » Pour remédier à ces manques, Josiane Pheulpin a notamment préconisé le recrutement d'un agent administratif par unité afin de libérer le cadre des tâches administratives. « Il retrouverait son rôle de coordination, d'interface entre les malades, les soignants et l'administration. J'irais même plus loin : le cadre infirmier doit être la personne garante de la réalisation des desiderata du malade. »

Des IFCS toujours pleins

En attendant, l'image des cadres de soins reste passablement écornée aux yeux des IDE. Alors que, selon elles, les cadres devraient être le moteur et le médiateur des unités, elles les jugent comme des courroies de transmission de l'administration, tiraillées entre leur propre hiérarchie, les médecins, le personnel qu'elles doivent diriger et les services qu'il leur faut faire tourner. Dans ce contexte, le travail des cadres se résumerait, « sans la moindre marge de manoeuvre », à de la pure gestion : planning des emplois du temps et commandes de pharmacie...

Un constat dur et amer que tempère Emmanuel Lehuraux des cadres de santé CFDT, responsable de l'Union fédérale des cadres du sanitaire et du social (Ufcass), même s'il confie que pour être cadre aujourd'hui, il est préférable de posséder une bonne dose de passion ou... d'inconscience. « Le métier de cadre est difficile. Et bien qu'il fasse appel à de nombreuses aptitudes, il est insuffisamment valorisé. Leur champ de compétences s'est beaucoup élargi et, en contrepartie, elles n'ont pas eu les moyens pour assurer leurs nouvelles missions. Sans oublier qu'elles sont parfois obligées d'appliquer des décisions et des orientations auxquelles elles n'ont pas été associées, ou qu'elles ne cautionnent pas. Et tout ça, dans un contexte de crise hospitalière généralisée. »

Pourtant, les ressources sont là. Encore faudrait-il stimuler les infirmières et leur offrir des perspectives professionnelles plus séduisantes pour qu'elles franchissent la rive qui les sépare de l'encadrement. « En soi, ce métier ne me rebute pas », reconnaît d'ailleurs Nadine, IDE depuis 16 ans. Elle ajoute cependant : « Mais, actuellement, il faut avoir les épaules solides pour exercer cette fonction. Les cadres sont des fusibles et dès qu'une chose ne va pas, c'est sur elles que ça retombe. À l'AP-HP, celles qui prennent des initiatives sont très souvent aplaties par le rouleau compresseur de l'immobilisme. C'est un gâchis de compétences qui ne donne pas envie de sauter le pas. » Pour Annick Bourrez, vice-présidente du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) et responsable de la formation des cadres de santé : « La désaffection des IDE pour le métier de cadre ne se vérifie pas dans les chiffres. » Les 36 IFCS adhérents au Cefiec ont d'ailleurs fait le plein lors de la dernière rentrée, et près de 1 700 IDE sont actuellement en formation dans ces instituts. « En revanche, souligne Annick Bourrez, nous voyons bien que des infirmières qui auraient les capacités, l'expérience et l'envie d'être cadres hésitent ou ne sont pas incitées à le devenir. »

Quelle pénurie ?

Avant de tirer des conclusions hâtives, la vice-présidente appelle de ses voeux la mise en route d'une enquête nationale pour pointer précisément les manques. « Pour l'instant, les autorités de tutelle et le ministère ne nous communiquent pas les chiffres pour nous permettre d'apprécier à quelle hauteur la pénurie de cadres s'installe. » Contactées, la DHOS, la Drees et l'AP-HP(1) n'ont effectivement pas été en mesure de fournir des statistiques. De sources syndicales, au 31 décembre 2002, 353 cadres de santé d'unité de soins manquaient déjà à l'appel dans les 39 établissements de l'AP-HP. On peut croire que la mission confiée à l'Observatoire national de la démographie des professions de santé, installé en juin 2003 par le ministère de la Santé, sera à même d'établir rapidement un état des lieux précis de la vacance des postes. Forts des constats du nouvel organisme, les pouvoirs publics seront prompts à proposer des solutions pour redorer le blason des cadres auprès des IDE. De toute façon, des actions s'imposent puisqu'une étude publiée en mai 2003 par la DHOS montre qu'à l'horizon 2015, 85 % des cadres de santé de la fonction publique hospitalière(2), soit plus de 19 000 personnes, partiront à la retraite. Le pic des départs se situant cette année et en 2005. Et les infirmières « faisant fonction » ne pourront pas, à elles seules, pallier indéfiniment les carences. D'autant que les effectifs infirmiers flirtent déjà avec les basses eaux.

Les conditions de travail ne seraient pas les seules mises en cause. Ainsi, selon Jean-Claude Bernard, membre de la commission exécutive de l'Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens CGT (UFMICT), les modifications intervenues en 2002 dans le statut des cadres, ne seraient pas étrangères au phénomène : « Les cadres de santé sont désormais considérées comme des "sédentaires", explique-t-il, elles ont donc perdu la possibilité de faire valoir leurs droits à la retraite à partir de 55 ans, après 15 ans de service. »

Salaire peu attrayant

De fait, celles qui aujourd'hui opteraient pour l'encadrement sans avoir capitalisé ces quinze années devront, au plus tôt, patienter jusqu'à 60 ans pour cesser leur travail. Quant au salaire de départ pour un cadre fraîchement nommé, il ne serait pas non plus un levier incitatif selon Bernard Henin de FO. « Au regard des responsabilités que doit aujourd'hui endosser le cadre, la différence est même minime par rapport à la rémunération d'une IDE. »

Dans cette morosité ambiante, il existe malgré tout des IDE qui font fi de toutes ces difficultés. C'est le cas de Laurence qui vient de passer le concours. Puéricultrice depuis 22 ans, elle sait qu'elle va devoir évoluer sur un terrain miné et s'accommoder avec sa détestation de la paperasse. « Le personnel est démotivé, on manque de tout et la précarité des patients est croissante. Cela étant, j'espère en l'amélioration des conditions de travail pour pouvoir construire des projets avec l'équipe. » On l'espère aussi.

1- DHOS : Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. Drees : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. AP-HP : Assistance Publique-hôpitaux de Paris. 2- Cadres issus de la filière médicotechnique inclus.

« Faisant fonction », piège ou bonne formule ?

La majorité des postes vacants de cadres de soins sont actuellement pourvus par des IDE « faisant fonction ». « Ce peut être une bonne formule, puisqu'elle peut permettre aux infirmières de savoir si elles sont faites pour ça », explique Annick Bourrez, vice-présidente du Cefiec. « Mais, attention, prévient-elle, il ne faut pas que cette expérience se déroule dans n'importe quelles conditions, car peut alors se profiler le découragement. L'idéal serait qu'elles soient épaulées par un cadre référent et qu'elles puissent accéder à une formation dans un délai relativement court. Il faut également noter que cette situation n'est pas la meilleure des positions pour préparer le concours d'entrée en IFCS, car, comme tous les cadres, les "faisant fonction" ont une charge de travail lourde et courent après le temps. »

TÉMOIGNAGE

« Pour l'autogestion ! »

Infirmier urgentiste dans un hôpital de la banlieue nord, Olivier Meuillet, infirmier depuis cinq ans, est, dans son genre, un iconoclaste... Bien qu'il avoue s'entendre fort bien avec son actuel cadre, il se prononce tout bonnement pour la suppression de ce corps. « Je suis pour l'autogestion dans les services. D'ailleurs, les tâches dévolues aux cadres pourraient être effectuées à tour de rôle par les IDE. En plus, ça responsabiliserait celles qui se comportent parfois comme de simples consommateurs... Quant aux projets, rien n'empêche qu'ils soient portés par le Conseil de service. Ma religion est faite, je ne serai jamais cadre. Après tout, le métier d'IDE offre pas mal d'opportunités et rien ne nous interdit de bouger dans les services ou de nous spécialiser. Cela dit, admet Olivier, il faut reconnaître que les cadres n'ont pas un boulot facile. Dans mon service, il n'y a actuellement qu'un poste pour vingt équivalents temps plein d'IDE et une quinzaine d'aides-soignants et d'agents hospitaliers, par rapport à l'AP-HP on est nettement en dessous de la norme. »

Vrai/Faux

-> On peut être cadre dans la fonction publique hospitalière sans diplôme.

FAUX - Depuis le 31 décembre 2001, un décret relatif au corps des cadres introduit l'obligation de détenir un diplôme de cadre de santé pour exercer dans ce secteur. Pour accéder au grade, il faut également passer un concours sur titre.

-> La démographie des cadres est maîtrisée.

FAUX - D'ici dix ans, 85 % des cadres de santé de la fonction publique hospitalière, soit plus de 19 000 personnes, partiront en retraite, selon l'étude Données démographiques horizon 2015 conduite par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. Le pic des départs se situe en 2004 et 2005.

-> On peut prétendre passer le concours d'entrée en IFCS après cinq ans d'exercice professionnel.

VRAI - C'est le minimum requis pour suivre la formation de cadre, après avoir obtenu son concours d'entrée. Pour multiplier leurs chances de réussite, rien n'interdit aux candidats de se présenter à plusieurs concours d'entrée.