Genèse dorée - L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004

 

Annick Jouan

Rencontre avec

Annick Jouan crée L'Infirmière magazine en 1987. Novateur, incisif, volontiers provocateur, le journal connaît un succès immédiat, malgré de nombreux détracteurs. Retour sur la genèse de notre magazine avec sa fondatrice, désormais sexothérapeute, mais toujours « fière d'être infirmière ».

Thierry Verret, mon mari, avait racheté une petite maison d'édition, Lamarre-Poinat, qui éditait, outre des livres paramédicaux et médicaux, L'Infirmière française, lettre créée par Léonie Chaptal et complètement laissée à l'abandon. J'ai démissionné de mon poste dans une clinique et j'ai repris la lettre après avoir effectué un stage au Centre de perfectionnement des journalistes. Je faisais tout, la maquette, le secrétariat de rédaction, les photos, les articles.

Beaucoup d'ennemis

Dans les petits bureaux de cette vieille maison d'édition, nous avons commencé à envoyer la lettre dans les services, sans trop y croire. Très vite, les chèques d'abonnement sont arrivés... Encouragés par cet accueil, nous avons aussitôt imaginé L'Infirmière magazine. À l'époque, c'était le grand désert. Les publications destinées aux infirmières étaient écrites par des médecins et essentiellement composées de fiches techniques. Les infirmières étaient cantonnées dans des rôles techniques, les médecins faisaient des recherches pour elles, publiaient pour elles, tout dépendait du bon vouloir des médecins. Si la création de L'Infirmière magazine a suscité une onde de choc, elle nous a aussi valu beaucoup d'ennemis. Les médecins bien sûr, peu enclins à partager le pouvoir, mais aussi certaines infirmières. Les associations, les cadres, les enseignantes nous étaient hostiles. Jusqu'alors, elles seules s'exprimaient au nom de la profession...

Heureusement, sur le terrain, les infirmières nous ont immédiatement soutenus. Les lettres d'encouragement affluaient. Hélas, il n'était pas aisé de libérer la parole. Les infirmières pensaient qu'elles n'avaient pas le droit de s'exprimer. Pour recueillir les témoignages dans les services, il fallait l'autorisation de l'infirmière, de la surveillante, de la surveillante chef, du chef de service, de l'hôpital ! On a donc dû effectuer nos propres enquêtes, dont certaines ont fait du bruit, comme celle sur les écoles. Nous y dénoncions les conditions d'enseignement, ce qui n'a pas contribué à améliorer nos relations avec les formatrices... Nous avons brisé d'autres tabous, comme l'euthanasie... Le concept même du journal était provocateur. Une publication pour les infirmières où l'on parlait de bien-être, de maquillage ! Un vrai magazine, avec portraits, reportages et enquêtes ! Nous n'étions pas pris au sérieux, on nous promettait une vie très brève. À dire vrai, nous étions une double provocation. Nous dérangions les tenants de la presse médicale et les gens de la profession. Mais le soutien croissant des lectrices faisait toute la différence. Chaque jour, les filles s'abonnaient, comme un acte militant. Elles ne disaient pas « je m'abonne » mais « je vous soutiens », ce qui nous donnait une pêche incroyable !

Dans la foulée, nous avons créé en 1988 le Salon infirmier, inspiré du Médec. Le succès fut immédiat. La révolte grondait, nous nous sommes mobilisés pour accompagner le mouvement infirmier. L'Infirmière magazine était lancé. Nous avons aussi organisé des sessions de formation. Dans notre souci de confronter les professionnels de différents pays, nous avons même créé une agence de voyages. J'ai ainsi accompagné un groupe de lectrices à Bali, en Indonésie ou en Chine.

Enfin valorisées

Un seul credo nous animait : valoriser les infirmières avec des produits intelligents, un beau journal, des formations pertinentes... Depuis trop longtemps, on leur parlait comme à des décérébrées, nous, nous les associions complètement au projet. Et c'est ainsi que nous avons bâti notre succès.

Quand j'ai quitté L'Infirmière magazine, j'ai travaillé un temps pour L'Événement du jeudi. Puis, j'ai eu envie de revenir aux « soins ». Après avoir suivi une formation de conseillère conjugale et familiale, je suis devenue psychothérapeute et j'ai obtenu un diplôme universitaire de sexologie. Depuis 2001, je travaille à Sida info service, sur les lignes sexualité. En outre, j'ai des consultations de sexologie dans des centres de planification et au kiosque Info sida de la mairie de Paris. Je fais de l'éducation à la santé, de l'éducation sexuelle, du counseling. J'accompagne des gens en difficulté dans leur vie sexuelle mais aussi plus largement dans leur vie personnelle... En collaboration avec des médecins et des travailleurs sociaux, j'aide les personnes atteintes par le VIH, l'hépatite B, le cancer, ou diminuées par le handicap, à traverser ces épreuves. Je fais aussi beaucoup de formation, je pars d'ailleurs bientôt au Cambodge afin de soutenir des jeunes femmes séropositives. L'idée est de parler avec elles de sexualité et de contraception pour qu'elles puissent, de retour dans leurs villages, éduquer leurs proches.

Bref, j'exerce toujours mon métier d'infirmière, mais dans de nouvelles conditions, riche de toutes mes expériences passées. »

Son auteur de chevet

« Actuellement, je découvre avec jubilation l'oeuvre d'Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature. Les Exclus, Lust, Les Amantes, La Pianiste sont des récits sublimes. J'ai été complètement bluffée par ces livres étranges qui dénoncent avec force et beaucoup de talent les mécanismes de l'esclavagisme moderne. Le style est cinglant, féroce, direct et passionné. On progresse dans le maquis des clichés et des fantasmes sur l'amour, la famille, le couple...C'est décapant. »