Jeunes cadres : à vos postes ! - L'Infirmière Magazine n° 198 du 01/10/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 198 du 01/10/2004

 

Enquête

- Chaque année, ils sont plusieurs centaines à sortir de l'IFCS avec leurs galons tout neufs de cadres de santé - Tour d'horizon d'une prise de poste qui réclame créativité, sens de l'écoute et... une bonne dose de courage.

« Je me sens bien dans mon poste de cadre, parce que je me donne les moyens de l'être ! Pour ça, j'ai fait le choix d'avoir une démarche totalement transparente, et si je sais dire oui, j'ai également appris à dire non, aussi bien à ma hiérarchie qu'à mon équipe. Mais je n'oublie jamais d'expliquer les raisons qui me conduisent à dire non », remarque Leïla. Et d'ajouter : « Sinon, tous finiraient par croire que tout est facile pour moi ! »(1)

Cadre de santé dûment diplômée depuis juin 2002, Leïla a d'emblée opté pour un poste de nuit. Et si elle considère que l'expérience est riche, elle avoue aussi qu'elle est très difficile. « Au sortir de l'IFCS, on est happé par le quotidien. Encadrer dix services, c'est autant de cultures à appréhender et à prendre en compte, et gérer une soixan- taine d'agents réclame une belle aptitude à l'écoute et à la communication. » Des qualités que Leïla avaient découvertes puis aiguisées durant deux ans et demi en acceptant un poste de faisant fonction. « À l'époque, j'ai profité du tutorat d'un cadre supérieur qui a été très présent. Ensuite, la formation à l'IFCS m'a permis à la fois de théoriser ces acquis et de prendre du recul par rapport à ma pratique de terrain », se souvient-elle.

Parmi les facteurs favorisant la prise de poste, l'accompagnement par un pair semble un atout indéniable, note Marie-Laurène Menini, cadre supérieur de santé et formatrice à l'IFCS de Sainte-Anne à Paris : « Nombre de jeunes cadres assurent que cela les a aidés à structurer leur travail. Malheureusement, la pénurie d'effectifs dans cette profession est telle que cet accompagnement est assez rare ».

Prendre soin des soignants.

Si elle admet avoir eu de très bonnes conditions pour entrer dans la carrière, Leïla n'en oublie pas moins qu'au jour le jour il lui faut aussi jongler entre restriction budgétaire et réforme hospitalière. « Mais bon, dit-elle, dans l'adversité, il faut faire preuve de créativité en ne comptant que sur les moyens à disposition. Ce qui n'empêche pas d'avoir des revendications. » Après plus de deux ans d'exercice, Leïla se définit, avant tout, comme une infirmière cadre de santé. « Mon rôle, explique-t-elle, c'est de prendre soin du personnel qui va prendre soin des patients. »

Pour Gilbert Wentz, vice-président du Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), « passer par la case de faisant fonction permet à la personne d'évaluer ses aptitudes à animer une équipe. Une très bonne infirmière ne fait pas forcément un bon cadre. C'est également un temps qui permet de faire le deuil de son ancienne profession, un travail qui se poursuivra à l'IFCS . Toutefois nombre d'infirmières sont devenues d'excellentes cadres sans cette expérience. »

« Panier de crabes ».

Le vice-président rejoint aussi Leïla sur le temps nécessaire pour cerner son nouvel environnement socioculturel et institutionnel. Car, « si, globalement, le contenu des formations est identique d'un IFCS à l'autre, les univers dans lesquels vont travailler les jeunes cadres sont très différents d'un établissement ou d'un service à l'autre. Le cadre qui arrive dans une unité est une sorte de corps étranger, et tout le monde est un peu sur le qui-vive. S'il peut faire appel à ses compétences pour gommer les craintes, il doit aussi s'appuyer sur son feeling pour évaluer son nouvel espace professionnel avant de vouloir, si nécessaire, changer les choses. »

Fabrice n'a pas eu le loisir de jauger son nouvel univers. Lui qui rêvait d'encadrer un service de courts séjours, s'est retrouvé à la tête du pôle gériatrie et d'une maison de retraite. « C'était ça ou rien. Alors qu'avant mon départ pour l'IFCS, mon IG avait appuyé mon projet professionnel. Résultat : un effectif de 80 agents à encadrer et 110 lits à gérer. Sur le moment, ça a été une vraie déception », se souvient-il.

Rapidement, le jeune diplômé s'aperçoit que le cadre qu'il va remplacer est en conflit, tout aussi larvé que violent, avec le médecin chef du pôle. « Un vrai panier de crabes », se remémore-t-il. Dans ce contexte tendu, l'équipe est visiblement en souffrance. Pour couronner le tout, la directrice des soins se montre très vite acrimonieuse à son égard. Elle lui reproche de ne pas prendre parti dans ce conflit dans lequel elle est très engagée. « Je m'attendais à tout sauf à ça ! »

Bien décidé à ne pas se laisser embarquer dans cette histoire, Fabrice tente de se concentrer sur sa mission et de prendre ses marques. À son grand soulagement, la directrice des soins quitte l'établissement quelques mois plus tard. Ce départ opportun lui offre les coudées franches pour retisser du lien avec son chef de service et son équipe. « Finalement, en un an, j'ai beaucoup grandi ! déclare Fabrice. Aujourd'hui, j'analyse cette expérience de manière positive, et je trouve mon compte dans l'encadrement de ce service. Ce fut dur, mais je n'ai aucun regret. »

Terra incognita.

Consciente que la prise de poste de ses étudiants pouvait être une étape périlleuse, Christine Souris, forma- trice à l'IFCS Île-de-France, a eu l'idée, voici deux ans, de créer un dispositif de soutien fondé sur la pratique du coaching, afin d'accompagner les nouveaux diplômés durant les premiers mois de leur prise de fonction. « Les participants à ces séances sont motivés car ils se sentent désarmés, démunis et pleins d'appréhension lorsqu'ils prennent leur poste. Comme si les compétences et les savoirs acquis n'arrivaient pas à être transférés », observe la formatrice. Stress, changement de service, d'institution, d'expertise, de réseau social, difficultés relationnelles avec leur hiérarchie et leur équipe... la terra incognita que les jeunes cadres doivent aborder s'apparente parfois à un véritable Everest.

« Le travail de distanciation effectué lors des séances permet à la personne de mobiliser ses propres ressources pour élaborer une stratégie destinée à l'aider en situation de crise. Il n'y a pas de solution clé en main. Le groupe sert de support à l'analyse, puisque chacun peut trouver du cousinage avec le cas exposé par un collègue. Nous ne produisons pas de document, tout passe par la parole », explique Christine Souris. Aux dires des participants, le bénéfice de cet espace de parole est net.

Favoriser l'expression.

Écoute et dialogue, c'est cette approche qu'emploie également Yasmina, cadre d'un service de réanimation depuis juillet 2003. « D'une part, cette façon de fonctionner correspond à mes valeurs, et, d'autre part, il me semble que l'une des fonctions du cadre est de favoriser l'expression au sein de son équipe. Au quotidien, cela ne résout pas tous les problèmes, mais ceux qui émergent n'ont jamais remis en cause ma position. Et, lorsque je suis en difficulté, je n'hésite pas à faire appel à une personne ressource. Dans un service comme le nôtre, où la souffrance et la mort sont omniprésentes, l'échange est essentiel », estime-t-elle.

De son côté, Sophie, 29 ans, assure qu'elle ne veut pas faire de vieux os dans le service administratif qu'elle a rejoint en juin dernier, après avoir obtenu son diplôme. « C'est du transitoire, mais pour l'instant je n'ai pas le choix. Je ne sais pas à quel moment mon établissement a l'intention d'organiser le concours sur titre qui me permettrait d'accéder au grade et, de fait, à un vrai poste. C'est un chemin de croix incompréhensible puisque la direction sélectionne les IDE qui vont suivre la formation. Elle a donc déjà une idée assez précise de ce que nous sommes capables de faire ! », s'étonne-t-elle. En attendant, Sophie s'accommode tant bien que mal de son « statut » de faisant fonction, « tout en continuant à être payée comme une infirmière ». Au quotidien, sa tâche n'est pourtant pas simple. « Les relations sont tendues avec les autres unités, puisqu'en général, je ne leur annonce que de mauvaises nouvelles : non-remplacement d'un agent, réquisition d'une chambre, etc. »

Filière.

Ergothérapeute de formation, Catherine a elle aussi décroché son diplôme au printemps dernier. Comme Sophie, elle attend de passer un concours sur titre, mais ne se fait pas trop d'illusions. Selon elle, si des postes sont ouverts, ils vont prioritairement échoir aux diplômés de la filière soins. « Malgré la création, en 1995, d'un diplôme unique de cadre de santé, la notion de filière reste très marquée dans les esprits », déplore-t-elle. Après d'âpres négociations avec sa direction, Catherine a obtenu de ne pas retourner sur un poste d'ergothérapeute, mais si des missions d'encadrement lui ont été confiées, elle n'a pas d'équipe à gérer. Son souhait le plus cher est pourtant d'encadrer une unité de soins. « Je sais que si ce n'est pas dans cet établissement, ce sera ailleurs. Aujourd'hui, la pénurie joue en ma faveur. Mais j'aurais préféré que ce choix se fonde sur mes compétences, et pas parce que l'on manque de bras. »

«Globalement, je pense que les prises de poste sont plus facilitées aujourd'hui. Les institutions ont mis en place des protocoles d'accueil et d'intégration dans leurs unités. Un cadre qui arrive n'est plus "largué" dans un service », commente Gilles Wentz. Certes, mais des efforts restent à faire.

1- Soulignons que la jeune femme, comme la majorité des cadres que nous avons interrogés pour cette enquête, a souhaité témoigner sous couvert de l'anonymat. Les noms, comme ceux de leur établissement, ne sont donc pas cités et leurs prénoms ont été modifiés.

Agenda

En partenariat avec l'IFCS du CHU de Montpellier, le Cefiec organise les 9es Journées des cadres de santé. Elles se dérouleront les 20 et 21 janvier 2005 à Montpellier. L'un des objectifs de ce nouveau rendez-vous est « d'offrir aux professionnels une réflexion, un questionnement sur leur métier, l'organisation, l'environnement, leur pratique, à partir de regards pluriels et d'experts sur des sujets d'actualité et en lien avec l'exercice de leur fonction ».

Renseignements : Françoise Parron et Marie-Paule Valeix. Tél. : 04 67 33 88 70. Mél : cfph-ifcs-sec@chu-montpellier.fr.

TÉMOIGNAGE

« J'ai du mal à me situer... »

Faisant fonction de formateur à l'institut de formation des manipulateurs en électroradiologie médicale (IFMEM) de Corbeil, Catherine Dupré prépare son diplôme de cadre en alternance.

« Au départ, j'avoue que j'étais un peu réticente vis-à-vis de cette formule, imposée par mon établissement mais, à l'usage, elle s'avère intéressante. Elle me permet à moi aussi de répartir la charge de travail, relativement lourde, sur deux années et de mieux gérer le quotidien avec mes enfants. Professionnellement, cela me permet de confronter la théorie à la pratique lorsque je suis avec mes étudiants. Et si je rencontre un problème, je peux l'exposer lorsque nous faisons de l'analyse de pratiques à l'IFCS. Ensemble, nous tentons alors de trouver des solutions ou des outils adaptés à la situation. Le fait que nous ne soyons qu'une vingtaine d'étudiants facilite le dialogue et les échanges. En revanche, j'éprouve parfois des difficultés à me situer, car j'ai le sentiment d'être partout et nulle part à la fois. Globalement, durant les périodes de cours, je suis peu présente à l'institut, j'anime quelques séquences, mais j'interviens surtout sur des missions transversales ou en renfort. »

Vrai/Faux

-> Pour se présenter au concours d'entrée des instituts de formation des cadres de santé, il faut, au préalable, avoir occupé un poste de faisant fonction durant au moins douze mois.

FAUX. Aucun prérequis n'est exigé, sauf les quatre ans d'ancienneté professionnelle au jour de l'entrée à l'institut.

-> Obtenir son diplôme de cadre de santé ne signifie pas que votre établissement doive vous attribuer un poste correspondant à vos nouvelles qualifications.

VRAI. Rien ne l'y contraint. Certains établissements assortissent même la nomination d'un cadre à l'obtention d'un concours sur titre. Dans le secteur de la fonction publique territoriale, c'est même désormais un passage obligé pour accéder au grade.

-> Les « aspirants cadres » sont avertis de leur future affectation trois mois avant la fin de leur formation.

FAUX. Il n'est pas interdit de rêver ! Mais en réalité, rien n'est prévu en la matière. S'estiment heureux ceux qui sont informés quinze jours avant le jour « J ».