« En stop, je rattrape la 2e DB... » | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004

 

Danièle Clément

Rencontre avec

Élève infirmière à Caen, Danièle Clément-Heintz intègre les équipes d'urgence lors de la bataille de Normandie. Une implication qui la mène ensuite dans la célèbre division du général Leclerc. Devenue infirmière, elle passe un doctorat en droit et devient expert auprès des juges pour enfants. Pour elle, la liberté n'a pas de prix.

Le 6 juin 1944, je dois passer mon diplôme d'infirmière à Caen, où nous habitons. J'ai 21 ans. Ma mère a une prémonition. "Ton examen n'aura pas lieu aujourd'hui." Dans la nuit, des explosions se font entendre au loin. Mon frère répète : "C'est sûrement le débarquement, j'ai entendu des messages sur mon poste à galène." Dès sept heures, nous sommes debout, très enthousiastes. "Ça y est, on vient nous libérer !" Nous n'imaginons pas toute la souffrance que cela va entraîner. La liberté n'est jamais gratuite. Et à 20 ans, on se dit que l'on n'a rien à perdre. Pendant ces quatre années d'occupation, nous avons eu faim, froid et peur. L'occupant nous muselle totalement. Les Allemands prennent souvent des otages que l'on ne revoie jamais. Mon frère fait de la résistance mais il ne nous raconte rien. Nous sommes en permanence dans la crainte. Après 1940, le sentiment de honte et d'humiliation fait place à la révolte.

« Les bombes nous sont destinées ! »

Mon frère et moi savons qu'il existe une organisation d'équipes d'urgence en vue d'événements exceptionnels, à l'hôpital du Bon Sauveur. Je m'y rends dès 9 heures ce matin du 6 juin. Les blessés de la côte commencent à arriver. Je me porte volontaire pour la salle de triage. À 13 h 30, un vrombissement aérien se fait entendre. Par la fenêtre, on entrevoit des forteresses volantes avec des paquets noirs qui s'en échappent. Nous ne tardons pas à nous rendre compte qu'il s'agit de bombes qui tombent sur le centre ville. Tout à coup, une escadrille s'approche et cette fois, ces bombes semblent nous être destinées. Nous nous plaquons contre le mur épais de la grande salle. La paroi effectue un mouvement arrière, avant, arrière, avant de se stabiliser finalement sur ses bases. Ce moment nous paraît interminable. Cette première journée connaît plusieurs bombardements de la sorte.

Dans l'après-midi, mon frère, brancardier dans les équipes d'urgence, vient me voir. "Il faut que l'on fasse quelque chose pour que les alliés sachent qu'ici c'est un lieu de refuge et de soins !" Dans la cour de l'hôpital, nous disposons des draps blancs sur le sol afin de tracer une grande croix. Ne trouvant pas de tissu écarlate, je propose d'utiliser les champs opératoires gorgés de sang pour la réaliser. Grâce à cela, le quartier sera épargné des bombes.

Extraordinaire et terrifiant

La nuit tombée, des fenêtres du quatrième étage, nous voyons les escadrilles aériennes illuminer la ville avec leurs ballons éclairants. Le spectacle est extraordinaire et terrifiant à la fois. C'est la mort qui tombe. Pendant les trois jours qui suivent, nous n'avons ni dormi, ni mangé. Ces moments-là ne nous laissent ni le temps, ni le choix de la réflexion. Seul le soulagement des blessés compte. Après quelques jours, je quitte le poste de triage pour assister un chirurgien. Lorsque Caen est totalement libéré presque deux mois après le jour J, la guerre n'est pas terminée. Mon frère s'engage dans les affaires civiles britanniques et moi, en auto-stop, je rattrape la deuxième DB du général Leclerc à Rambouillet. Je suis engagée comme ambulancière jusqu'à la fin de la guerre. »

Son livre de chevet

« Laisse flotter les rubans, de Jacqueline de Romilly. C'est plein de délicatesse et de finesse. Ce sont des petites tranches de vie. »