Dossier
- Vue sous l'angle sociosanitaire, la situation carcérale française reste préoccupante - De nombreuses initiatives tendent toutefois à améliorer la prise en charge des détenus - Les soignants y contribuent grâce à une plus grande autonomie face à l'institution carcérale.
Janvier 2000, le livre de Véronique Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, vient de paraître. Et fera beaucoup de bruit... À la suite de sa publication, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer les conditions de détention dans les prisons françaises. Peu de temps après, l'Assemblée nationale demande qu'une commission d'enquête soit constituée sur le sujet, puis c'est au tour des avocats, et d'autres encore. Un projet de loi pénitentiaire est élaboré, qui ne sera pas finalisé. Pourtant, les deux rapports établis l'un par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation des prisons françaises, l'autre par la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, publié en juin 2000 et intitulé « Prisons : une humiliation pour la République », dressent un constat alarmant.
Et depuis, que s'est-il passé ? « Pas grand-chose », répond l'Observatoire international des prisons (OIP), qui dénonçait dans son rapport annuel 2003 sur les conditions de détention en France une véritable « descente aux enfers ». Parce que ces dernières années ont vu s'aggraver la suroccupation des établissements pénitentiaires, même si les chiffres les plus récents sont en baisse (cf. encadré p. 42). Au 1er juin 2003, le cap historique des 60 000 détenus - 38 072 condamnés et 22 441 prévenus - était dépassé, pour une capacité totale de 48 603 places. Un seuil de nouveau franchi en février 2004, pour atteindre le chiffre de 63 448 personnes incarcérées au 1er juin 2004.
Dans un certain nombre d'établissements, déplore l'OIP au chapitre « Santé » de son rapport, règnent la promiscuité, le manque d'hygiène. Il pointe par exemple un allongement des délais de consultation médicale ou l'augmentation du nombre de suicides. En 2002 en effet, 122 personnes se sont donné la mort en prison, soit sept fois plus, proportionnellement, que dans l'ensemble de la population. Avec des facteurs de risques divers : isolement, séparation d'avec l'entourage familial, rupture avec le statut antérieur ou incarcération elle-même, comme l'indiquait le psychiatre Jean-Louis Terra dans un rapport sur la prévention du suicide en prison. En effet, 9 % des suicides ont lieu au cours de la première semaine, 17 % pendant le premier mois, et 34 % pendant les trois premiers mois de détention. Parmi ces mêmes facteurs de risque, d'autres évoquent encore la surpopulation ou la violence entre détenus.
« Le plus grand nombre de morts en prison sont le fait de suicides », rappelait également récemment l'Académie de médecine, adoptant en décembre 2003 un bref texte rédigé à l'attention du garde des Sceaux, Dominique Perben. Elle y soulignait « les grandes insuffisances de prise en charge sanitaire des détenus qui persistent dans un grand nombre d'établissements pénitentiaires, du fait de structures architecturales souvent anciennes et inadaptées et de l'insuffisance de moyens matériels et humains ». Ces remarques suivaient de peu celles du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) qui, après sa visite de juin 2003 dans trois établissements français, concluait à des conditions d'hygiène « créant un risque sanitaire indéniable ». Parmi les points noirs, l'Académie citait notamment le défaut de permanence des soins : « Comme son nom l'indique, la liaison entre l'établissement pénitentiaire et l'hôpital par le moyen des Ucsa (Unités de consultations et de soins ambulatoires) est limitée dans le temps. Dans la plupart des établissements, les cellules sont fermées à 17 heures. Très rares sont les établissements où est assurée une présence médicale permanente. Le suivi d'un traitement prescrit pour être réparti sur les 24 heures a les plus grandes chances d'être interrompu. La spécificité d'une surveillance continue telle que celle d'un diabète de type I ne peut être assurée. La survenue d'un événement médical aigu nocturne relève du dispositif civil de type SOS médecins, pour autant qu'ait été identifié (par qui ? le codétenu ?) et signalé l'état anormal du détenu. »
S'il existe des permanences de médecins dans les établissements importants, les prisons petites ou moyennes n'en disposent pas, ajoute François Bès, de l'OIP : « Les surveillants contactent en cas de nécessité le médecin régulateur du Centre 15, qui fait venir un médecin sur place, ou un véhicule d'urgence. Or, le surveillant reste l'intermédiaire entre le malade et le médecin régulateur, et l'on voit régulièrement des problèmes, du fait des difficultés d'accès au surveillant : il faut que celui-ci l'entende, qu'il évalue la gravité de la situation, puis appelle un supérieur, tout ceci rallonge considérablement les délais d'interventions, et peut entraîner des accidents. » Enfin, regrettait pour sa part l'Académie, on ne dispose « d'aucune statistique sur les pathologies observées en milieu pénitentiaire ». Certains professionnels de santé s'inquiètent cependant de la prévalence de l'hépatite C dans le monde carcéral, où le taux moyen serait sept fois supérieur à celui de la population générale. Sans compter un risque de transmission important du fait de l'échange de matériel non stérile.
Si, aujourd'hui, sa prévention et son traitement en milieu carcéral apparaissent satisfaisants, l'infection par le virus du sida a sans doute servi, comme dans d'autres secteurs, de prise de conscience. Toujours est-il que l'année 1994 fait date dans l'histoire des conditions sanitaires en détention. Devant le caractère préoccupant de la situation de la population carcérale, la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la production sociale vient en effet rénover le dispositif de soins. C'est un incontestable progrès en matière de qualité des soins.
Les médecins deviennent totalement indépendants de l'administration pénitentiaire, puisqu'ils passent sous la tutelle du ministère de la Santé. Auparavant, c'est à la « médecine pénitentiaire » qu'incombaient les soins aux détenus. La prise en charge de ces soins relevait donc exclusivement de l'administration pénitentiaire.
Chaque prison disposait donc d'une « infirmerie », avec un ou plusieurs médecins vacataires et une infirmière, intervenant dans des conditions matérielles peu satisfaisantes. La disparition de cette médecine pénitentiaire, la création d'une structure comme l'Établissement public de santé national de Fresnes (121 lits de médecine, chirurgie, moyen séjour, rééducation fonctionnelle, bloc opératoire, consultations...), sont vécues comme des changements majeurs.
Principales nouveautés de ce texte qui vise à intégrer le détenu dans le système de santé : celui-ci se voit accorder une couverture sociale - l'affiliation à l'assurance maladie et maternité est obligatoire, l'État finançant les cotisations - et peut en principe accéder à des soins comparables à ceux dispensés à l'extérieur. Car chaque établissement comporte à présent une Unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa), qui sont autant d'unités d'établissements hospitaliers. L'hôpital de proximité signe en effet avec la direction de l'établissement un protocole qui définit le fonctionnement de l'unité, et reçoit les patients détenus dont l'état de santé nécessite une hospitalisation.
La compétence des Ucsa - installées dans des locaux souvent exigus, en mal de rénovation, relevait en 2000 le rapport du Sénat, et souvent inadaptés - est limitée aux soins ambulatoires. Pour ce qui est des consultations de spécialistes, les grands établissements pénitentiaires en disposent dans leurs murs, ce qui permet de limiter les transferts.
Mais les spécialistes ne se bousculent pas pour aller travailler en prison. Lorsque la spécialité n'existe pas sur place, ou pour un examen nécessitant un important plateau technique ou une intervention chirurgicale, le détenu doit se rendre au centre hospitalier dont relève l'établissement, sous escorte et sous surveillance. Et c'est là que le bât blesse. Parce que ces transferts, complexes à organiser, sont aussi gourmands en personnels de police ou pénitentiaires. C'est ainsi que, faute d'effectifs disponibles, « il est fréquent de voir des extractions médicales annulées, déplore François Bès, permanent à l'OIP. Les rendez-vous pris à l'hôpital sont alors annulés au dernier moment et, pour certaines spécialités très demandées, il faut attendre six semaines pour obtenir un nouveau rendez-vous, qu'il s'agisse d'une consultation ou d'une intervention. Avec des conséquences qui peuvent être sérieuses lorsqu'il s'agit d'une pathologie grave. Et au bout du compte, le détenu passe pour quelqu'un de pénible à soigner, qui va souvent poser des problèmes, parce que le service a bloqué du temps, du matériel, un plateau technique pour lui et qu'il ne vient pas. » Du reste, les hôpitaux n'accueillent pas toujours à bras ouverts ces patients très particuliers. La présence d'un ou deux policiers à la porte de la chambre 24 h sur 24, voire l'occupation d'une chambre seule par un détenu quand celles-ci sont denrées rares, ne va pas sans créer des tensions.
C'est pour pallier ces difficultés qu'a été élaboré un schéma national d'hospitalisation des détenus, faisant suite à une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ). Ce plan prévoyait la création de sept unités d'hospitalisation sécurisée interrégionales (UHSI), implantées dans des CHU, ces structures ayant pour vocation de concentrer l'ensemble des hospitalisations de détenus - excepté les situations d'urgence. Dans ce cadre, l'Établissement public de santé national de Fresnes, qui jusqu'alors recevait des détenus venus de toute la France, est appelé à accueillir, en lien avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), des patients issus des régions pénitentiaires de Paris, de Haute-Normandie et de Bourgogne. D'autres unités de ce type doivent être créées d'ici à 2007, à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Rennes et Toulouse, pour des prises en charge de plus de 48 heures et une capacité totale de 303 lits d'hospitalisation. Mais la mise en place de ces UHSI n'a cessé de prendre du retard et, pour l'heure, seule l'une d'elles a ouvert ses portes, au CHU de Nancy (cf. encadré p. 42).
Lors de la création de cette structure, après appel à volontariat, les personnels n'ont pas tardé à répondre présent - plus de 100 candidatures - explique Marie-José Dono, cadre supérieur de santé. « Nous voulions des personnes matures professionnellement, issues de spécialités variées afin de pouvoir prendre en charge des pathologies diverses. » Et ajoute-t-elle, c'est sans doute « cette variété qui fait l'intérêt du travail à l'UHSI ». Et pourtant, les contraintes sont très lourdes. Contrôle systématique à l'entrée du bâtiment (y compris pour les personnels), interdiction d'apporter des objets extérieurs (sacs à main ou téléphones portables sont consignés), système de protection du travailleur isolé autour du cou, obligation de faire appel à un surveillant pour ouvrir la porte des chambres, fermées à clé en permanence, vigilance accrue quant au matériel introduit dans la chambre, etc. « On aimerait bien se précipiter sur le patient quand il fait une hémorragie, de la fièvre ou qu'il souffre. C'est un deuil que nous avons dû faire, nous soignants », témoigne Mme Dono.
Pour ce qui est de la situation sanitaire des détenus, indépendamment de ces UHSI, un chemin considérable a été accompli en dix ans. Le bilan est globalement positif, et certaines des difficultés résiduelles sont liées à la nature même du milieu carcéral, où la sécurité prime sur la logique sanitaire.
L'une des avancées importantes a sans doute été la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, introduisant la suspension de peine pour les détenus atteints de pathologies graves (cf. encadré ci-contre). Maurice Papon, 92 ans, condamné à dix ans de réclusion pour complicité de crime contre l'humanité, fut l'un des premiers détenus à en bénéficier en septembre 2002. Plus récemment, en juin dernier, à sa sortie de la prison de Bapaume, dans le Nord, les premiers mots de Joëlle Aubron, ancienne membre d'Action directe, incarcérée depuis 17 ans et atteinte d'un cancer, furent les suivants : « Je suis contente d'avoir la possibilité de me soigner. Je dois lutter contre la maladie avant de penser à être libérée au sens propre. » Mais elle ajoutait aussitôt : « L'application de la loi de mars 2002 reste pour de nombreux prisonniers en deçà de son contenu. » À la fin mai 2004, selon le ministère de la Justice, 110 détenus en avaient bénéficié.
La prise en charge de la santé mentale en prison demeure également à améliorer. Même si elle a progressé grâce à la création, en 1986, des services médicopsychologiques régionaux (SMPR) dans les établissements pénitentiaires. Aujourd'hui encore, ils sont au nombre de 26 en France, sur environ 180 établissements, ceux ne disposant pas de ce service hospitalier ayant normalement une vacation de psychiatrie - à condition, toutefois, de trouver des psychiatres. Par ailleurs, selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Affaires sociales, en 2000, 3,8 médecins auraient suivi, dans les SMPR, 1699 patients.
D'après une enquête de la Drees publiée en 2002, 55 % des personnes entrant en prison présentent au moins un trouble psychiatrique. Et un entrant sur cinq a déjà été suivi, 11 % ont déjà été hospitalisés en psychiatrie. Le nombre de détenus souffrant de troubles mentaux ne cesse par ailleurs d'augmenter, avec des pathologies susceptibles d'empirer du fait même de l'enfermement, et auxquelles s'ajoutent les troubles psychiques que peuvent engendrer la prison et la promiscuité de l'univers carcéral.
Ce phénomène touche aussi les proches. Une autre enquête du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), publiée en mai 2000, sur les conséquences d'une incarcération pour la famille du détenu, montre que l'état de santé de ces familles se dégrade. « Perturbations psychologiques liées au rejet ou mise à l'écart par la famille, les amis ou le voisinage, soucis financiers, rythme de vie bouleversé, tout concourt à une dégradation de l'état de santé de familles de détenus. » À la fatigue physique s'ajoute une fatigue morale, et près des deux tiers des personnes interrogées lors de l'enquête se sentent « déprimées et nerveuses », la moitié connaissant des troubles du sommeil.
Pour prendre en charge les détenus nécessitant des soins psychiatriques, le déficit de structures se fait sentir, malgré la création annoncée d'Unités hospitalières spécialement aménagées (Uhsa) dans des établissements de santé pour l'hospitalisation de détenus. En juillet dernier, la mission parlementaire d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales regrettait encore la rareté de l'offre pour répondre aux besoins immenses et croissants de prise en charge psychiatrique et psychologique, liée à la crise générale de la psychiatrie. Par ailleurs, la commission santé-justice, installée en juillet 2004 et présidée par Jean-François Burgelin, procureur général de la cour de cassation, a notamment pour mission d'étudier la création d'un hôpital-prison psychiatrique, constatant la présence nombreuse en prison de détenus présentant des troubles parfois graves de leurs facultés mentales.
À ce déficit de structures s'ajoute un déficit de connaissances. Une étude épidémiologique sur les détenus présentant des troubles mentaux a bien été lancée, qui devrait améliorer les connaissances actuelles sur le nombre et le profil de ces personnes, et évaluer l'effet des longues peines sur la santé mentale des condamnés. Mais ses résultats ne seront pas connus avant 2005.
Autres points noirs, outre la santé mentale ou l'absence de permanence médicale la nuit et le week-end : une « hygiène défectueuse » - on est très loin des normes de l'hygiène hospitalière, estime l'OIP - mais aussi « les violations régulières du secret médical ». L'Observatoire évoque également « une sorte de double peine » pour le détenu handicapé. Ainsi, « les conditions d'accessibilité aux douches, lavabos ou aux lits superposés sont rarement réunies », et les locaux souvent inadaptés aux handicaps liés à l'âge. L'Académie de médecine parle de « nombreux escaliers », d'« absence d'ascenseurs, absence de plans inclinés rendant inaccessibles de nombreux locaux, y compris les locaux médicaux, voire les lieux de promenade, a fortiori pour ceux qui doivent utiliser un fauteuil roulant ». Et de « défaut d'accompagnement de la fin de vie », « dû à toute personne en fin de vie dans le respect de sa dignité de personne humaine » et qui « manque actuellement cruellement ». Sans parler du respect du secret médical, ou des patients entravés, comme cette détenue de la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis qui, le 1er janvier 2004, avait accouché menottée à l'hôpital d'Evry(1).
Face à la persistance de ces divers dysfonctionnements, et notamment d'inégalités d'accès aux soins, malgré l'ouverture de nouveaux établissements et de cellules médicalisées dans certains autres, que faire ? Construire encore d'autres prisons, comme le prévoit le gouvernement, avec un programme de 13 000 nouvelles places à l'horizon 2007 ? Réduire d'urgence le recours à l'incarcération, comme le clame l'OIP, et donner au détenu un statut de patient ? « Il arrive toujours un moment où la personne est simplement malade, et doit bénéficier du droit commun, observe François Bès, plutôt que d'aller créer des petites prisons dans les CHU. » Cet été, la conférence des bâtonniers, qui rassemble les avocats de France hors Paris, réclamait elle aussi des pouvoirs publics « une grande loi d'orientation pénitentiaire » et la mise en place d'un « statut du détenu ». Afin de faire en sorte que puisse s'appliquer à l'ensemble des personnes incarcérées l'objectif majeur de la loi de 1994 : « Assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l'ensemble de la population. »
1- Cette femme avait en effet refusé qu'un agent pénitentiaire reste dans la pièce pendant l'accouchement. Peu après, une note de l'administration pénitentiaire recommandait que « la personne détenue ne doit en aucun cas être menottée pendant l'accouchement ».
> Les maisons d'arrêt : elle reçoivent les prévenus, de même que des condamnés à de courtes peines (moins d'un an) ou dont le reliquat de peine est inférieur à deux ans.
> Les centres de semi-liberté : réservés aux courtes peines et aux fins de peine, les détenus y travaillent en liberté la journée et dorment en prison.
> Les établissements pour peine : y sont affectés des condamnés. On distingue les maisons centrales (dont le régime est fortement axé sur la sécurité) et les centres de détention (axés sur la réinsertion des détenus).
Selon l'Observatoire international des prisons (OIP), au 1er septembre 2004, 56 271 personnes étaient incarcérées en France, pour une capacité totale de 49 595 places pour l'ensemble des établissements pénitentiaires. Traditionnelle au cours de l'été, mais plus forte cette année, cette diminution s'explique notamment par la baisse du nombre d'entrants en prison en juillet, et les effets du décret de grâce présidentielle du 9 juillet 2004. La situation de surpopulation perdure, avec une densité globale de 113,5. Un pic a été atteint début juillet avec 63 500 détenus. Dans les établissements pour peine, le taux d'occupation se situe autour de 90 à 100 %, tandis qu'il s'élève à 126,2 % dans les maisons d'arrêt.
C'est dans l'enceinte du CHU de Nancy-Brabois qu'a été construit le bâtiment abritant la première Unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de France. Inaugurée en février 2004, elle fonctionne depuis juin avec une capacité maximale de 17 lits. En septembre, l'équipe, composée de cadres supérieurs de santé, de trois médecins résidents, 14 infirmières, neuf aides-soignants et sept agents de service hospitaliers, tous volontaires et expérimentés, avait prodigué des soins à une centaine de détenus environ. Le territoire couvert par l'Unité est particulièrement vaste, puisqu'elle doit recevoir des patients issus de 16 établissements pénitentiaires, situés dans les régions Lorraine, Alsace et Champagne-Ardenne, pour une capacité totale de 3 870 détenus. Cette construction indépendante de deux étages et de 1 000 m2 de surface est reliée par une galerie sécurisée à un autre bâtiment de l'hôpital, permettant l'accès au plateau technique. Au rez-de-chaussée se trouve l'accès principal, l'un pour les piétons, l'autre pour les véhicules, gardé en permanence par des policiers. Les patients sont enfermés dans une chambre individuelle à l'étage. L'administration pénitentiaire y assure la sécurité - une vingtaine de surveillants sont affectés à l'UHSI.
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a introduit un nouveau dispositif, qui concerne les détenus condamnés « atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital » ou « dont l'état de santé est incompatible avec le maintien en détention ». Ceux-ci peuvent désormais bénéficier d'une suspension de peine pour raisons médicales. À l'issue de « deux expertises médicales concordantes et distinctes », le juge d'application des peines ou la juridiction régionale de libération conditionnelle, en fonction du reliquat de peine, décide de cette mesure. Début mars 2004, 49 dossiers étaient en cours d'instruction et 83 personnes en avaient bénéficié, selon le ministère de la Justice. Début septembre 2004, ce dernier chiffre atteindrait 140 détenus environ.
> Médecin-chef à la prison de la Santé. Véronique Vasseur. Éditions du Cherche-Midi, 2000.
> Par-delà les murs. Gilles Chantraine. Éditions Le Monde/Puf, 2004.
> Les Prisons. Jean Favard. Éditions Dominos/Flammarion, 2001.
> Les Conditions de détention en France. Rapport 2003, Observatoire International des prisons (OIP).
> « Dix ans après la réforme : la santé toujours incarcérée », Dedans Dehors, n° 40.
> Le site du Collège des soignants intervenant en prison (http://www.penitentiaire.com/) propose des informations et des documents sur sa pratique et organise des rencontres régulières.
Président de l'Association des personnels de santé exerçant en prison (Apsep), Pierre-Yves Robert est également médecin responsable de l'Unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) de Nantes. Une trentaine de personnels médicaux et paramédicaux, parmi lesquels huit infirmières et un cadre infirmier supérieur, y prennent en charge, sur deux sites - maison d'arrêt et centre de détention - la santé d'environ 1 000 détenus.
> L'amélioration de la prise en charge sanitaire des détenus, depuis une dizaine d'années, est-elle selon vous une réalité ?
Le service public a pris en charge la santé des détenus, et c'est globalement plutôt un succès. Ne serait-ce que pour des questions de moyens et de temps : j'ai dix vacations par semaine, mon collègue six et l'équipe compte une trentaine de personnes. Il y a des endroits où les choses se passent bien, mais la surpopulation carcérale vient considérablement perturber nos efforts.
> En termes de qualité de soins, la situation actuelle en détention est-elle comparable à celle de l'extérieur ?
La situation est à parfaire. Il est par exemple plus difficile de soigner un diabète en prison que dehors, parce que l'éducation du patient n'est pas simple à mettre en oeuvre : comment convaincre un détenu dont le seul plaisir est de consommer sa « cantine » qu'il faut cesser d'acheter tel ou tel produit parce que ce n'est pas bon pour un régime diabétique ? À l'inverse, un SDF qui a le sida ou une hépatite C sera mieux soigné en prison que dehors, parce que le dépistage est important et qu'il dispose d'un toit et d'un réel suivi médical.
> Quelles sont encore les difficultés d'accès aux soins ?
Le problème des extractions reste l'une des grosses difficultés. Certaines d'entre elles ne peuvent se faire, parce que les effectifs pénitentiaires ou de police sont mobilisés ailleurs. Si les délais d'attente pour une consultation à l'hôpital sont comparables à ceux de monsieur tout le monde, en revanche, il arrive que l'extraction, et donc le rendez-vous, soit annulée au dernier moment. Lorsqu'il s'agit d'une pathologie douloureuse, en rhumatologie par exemple, ce n'est pas sans conséquences pour nos détenus. Et ce phénomène n'est pas marginal.
Par ailleurs, dans nos structures comme dans d'autres, nous avons du mal à trouver des médecins, des infirmières : certaines Ucsa sont un peu exsangues en termes de personnel. On manque de vocations pour venir travailler dans les prisons.