L'homme en blanc - L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004

 

Jean Brignon

Rencontre avec

L'Afrique et le métier de soignant sont les deux passions de Jean Brignon, infirmier alsacien qui exerce dans le service de gériatrie du centre hospitalier d'Erstein (Bas-Rhin). Deux passions qui l'ont amené à enseigner la santé publique à l'Ifsi d'Erstein, et à sillonner le Sénégal, son pays d'adoption.

Le Sénégal m'a formé ! Dans ma vie personnelle, dans ma vie professionnelle... Même pour élever mes enfants, j'ai plus adopté la manière sénégalaise que toubab... C'est au Sénégal que j'ai eu le déclic pour devenir soignant, ainsi que mon premier diplôme d'infirmier ! C'est dans ce pays que j'ai pris conscience de l'importance de la santé publique. Et puis, c'est là que je me suis marié...

Respect des anciens

À 15 ans, j'ai découvert l'Afrique ! Avec mes deux frères, nous avions fait un périple au Niger, au Bénin et au Togo. Plus de trois mille kilomètres en quinze jours ! C'était magnifique et intense. Dès la fin de notre voyage, je me suis promis que je retournerais sur ce continent, pour faire correctement connaissance avec les gens.

Mon voeu s'est exaucé à 19 ans lorsque je suis parti au Sénégal par le biais de l'association Échanges et solidarité. Cette association met en oeuvre des projets de développement dans les villages, comme installer des panneaux solaires sur des dispensaires dans la brousse, construire une cantine scolaire... J'ai passé un mois à Diam Diam, un petit village sénégalais dont je suis tombé amoureux. C'est à cette occasion que j'ai vu le travail des professionnels de santé, que j'ai eu envie de me consacrer au soin, et que mes migrations entre l'Alsace et le Sénégal n'ont pas cessé.

De retour en France, j'ai suivi la formation pour le diplôme infirmier. En deuxième année d'Ifsi, j'ai abandonné pour faire une tentative en médecine car après un deuxième voyage au Sénégal, un stage organisé avec cinq autres étudiants infirmiers, j'ai trouvé que le travail dans un dispensaire était très médical. Échec. J'ai utilisé le Cafas obtenu par équivalence avec la première année d'Ifsi pour travailler comme aide-soignant en gériatrie, en service de long séjour, en maison de retraite. M'occuper des personnes âgées m'a tout de suite plu. Le Sénégal m'a appris le respect des anciens. Là-bas, ils sont consultés pour la moindre décision relative à la communauté. Chacun a droit à un regard positif, même les personnes grabataires ou démentes. C'est en 1997 que je me suis inscrit à l'École nationale de développement sanitaire et social (ENDSS) à Dakar, l'unique école d'État qui forme les infirmières au Sénégal (des écoles privées forment aussi au diplôme infirmier). Trois années d'études passionnantes et rigoureuses.

Première année commune

En première année, tous les étudiants paramédicaux sont réunis. Sages-femmes, kinés, manipulateurs radio... ça permet de garder des liens. Nous étions une centaine d'étudiants en première année. Une trentaine se destinaient à être infirmiers. L'état d'esprit général m'a séduit. Émulation et aussi taquineries ! Mais toujours dans un esprit constructif. Les différents professionnels de santé se comportent entre eux comme les différentes communautés, ou ethnies sénégalaises. Les Wolofs et les Peuls se « taquinent », mais c'est toujours positif, ça élimine les tensions...

Dès la deuxième année, je me suis retrouvé en stage dans un dispensaire rural, auprès des matrones ou « agents de santé communautaire ». En brousse, l'infirmière ou l'infirmier est en première ligne pour résoudre les problèmes de santé. Il y a un grand savoir-faire des professionnels qui permet de donner une issue favorable. Mais il y a des limites, quand une femme est en dystocie en plein milieu de la brousse... Beaucoup de femmes meurent en couches, de jeunes enfants meurent du paludisme... On éprouve un sentiment d'impuissance. J'ai vu tellement de situations dramatiques là-bas que j'ai tendance aujourd'hui à relativiser certaines situations dans nos services. Cette expérience m'a convaincu de la pertinence de la santé publique fondée sur la prévention, l'éducation, l'identification des problèmes en amont, plutôt qu'un système essentiellement curatif fondé sur des soins ultra-techniques. La démarche de santé publique, c'est en cela que je crois. Une fois rentré en France, en 2000, je m'y suis consacré en parallèle de mon DE français. Les enjeux sont importants. Une loi est passée récemment. C'est un premier pas. Aujourd'hui, j'essaie de susciter l'intérêt des étudiants à l'institut de formation en leur faisant faire des enquêtes concrètes ! »

Son livre de chevet

« Le soir, mon temps de lecture est essentiellement consacré aux cours et aux journaux... Mais dernièrement, j'ai apprécié Canicules, le livre de Lucien Abenhaïm, l'ancien directeur de la Direction générale de la santé. Très instructif, son témoignage m'a beaucoup appris sur les rouages administratifs et sur le déroulement de ce drame. Sa liberté d'expression et son regard critique sur le système soignent le lecteur de la langue de bois. »