La taule fait toujours un tollé - L'Infirmière Magazine n° 201 du 01/01/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 201 du 01/01/2005

 

Événement

Actualités

À l'occasion des dix ans de la loi du 18 janvier 1994, destinée à réorganiser les soins aux détenus, un colloque s'est tenu à Paris en décembre. Même si des progrès ont été accomplis, la situation sanitaire des prisonniers reste désastreuse.

Le soin en prison ? Un carré blanc sur une immensité de violence. Un carré blanc qui peine à couvrir l'étendue des besoins... 58 989 détenus au 1er décembre 2004 pour une capacité totale de 49 601 places ! Avec un pic en juillet dernier à 63 500 places... À la prison de Fresnes, on a enregistré plus de 7 000 passages par mois à l'unité de consultation et de soins ambulatoires (Ucsa). Et les résultats de l'enquête de prévalence des troubles mentaux, réalisée entre septembre 2003 et juin 2004 auprès de 800 détenus, montre que 7 % d'entre eux souffrent de schizophrénie, 7 % souffrent de paranoïa ou de psychose hallucinatoire chronique. Soit une prévalence sept fois plus élevée que dans la population générale !

Moyens accrus.

Difficile dans ces conditions de s'endormir sur ses lauriers, à l'occasion des dix ans de la loi du 18 janvier 1994. Même si cette loi, qui a transféré la prise en charge de la santé des prisonniers de l'administration pénitentiaire au service public hospitalier, a permis d'améliorer la qualité des soins ! Lors du colloque « 10 ans après la loi », organisé le 7 décembre dernier par la DGS, la DHOS, la Direction de l'administration pénitentiaire et l'INPES, à la Mutualité, à Paris (Ve arrondissement), tous les discours ont souligné les bienfaits de cette petite révolution. Un dispositif qui serait envié par nos voisins, paraît-il.

À cette occasion, le Dr Françoise Lalande de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a rappelé les résultats de l'évaluation réalisée par l'Igas et l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) en 2001. « La réforme a permis un apport sensible de moyens en personnels médicaux et paramédicaux, en locaux et en équipements, qui a accompagné la mise en place des Ucsa. On peut parler d'un véritable changement d'échelle. » 26 services médicopsychologiques régionaux (SMPR) et 189 unités de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa) desservent l'ensemble des établissements pénitentiaires, à l'exception des centres de semi-liberté. Ces services emploient au total 410 médecins (équivalents temps plein) et 1 410 autres professionnels (équivalents temps plein).

Afflux de malades mentaux.

Le dispositif a été amélioré puisqu'un arrêté interministériel d'août 2000 instaure les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI). Une première unité a été créée au CHU de Nancy-Brabois en février 2004, et une deuxième a été inaugurée le 16 décembre dernier à Lille. Sans compter l'annonce de la création d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) dans les prisons pour les personnes souffrant de soins psychiatriques. Ouvertures prévues en 2007, 2008... d'après le préfet Patrice Molle, directeur de l'administration pénitentiaire. Mais ce n'est pas si sûr. Des psychiatres s'opposent à ce choix d'unités spécialisées dans les prisons. « Cette évolution est extrêmement grave, a déclaré le Dr Gérard Dubret, chef de service au centre hospitalier de Pontoise, qui préfère voir le développement des unités pour malades difficiles (UMD) à l'hôpital que des UHSA dans les prisons. Il faut s'interroger sur les causes de cet afflux de malades mentaux en situation d'incarcération. »

Dans ce dispositif général de soins aux détenus(1), la mission de l'Igas et de l'IGSJ a relevé des blocages. L'augmentation de la demande de soins, les disparités d'un site à l'autre, la limitation des extractions médicales, le manque de coopération entre les SMPR et les Ucsa, les insuffisances pour la prévention du suicide, la défaillance dans la lutte contre l'hépatite C...

Autant de problèmes qui méritent des solutions. Hélas, le colloque du 7 décembre a laissé un goût un peu amer. La dynamique déclenchée par la loi de 1994 semble en panne. Les professionnels de santé, en majorité ce jour-là à la Mutualité, paraissent essoufflés. Et l'absence de magistrats et de policiers à cette journée a empêché de poser tous les problèmes à plat. Des soignants dans la salle ont même regretté l'absence de prisonniers, précisant que « le détenu est partenaire de son soin et aussi de sa peine ».

Secret médical.

« Le point noir, ce sont les patients âgés, témoigne le Dr Pierre-Yves Robert, responsable de l'Ucsa de Nantes. Voir un fauteuil roulant dans une prison, c'est insupportable ! Vieillissement, pathologies de plus en plus graves et complexes, handicap... C'est de plus en plus difficile de soigner, si nous voulons garder le caractère ambulatoire. Et puis nous n'avons pas les moyens de faire de la vraie prévention. »

Autre souci quotidien, la notion de secret médical qui une fois plongée dans le milieu pénitentiaire, continue de faire bouillonner les esprits... « Je suis pour le secret médical, a déclaré Sergio Salvadori, directeur régional des services pénitentiaires de Lille. Tout dépend de l'utilisation qui en est faite. Il ne faut pas le transformer en bouclier qui protège la personne détenue. » Réponse du vice-président de l'ordre des médecins : « Le secret médical, il est absolu... » Il semble toujours urgent de continuer à travailler sur les représentations des métiers des uns et des autres.

L'accès au soins, grâce à l'incarcération !

« La confiance reste problématique car la prison fonctionne au manichéisme. Chacun se cache derrière ses missions propres, a expliqué Marc Bessin, chercheur sociologue, qui souligne surtout un effet pervers de la loi. La prison devient le dernier lieu de soin. On dit aux toxicomanes : là au moins vous allez rencontrer des gens qui vont vous soigner. » Même sonnette d'alarme tirée par le professeur Antoine Lazarus. « On met en prison non plus pour punir mais pour soigner. » Bruno de Goer, médecin à l'Ucsa d'Aiton (73), craint lui aussi qu'on incarcère plus facilement pour faciliter l'accès aux soins.

Le colloque a aussi mis en évidence le manque de considération ressenti par les soignants des Ucsa, des SMPR, de la part de leurs confrères... « Il existe une indifférence des milieux hospitaliers à l'égard des Ucsa. Lorsque j'ai mis en place celui du Mans, personne ne s'est porté volontaire », a expliqué Yannick Chene, directeur du centre hospitalier de Niort. Les statuts du médecin coordonnateur et des autres soignants de l'Ucsa ne semblent pas toujours bien reconnus. « C'est vrai, il peut y avoir un effet de relégation... Une hiérarchie qui se fait... a témoigné Marc Bessin. Pourtant, il ne s'agit pas d'une médecine secondaire, l'Ucsa est un service hospitalier à part entière », a rappelé un médecin dans la salle. Bref, la journée n'a pas été très constructive. Des soignants expliquent que les conditions se dégradent depuis 2000, et qu'ils traînent leur boulet depuis quatre ans.

Quelles évolutions peut-on attendre ? Les ministres de la Justice et de la Santé, prévus au programme, étaient absents. Il ne faut pas se faire d'illusions, la prison risque fort de demeurer dans l'ombre.

1- Cf. L'Infirmière magazine, n° 199, pp. 40-45.

BIBLIOGRAPHIE

Un guide méthodologique

Le 7 décembre dernier, à l'occasion du colloque consacré aux dix ans de la loi de 1994, les participants ont reçu Le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues. Un document de plus de 150 pages qui décrit les soins en milieu pénitentiaire, leur organisation, leur articulation avec l'extérieur ainsi que les droits des malades. Un document de travail complet qui tient compte des dernières décisions européennes et des dernières lois. Cependant, cet outil, réalisé en partenariat par les ministères de la Santé et de la Justice, est bien insuffisant pour relancer la dynamique initiée par la loi de 1994. « Comment intervenir en prison pour que cela apporte une aide réelle ? Comment décliner au mieux la prévention et l'éducation à la santé ? », s'est interrogé Philippe Lamoureux, directeur de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé.

ILS ONT DIT

> « Je ne dis pas "le prisonnier". Je parle du patient ou de la personne détenue. Je suis une infirmière comme les autres. »

Évelyne Picherie, infirmière à l'Ucsa de Nantes.

> « Le secret médical, c'est le patient qui le détient. En accord avec le détenu, je peux informer l'administration pénitentiaire. »

Bruno de Goer, médecin à l'Ucsa d'Aiton.

> « La confidentialité, c'est avant tout une question de personne. On demande au surveillant si on peut être en tête à tête avec le patient. Le surveillant peut accepter. S'il dit non, c'est qu'il a de bonnes raisons. Nous nous faisons confiance mutuellement. »

Évelyne Picherie, infirmière à l'Ucsa de Nantes.

> « On demande aux soignants de sortir de leur rôle pour qu'ils deviennent experts de la sécurité. »

François Bes, Observatoire international des prisons.

> « L'humanité en prison, elle se définit en concurrence avec l'autre. Chacun renvoie à l'inhumanité de l'autre. En prison, l'enjeu de dignité est énorme. »

Marc Bessin, chercheur sociologue.