La parole rendue aux patients - L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 200 du 01/12/2004

 

Chantal Deschamps

Rencontre avec

Pour Chantal Deschamps, rien n'est inéluctable. Pionnière du développement de la citoyenneté à l'hôpital, elle a lutté toute sa vie en faveur des plus démunis. Tour à tour infirmière, éducatrice, bibliothécaire, elle a redonné la parole aux patients.

J' ai un rapport sensuel au dictionnaire. Peut-être est-ce lié au fait qu'il n'y avait pas de livres à la maison quand j'étais petite. Les mots et les maux sont les fils rouges de ma vie. Donner les mots, la parole, à ceux qui ne l'ont pas et soigner les maux des personnes malades sont les deux causes de ma vie. Adolescente, je rêvais de devenir psychologue. J'ai toujours choisi le soin, mais je n'ai pas choisi la profession d'infirmière. Après mon bac, je voulais poursuivre mes études, mais la condition était qu'elles soient payées. Je suis donc devenue infirmière auprès d'enfants handicapés mentaux. Au cours de ces dix années, j'ai découvert la maltraitance de ces enfants. Dans l'espoir de pouvoir faire changer les choses, j'ai passé le diplôme d'éducatrice spécialisée, j'ai ensuite passé plusieurs années dans le militantisme associatif défendant les minorités au coeur d'une grande cité HLM. Je ne vois pas pire attitude que celle de l'indifférence. J'aime beaucoup une citation de Charles Péguy à ce propos : "Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme perverse. C'est d'avoir une âme habituée."

Auberge espagnole

Est-ce la fascination pour les mots qui m'a poussée à passer le concours de bibliothécaire et documentaliste de la rue Richelieu à Paris ? Je ne sais pas, cependant, le hasard a voulu qu'au même moment, l'Assistance publique cherchait une bibliothécaire. Je suis recrutée à l'hôpital Laennec et les huit années qui suivent sont un rêve. La bibliothèque devient une auberge espagnole, un lieu d'échanges, de partage, d'animation, de création de réseaux, de pensées, de démocratie. Certains ne savent ni lire, ni écrire. Du coup, nous lançons un groupe de lutte contre l'illettrisme. Un groupe de travail sur l'éthique concrète se constitue et d'autres groupes fleurissent encore. Et moi, j'arrose ! L'intelligence et l'énergie, le terreau, sont au rendez-vous, donc je me contente de coordonner.

Et puis les propositions s'enchaînent : Louis Omnes (nouveau directeur de l'hôpital Georges-Pompidou) me propose de créer un département de la communication pour l'hôpital Laennec. À la même époque, nous mettons aussi sur pied un service de soins palliatifs. La vie est faite de rencontres. Je l'ai tout de suite su lorsque j'ai rencontré Michel Bilis, directeur de l'hôpital gériatrique Georges-Clémenceau, un homme extraordinaire, d'une intelligence prodigieuse. L'isolement géographique de l'hôpital, très mal desservi, nous pousse à créer "une maison des proches", pour mieux les accueillir lorsqu'ils rendent visite aux vieux pensionnaires. Lorsque Michel Bilis est nommé à Broussais, il me demande de le suivre, et nous continuons notre combat au travers d'un groupe de réflexion que je baptise "le soin citoyen", suivi par la mise en place d'un département sur "les droits des usagers" et la création d'une maison des usagers. Nous avions un temps d'avance puisque ce département a vu le jour bien avant la charte du patient hospitalisé. Par chance, Télérama s'intéresse à cette affaire(1), et nous sommes propulsés sur le devant de la scène médiatique. Du coup, Broussais devient l'hôpital "poisson pilote" sur ce sujet.

Cette épopée nous amène à participer au groupe de réflexion sur la rédaction de la loi des malades au ministère de la Santé. C'est l'une de mes grandes missions. Pendant ce temps, les maisons des usagers se multiplient dans différents hôpitaux. En janvier 2001, je suis nommée au Comité consultatif national d'éthique. En parallèle, je rentre en février 2002 à l'hôpital Avicenne (Bobigny, Seine-Saint-Denis), où Michel Bilis me demande de désenclaver l'hôpital en recréant du lien social. Cet établissement hors du commun, réunissant une mosaïque de cultures et de religions, a marqué mes dernières années avant le départ en retraite. »

1- Cf. Télérama n° 2581 du 3 juillet 1999.

Son livre de chevet

« La Perte des sens, de Ivan Illich (Fayard), ou un bon polar quand je suis fatiguée. »