La douleur, ennemie NUMÉRO UN - L'Infirmière Magazine n° 198 du 01/10/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 198 du 01/10/2004

 

Dossier

- La douleur est aujourd'hui une préoccupation de santé publique et les progrès accomplis dans sa prise en charge sont indéniables - Cependant, la situation est encore hétérogène en France - Le combat des soignants continue...

La douleur est l'affaire de tous. D'après une enquête réalisée à l'échelle européenne sur la douleur chronique, 75 millions d'Européens sont concernés par les douleurs chroniques, et presque 50 millions indiquent que leur traitement n'est pas adapté à certains moments. Dans cette étude (financée par Mundipharma) portant sur 4 800 personnes de 18 ans et plus, dans 16 pays (Norvège, Pologne, Italie, Belgique, Autriche, Finlande, Suède, Hollande, Allemagne, Israël, Danemark, Suisse, France, Irlande, Grande-Bretagne, Espagne), 15 % des Français sont confrontés à des douleurs chroniques, contre 19 % en moyenne en Europe. Selon Eurostat, celles-ci coûtent à l'échelle européenne 34 milliards d'euros.

UNE SENSIBILISATION PERMANENTE

La douleur est un problème de santé publique en France, et le retard qu'elle accusait par rapport à ses voisins européens il y a encore quelques années a été comblé. Selon des experts, les plans ministériels de lutte contre la douleur ainsi que l'enseignement obligatoire de la prise en charge de la douleur dans les facultés de médecine ont commencé à faire évoluer les mentalités et les pratiques. Il reste pourtant beaucoup à faire. « Le paysage est encore très hétérogène en France. Il faut toujours être stimulant car la douleur n'est pas non plus une priorité dans les hôpitaux. Il existe une spirale négative consistant à nier la douleur et à ne pas poser les bonnes questions. La lutte contre la douleur passe par une sensibilisation permanente. C'est Sisyphe qui monte sa pierre », résume Daniel Annequin, anesthésiste et responsable de l'unité douleur de l'hôpital Trousseau (AP-HP).

Sensation subjective aux multiples visages, il n'y a pas une mais des douleurs. Le caractère pluridimensionnel et plurifactoriel rend sa prise en charge difficile pour les soignants. L'Association internationale de l'étude de la douleur (1979) la décrit comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en termes d'un tel dommage ». Comme le souligne Hélène Fernandez, cadre infirmier supérieur dans le département douleur et soins palliatifs du CHU de Nice(1), « si la douleur provient d'un message transmis par l'intermédiaire de fibres nerveuses jusqu'à la moelle épinière et au cerveau, des différences de perception existent déjà d'un sujet à l'autre, ce qui met en évidence la participation d'autres facteurs dans la perception du patient douloureux. » Les composantes psychiques et somatiques sont liées et interagissent entre elles. La douleur est une expérience psychologique qui s'articule autour de quatre composantes fondamentales : physique, affective-émotionnelle, cognitive et comportementale.

UN PHÉNOMÈNE CULTUREL

Douleur aiguë symptomatique, ou douleur chronique syntagmatique, différents facteurs doivent être considérés lors de l'examen d'un patient douloureux. Le facteur temps, les facteurs psychologiques et comportementaux, les antécédents personnels et familiaux, les facteurs de stress prédisposant à certaines douleurs, les facteurs de personnalité (certains troubles de la personnalité sont aussi des symptômes de douleurs chroniques) ainsi que les facteurs cognitifs. Daniel Annequin, pionnier de la prise en charge de la douleur de l'enfant en France, établit une corrélation entre le niveau de peur et le seuil de perception de la douleur : « Plus on a peur, plus on a mal. » Corinne Archambeaud, infirmière coordinatrice du réseau de soins palliatifs Ensemble (XIIIe arrondissement de Paris), explique que chaque patient est un cas particulier. Sa douleur sera fonction de son âge et de sa culture.

Comme le précise le Dr Alain Serrié, président du Clud (Centre de lutte contre la douleur) de l'hôpital Lariboisière et président de DSF (Douleurs sans frontières), l'évaluation de la douleur ne peut se concevoir sans le paramètre culturel. Les seuils de sensation (intensité minimale d'un stimulus pour sentir une sensation) et de perception (un certain degré atteint par la sensation qui devient alors douleur) varient selon les cultures. Plusieurs études ont pu montrer que certains peuples sont plus sensibles que d'autres à la douleur.

CROIRE LE PATIENT

Une bonne stratégie de prise en charge de la douleur commence par l'écoute, observe le Dr Alain Serrié. « Sans tomber dans l'empathie, la grande règle est de croire le patient. C'est l'écoute du patient et l'examen clinique qui permettent de faire une différence entre douleur neuropathique et douleur par excès de stimulation. » Il faut que le soignant accepte la part de subjectivité du patient, résume Pascale Thibault, cadre supérieur infirmier membre du CNRD (Centre national de ressources de lutte contre la douleur). Le Pr Patrice Queneau, coordinateur régional des états généraux de la douleur en région Rhône-Alpes (CHU Bellevue, Saint-Étienne), démontre l'importance du discours du patient douloureux, riche en informations pour diagnostiquer la douleur. Il donne en outre une représentation symbolique de sa douleur, enrichie de sa dimension psychosociologique et culturelle.

Ce langage ne s'exprime pas seulement par des mots mais aussi par un métalangage (mimique, attitude, gestuelle, toucher), voire par des silences lorsque la douleur insupportable rend le patient « mutique », emmuré dans sa douleur. Chez l'enfant par exemple, une attitude figée exprime souvent une douleur que l'enfant veut cacher. L'attitude corporelle fait ainsi partie des éléments déterminants du diagnostic. Inséparable de l'écoute est le paramètre du temps de parole attribué au patient douloureux. Bertrand Billemont, interne en médecine en stage dans le réseau Ensemble, explique qu'on laisse environ 30 à 40 secondes au patient avant de lui couper la parole. Or, il est démontré qu'un patient cancéreux a besoin de trois minutes pour verbaliser sa plainte. Écoute, temps de parole et capacité à mobiliser ses sens au service de la douleur du patient, voilà les paramètres incontournables aux yeux de Marie-Fleur Bernard, infirmière spécialiste clinique à l'hôpital Émile-Roux (Limeil-Brevannes, 94) « L'important est de savoir évaluer la douleur, donc de savoir mobiliser tous ses sens. Or, savoir utiliser l'écoute, la vue, l'ouïe et le kinesthésique demande une grande compétence. »

ÉVALUER LA DOULEUR

L'évaluation de la douleur est par définition subjective. Cependant, « évaluer avec une échelle, c'est objectiver une sensation », affirme Patricia Cimerman, infirmière de recherche clinique au CNRD. Il existe différentes réglettes correspondant à des échelles d'évaluation spécifiques. Les échelles dites d'auto-évaluation s'adressent aux enfants de plus de cinq ans et aux adultes ayant leurs capacités mentales (EVS : échelle verbale simple ; EVA : échelle visuelle analogique, échelle numérique, échelle QDSA Saint-Antoine pour l'enfant).

« Si une généralisation des réglettes est souhaitable, il faut savoir s'en servir et bien s'en servir », commente le Pr Queneau. Il poursuit : « La condition sine qua non pour être efficace, c'est de ne pas passer à côté d'une douleur. Or, les résultats d'une enquête faite dans le cadre des états généraux de la douleur en région Rhône-Alpes montrent une grande hétérogénéité entre les établissements, ce qui explique que 31 % des patients douloureux étaient encore diagnostiqués non douloureux en autoévaluation. Ce pourcentage monte à 42 % en ce qui concerne les hétéro-évaluations. Il faut encore faire des efforts. » La réglette est selon lui un objet transactionnel donnant de l'importance à ce que le patient dit. Elle est aussi opérateur-dépendant (médecin-dépendant ou infirmière-dépendant), à savoir qu'elle dépend entièrement de l'usage qu'en fait le soignant.

D'après cette enquête, 76 % des infirmières possèdent un outil d'évaluation, contre 56 % des médecins. À terme, il faudrait que la prise en charge de la douleur soit systématisée sur un document de suivi propre, au même titre que la prise en charge et le suivi du pouls ou de la température. En quelques années, ces instruments d'évaluation sont entrés dans des habitudes de soin. Évelyne Malaquin-Pavan, infirmière spécialiste clinique et présidente du Clud de l'hôpital Corentin-Celton (Issy-les-Moulineaux, Hauts-de-Seine), note que les patients commencent à être habitués à l'évaluation de la douleur, l'effort des soignants devant se faire dans l'utilisation consensuelle des outils. Dans le secteur libéral, les échelles sont encore peu utilisées, estime Marie-Claude Daydé, infirmière libérale et membre du réseau de prise en charge de la douleur et des soins palliatifs Relience.

SAVOIR DIRE LA DOULEUR

Les échelles d'hétéro-évaluation s'adressent plus spécifiquement aux enfants de moins de cinq ans (échelle DEGR, échelle Edin) et aux personnes âgées n'ayant plus toutes leurs capacités cognitives (ECSA : échelle comportementale pour personnes âgées, échelle Doloplus). L'évaluation de la douleur de l'enfant, dès qu'il accède au langage, dépend de sa capacité à dire, à raconter sa douleur, explique le Dr Didier Cohen-Salmon, président de l'association Sparadrap. « Il faut apprendre aux gens à dire, à décrire leur douleur. La douleur doit se dire puisqu'on ne peut la doser dans le sang. »

En gériatrie, il faut aller rechercher la douleur car les personnes âgées ne vont pas forcément se plaindre. L'évaluation prend plus de temps parce qu'il faut s'adapter à leur rythme tout en leur réexpliquant le fonctionnement à chaque évaluation, car ils n'ont plus toutes leurs facultés cognitives. Une grande rigueur est la clef d'une évaluation de qualité : connaissance précise des différents types de douleurs et des signes qui leur sont associés, rigueur dans la transmission des informations, et rigueur du suivi régulier de l'évaluation. « Il faut aller au-devant de la douleur. Il faut l'évaluer, la traiter, la réévaluer pour voir si le traitement a été efficace et informer le patient à chaque étape » conclut le Dr Laurence Alcover, présidente du Clud de l'hôpital Émile-Roux.

TOUS IMPORTANTS !

Après l'écoute et l'évaluation vient le traitement de la douleur. Celui-ci ne se résume pas seulement à un traitement médicamenteux. Pour Évelyne Malaquin-Pavan, « il faut faire autant confiance à la molécule qu'aux gestes, à l'organisation des soins et à l'éducation. Le soulagement médicamenteux ne devrait pas être séparé de l'attention relationnelle et de la recherche optimale de confort ; c'est cette synergie qui est bénéfique au patient douloureux. »

La prise en charge doit être globale et multidisciplinaire. À l'hôpital Émile-Roux, le travail accompli par le médecin responsable de la consultation douleur, Mme Nguyen, qui fait de la stimulation transcutanée et de l'acupuncture, est unanimement salué. L'ergothérapeute, le psychologue et/ou le psychiatre, l'art-thérapeute, le kinésithérapeute, la bibliothécaire, les bénévoles formés aux soins palliatifs et l'aumônier sont tous acteurs de la prise en charge de la douleur. « Un seul maillon défaillant dans cette chaîne peut avoir des répercussions considérables sur un patient douloureux. Ainsi, les aides-soignants et les agents hospitaliers ont un rôle essentiel car ils passent beaucoup de temps avec les malades. Or, c'est pendant ce temps alloué aux soins que le soignant se rend compte si le patient a mal », remarque Marie-Fleur Bernard. Outre cette pluridisciplinarité, chacun doit aller plus loin dans sa manière de faire le soin et dans sa capacité de s'autocritiquer, estime Évelyne Malaquin-Pavan.

À domicile, Marie-Claude Daydé regrette que cette dynamique de travail d'équipe existe peu. « On parle de prise en charge globale de la douleur, mais si chaque intervenant agit individuellement, ce n'est plus une approche globale. En milieu rural, les équipes se connaissent bien de manière générale. Cependant en ville, les équipes qui interviennent auprès d'un patient se renouvellent, ce qui rend le travail plus difficile. » L'infirmière n'est pas tout le temps présente : cela implique une participation des familles.

APPROCHE NON MÉDICAMENTEUSE

L'approche non médicamenteuse dans la prise en charge de la douleur est encore trop souvent sous-utilisée. Les « petits moyens », c'est à dire non pharmacologiques, ne sont pas mis en oeuvre aussi souvent qu'il est possible de le faire. « Les infirmières n'utilisent pas toujours tous les moyens qui sont à leur disposition, affirme Pascale Thibault. Le problème, c'est qu'elles jugent souvent ces moyens (relaxation, massage, etc.) secondaires alors qu'ils sont également efficaces. » En ce qui concerne les enfants, on a beaucoup travaillé sur les médicaments de la douleur et leur bon usage, poursuit Didier Cohen-Salmon. « Cependant, le volet non pharmacologique n'est pas assez exploité : le jeu, la distraction, l'imagerie mentale, l'hypnose, sont des moyens complémentaires de soulagement de la douleur de l'enfant. La parole et la présence des parents lors des soins peuvent être un véritable soulagement, une réassurance. »

Le « prendre soin » du malade fait partie intégrante de la prise en charge de la douleur. Il n'y a pas que le savoir-faire, il y a aussi le savoir être, remarque Marie-Fleur Bernard. « Respecter le rythme du malade, le toucher-massage, la physiothérapie, les activités comme la poterie, le dessin sont autant de moyens permettant de soulager. » Certains types de douleurs comme les douleurs aiguës iatrogènes représentent de 20 à 30 % des douleurs vécues par les patients, en particulier dans les affectations de longue durée. Or, ces douleurs peuvent être diminuées, d'après Pascale Thibault. « Cela éviterait des phobies des soins. Dans ce domaine, nous en sommes encore aux balbutiements ».

PROTOCOLES RÉDUCTEURS

Le rôle infirmier dans la prise en charge de la douleur a été renforcé par l'article 2 du décret du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession infirmière. Ce décret intègre la prévention, l'évaluation et le soulagement de la douleur dans les soins infirmiers. De plus, il indique que l'évaluation de la douleur constitue désormais un acte de soin relevant de l'initiative et des compétences de l'infirmière (art. 5). Enfin, ce décret précise que l'infirmière est habilitée à mettre en oeuvre un traitement antalgique dans des conditions définies par les protocoles de l'établissement (art. 8). Évelyne Malaquin-Pavan constate que « si on applique les textes tels qu'ils sont, on a tout ce qu'il faut pour soulager la douleur des patients : en tant que présidente du Clud, je m'en sers beaucoup. Notre profession ne sait pas assez s'appuyer sur ses textes professionnels. Attention néanmoins au piège des protocoles trop réducteurs : ce qu'il faut, ce sont des guides de bonnes pratiques aidant à encadrer nos soins. »

Il faut cependant veiller à éviter de vouloir à tout prix plaquer des protocoles sur un patient après l'avoir fait rentrer dans une case, note Corinne Archambeaud. Marie-Claude Daydé s'arrête sur la nomenclature de la profession libérale, inadaptée à la prise en charge de la douleur. « Il n'existe pas de cotation spécifique "prise en charge de la douleur", ce qui signifie que nous ne sommes jamais en première ligne pour un patient douloureux. Pourtant, les infirmières ont une bonne approche de cette prise en charge, mais il faut qu'il y ait un autre soin pour justifier une prise en charge de la douleur. »

UNE FORMATION LACUNAIRE

La France a réussi à combler le retard qu'elle avait accumulé. Les enseignements sur la douleur et les soins palliatifs sont obligatoires dans les Ifsi depuis 1992. Cependant, au niveau des enseignements infirmiers et médicaux, la qualité et la durée des formations sont encore variables, remarque le Dr Daniel Annequin. La conjonction de volonté politique, d'acteurs locaux et de militants, est nécessaire à toute action. Pascale Thibault mentionne l'existence d'un clivage important entre ce que l'on enseigne et ce qu'il faut avoir assimilé pour assurer des soins. « Il serait bon de réfléchir à des projets transversaux sur la prise en charge de la douleur. Cet enseignement est à intégrer dès le début de la formation initiale. Celui-ci est encore dissocié du soin. On parle de la douleur d'un côté et du soin de l'autre, alors qu'il est nécessaire d'intégrer la prise en charge de la douleur dans le soin au quotidien. » Patricia Cimerman suggère un travail de sensibilisation au niveau des Ifsi ainsi qu'une information des formateurs sur le domaine de la douleur.

FRUSTRATION

« Tant que certaines douleurs seront considérées comme banales, cela témoignera des insuffisances de la formation. Tant qu'il y aura du déni, il y aura sous-évaluation de la douleur », lance le Pr Queneau. Des piqûres de rappel de la formation initiale seraient utiles avec, notamment, l'enseignement de l'utilisation des échelles comportementales. Le Dr Laurence Alcover estime que les médecins ne sont pas assez formés à la prise en charge de la douleur. « Nous avons l'impression de déjà savoir comment traiter la douleur, or c'est faux. Traiter la douleur, ça s'apprend. On a certes beaucoup progressé. Il y a encore dix ans, les infirmières omettaient de la signaler, aujourd'hui ce n'est plus le cas. Des efforts restent à faire concernant l'information aux familles sur la prise en charge de la douleur et ses traitements. La frilosité par rapport aux explications données ne rassure pas les familles. »

Marie-Claude Daydé juge la formation douleur indispensable à l'exercice de l'infirmière libérale. « Avant de faire la formation, il m'était parfois difficile de transmettre l'évaluation au médecin. Les formations permettent de développer la clinique de l'évaluation et l'identification du type de douleur et donc un traitement adapté. Nombreuses sont les infirmières formées à la double thématique douleur et soins palliatifs, mais beaucoup d'entre elles sont frustrées car elles se heurtent à la résistance du médecin. Il semblerait logique que tout le monde soit formé en même temps. Cela permettrait une cohésion dans la prise en charge. »

INTÉGRÉE AU PROJET DE SERVICE ?

La douleur fait-elle partie du projet de service dans lequel le projet de soins infirmiers est intégré ? Pascale Thibault rappelle à ce propos que chaque établissement doit avoir un projet d'établissement en lien avec l'accréditation. Ce projet d'établissement est constitué d'un projet médical et d'un projet de soins infirmiers. Il est intéressant d'identifier la place consacrée à la prise en charge de la douleur dans ces projets. « L'impulsion doit être donnée par le chef de service et par le cadre de l'équipe soignante afin que cette démarche s'inscrive réellement au niveau du projet de service. Le CNRD pourra diffuser en ligne les projets des Clud qui le souhaitent. »

Comme le décrit Évelyne Malaquin-Pavan, dans la revue Parlementaire datée de mars 2004 et consacrée intégralement à la douleur (« La douleur, un mal français »), il existe deux catégories de formation post-diplôme : la première englobe les formations continues diplômantes ou certifiantes sur une ou deux années universitaires en discontinu, couplant apprentissage théorique, stage et soutenance d'un mémoire. La deuxième comprend des cycles de formation, se décomposant en cycle de sensibilisation ou d'approfondissement et la formation-action courte. Si des progrès ont été faits, l'obtention des financements de ces formations reste aléatoire et les professionnels de santé rencontrent de grandes difficultés à suivre des formations en temps de pénurie et de course contre la montre.

INÉGALITÉS

Pour Marie-Fleur Bernard, « nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour soulager la douleur, mais il serait utopique de penser que l'on peut tout contrôler, tout maîtriser. La plainte douloureuse est aussi une façon d'exister. Ce combat contre la douleur ne pourra être gagné que par l'ensemble des soignants et non par quelques-uns. C'est en unissant nos compétences propres et en puisant dans notre savoir être que nous pourrons soulager le malade. »

Si les progrès sont indéniables, les inégalités persistent encore d'un établissement à un autre. « La question d'une qualité suffisante de la prise en charge de la douleur quel que soit l'endroit où vous serez soignés et quel que soit l'âge est un objectif à atteindre dans les prochaines années », ajoute le Dr Didier Cohen-Salmon. Tandis que la prise en charge de l'enfant retient l'attention et mobilise les affects, il semble que les personnes âgées soient moins chanceuses. La gériatrie est une fois encore le secteur de la santé le plus mal loti: moins de moyens humains et financiers, moins de spécialistes de la douleur, moins de formation, pour une population souffrant souvent de polypathologies et en proie à de grandes souffrances morales et physiques. Cela doit-il être interprété comme un choix de société ? Pourtant, il ne faut pas forcément de grands moyens pour faire avancer les choses. Le problème est peut-être humain avant d'être financier.

« Des choses très simples peuvent être faites, observe Évelyne Malaquin-Pavan, telle une mobilisation passive en binôme avec un kinésithérapeute avant une toilette. Le patient sera toujours malade, mais il aura moins mal. C'est cet idéal de soins d'aide, consistant à vivre le moins mal possible avec la maladie, auquel nous devrions aspirer. Encore trop souvent, la technicité spectaculaire est plébiscitée au détriment du reste. » Marie-Claude Daydé note déjà une modification des pratiques des professionnels à domicile ces dernières années. « C'est un travail de longue haleine. Grâce au développement des réseaux, une autre culture se développe, qui permet de décloisonner la ville et l'hôpital. Ces changements culturels ne se font pas en un jour. On avance à petits pas mais sûrement ! »

1- L'Infirmière et la douleur, La lettre n° 1 publiée par l'Institut Upsa de la douleur.

DSF

Seule ONG à s'occuper exclusivement de la douleur, DSF a deux grandes missions : soulager la douleur et former le personnel médical local à prendre en charge de manière autonome le traitement de la douleur. Présente en Angola, au Mozambique, au Sénégal, au Cambodge, en Arménie, au Maroc et en Tunisie, elle a pris en charge 25 000 patients et dispensé environ 1 000 heures de formation.

Site Internet : douleurs-sans-frontieres. org. Dons à adresser à : BP4, 75462 Paris cedex 10

CNRD

Patricia Cimerman rappelle que les missions du CNRD sont d'apporter une aide logistique aux professionnels de santé, de recueillir et diffuser l'information auprès de ces professionnels par la création d'une médiathèque et d'un site Internet dédiés spécifiquement à la prise en charge de la douleur, mais aussi de développer la recherche clinique sur la douleur au quotidien.

En 2003, le CNRD a soutenu onze projets en leur apportant une aide méthodologique en termes de rédaction, de structuration, d'analyse des résultats et en aidant à trouver des financements pour certains d'entre eux. Un guide méthodologique est en cours de rédaction. Il devrait être disponible dans un futur immédiat.

POLITIQUE

La douleur, une priorité ministérielle

> Le 22 septembre 1998, le premier plan de lutte contre la douleur est lancé par Bernard Kouchner, ministre de la Santé. Il consiste en un plan d'action triennal (1998-2000) et s'articule autour de quatre axes : répondre à la demande du patient, le développement de la lutte contre la douleur dans les structures de santé et les réseaux de soin, la formation et l'information des professionnels de santé sur l'évaluation et le traitement de la douleur et enfin, l'information au public.

> En juin 1998, des comités de lutte contre la douleur (Clud) sont instaurés dans les établissements de santé.

> Le deuxième plan (2002-2005) donne la priorité au traitement de la douleur provoquée par les soins, à la douleur de l'enfant et à la migraine. La loi du 4 mars 2002 reprend aussi le thème de la douleur : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée [...] ».

> En 2003, les états généraux de la douleur sont créés en Aquitaine, Basse-Normandie, Picardie et Rhône Alpes.

> En novembre 2003, création du Centre national de ressources de lutte contre la douleur (CNRD).

TRAITEMENT

Quels freins ?

> La douleur est un sujet encore tabou. L'empreinte qu'a laissé notre société judéo-chrétienne sur la conception de la « douleur rédemptrice » est toujours présente dans les mentalités. « Avant, c'était logique de souffrir. Demander un accouchement sans douleur remettait en cause le fait d'être une bonne mère », rappelle Évelyne Malaquin-Pavan.

> L'un des écueils à éviter est la recherche d'un diagnostic organique à tout prix. Le Pr Queneau dénonce cet « organicisme » absolu entravant la perception de la plainte et de l'émotion douloureuse.

> Pascale Thibault considère le problème de la traçabilité de la douleur dans les dossiers de soins comme un frein important. « Il n'y a pas d'emplacement réservé à l'évolution du suivi de la douleur dans le dossier de soin. Or la trace écrite est fondamentale. »

> Patricia Cimerman souligne un manque d'écrits infirmiers. « Les infirmières ont beaucoup d'idées sur la prise en charge de la douleur provoquée par les soins mais écrivent très rarement. De ce fait, elles ne mettent pas en valeur leur travail par des publications. »

> D'autres préjugés liés aux traitements sont à combattre absolument chez les soignants comme chez les patients. Ainsi, le discours diabolisant la morphine est nuisible car il écarte l'un des traitements efficaces pour certains types de douleurs aiguës. Bertrand Billemont cite aussi un blocage concernant la délivrance de morphine en pharmacie.

Sparadrap

L'association Sparadrap est engagée dans la prise en charge de la douleur de l'enfant, avec notamment le film Pour en savoir plus sur la douleur de l'enfant. Celui-ci rend compte de la complexité de cette prise en charge et donne un regard global sur les besoins de l'enfant douloureux. Des petits livrets s'adressant aux enfants ont aussi été réalisés sur différentes thématiques liées à l'hôpital.

ORGANISATION

Les 35 heures dans la douleur

Les 35 heures sont unanimement pointées du doigt. La moindre disponibilité du personnel soignant se traduit - entre autres - par une moins bonne prise en charge de la douleur. « C'est une hérésie de penser que l'on peut avoir la même qualité de prise en charge de la douleur avec la politique des 35 heures, car elle a aussi touché les mentalités des soignants », affirme le Pr Queneau. Les infirmières ont un nombre d'actes techniques de plus en plus élevé à réaliser, et cela en moins de temps. Elles sont donc logiquement moins disponibles pour le travail relationnel.

« Il n'y a pas de petits soins, ajoute le Pr Queneau. Appliquer le patch ou la crème Emla avant une ponction lombaire ou avant une perfusion, c'est un grand soin et ça prend forcément un peu plus de temps. La douleur ne peut être bien pensée sans le temps nécessaire à sa prise en charge. Il faut du temps pour les soignants et du temps pour les patients. Un patient ne va pas vous dire ce qu'il ressent vraiment s'il se sent minuté. »

La mise en place des 35 heures a été néfaste à la réflexion de fond sur le prendre soin, ajoute Pascale Thibault. « Les temps de chevauchement, le temps dédié à l'analyse et à la réflexion se sont réduits comme peau de chagrin, or ces plages améliorent la prise en charge du patient. » C'est la répartition du temps de travail qui a été bouleversée par les 35 heures : les plages dédiées aux formations en ont pâti, les groupes de réflexion sur la douleur se sont décomposés. Bref, les 35 heures ont eu un effet néfaste sur l'organisation du travail et sur les mentalités. « La douleur ne demande pas de machines compliquées. Elle demande du temps et du personnel formé », conclut le Dr Didier Cohen-Salmon.

Références

> Traitement de la douleur. Louis Brasseur. Éditions Doin, collection « Conduites ».

> Soulager la Douleur. Patrick Queneau. Odile Jacob. 1998.

> La Douleur à bras-le-corps. Patrice Queneau. Med-Line Éditions. 2001.

> La Douleur. Marguerite Duras. POL. 1985.

> « T'as pas de raison d'avoir mal ! » Daniel Annequin. La Martinière. 2002.

> La douleur chez l'enfant. Daniel Annequin. Éditions Masson. 2002.

> Apprivoiser la douleur. Sous la direction de Bernard Calvino. Éditions le Pommier/Cité des sciences de l'industrie.

> « Aïe ! J'ai mal... ». Association Sparadrap.

> « Je vais me faire opérer » « Alors on va t'endormir ». Association Sparadrap.

> Les fiches Sparadrap : « Le MEOPA pour avoir moins mal » ; «Une pompe pour avoir moins mal»; «La morphine, un médicament pour avoir moins mal».

> « La douleur de l'enfant ». Cassette vidéo.

> Les petits guides Sparadrap : « Soins douloureux en pédiatrie : avec ou sans les parents » et « Pour en savoir plus sur la douleur de l'enfant ».

> Aspects psychologiques de la douleur chronique. Institut Upsa de la douleur.

> L'Infirmière et la douleur (nouvelle édition). Institut Upsa de la douleur.

> Les Lettres, Institut Upsa de la douleur.

Six lettres ont été publiées sur des thèmes différents concernant la prise en charge de la douleur par l'infirmière (ex. : la douleur provoquée par les soins ).

PROPOSITIONS

Contre la douleur

> Le Pr Queneau propose l'instauration de consultations spécialement prolongées et cotées spécifiquement afin que les soignants puissent prendre en charge certaines douleurs rebelles de manière satisfaisante, avec obligation de justification pour éviter les abus.

> Ce problème de la comptabilisation du temps passé à faire une évaluation est aussi relevé par Évelyne Malaquin-Pavan, qui dénonce la non-reconnaissance du temps de recueil clinique d'évaluation. « Une consultation peut me prendre 1 h 30, notamment pour le douloureux chronique. En quelques minutes, on ne peut pas tout analyser ou mettre en lien correctement ce qui est raconté et observé, ce qui est susceptible de provoquer certaines douleurs. Se priver de ce temps diminue d'autant la chance de réponse adaptée. »

> Patricia Cimerman propose la généralisation des unités douleur et la création de postes d'infirmières référentes douleur dans chaque établissement.

> Pascale Thibault suggère la prise en compte de la douleur dans les fiches de soins au même titre que les infections nosocomiales.

> Pour le Dr Didier Cohen-Salmon, les plans douleurs ne sont qu'un début. Il faudrait que les critères de la prise en charge de la douleur fassent partie des critères d'accréditation des établissements de santé. Et il faut que les professionnels de santé suivent des formations. « Avoir des stocks de pompes PCA dans les services, c'est bien, mais il faut que les professionnels sachent les utiliser. »