Chimio en rase campagne - L'Infirmière Magazine n° 202 du 01/02/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 202 du 01/02/2005

 

Sylvie Pelletier

Rencontre avec

Pour Sylvie Pelletier, la cancérologie est une vocation. Cette infirmière libérale pratique des soins de longue durée à domicile. Entre investissement personnel et relations humaines s'ancrent les difficultés de travailler à la campagne.

Quand un patient la contacte en sortant de l'hôpital, c'est souvent pour être suivi entre deux traitements, à domicile. Sylvie Pelletier doit alors gérer les effets secondaires, et le risque d'aplasie. Mais la plupart du temps, elle ne sait pas ce que le patient a reçu. « C'est à nous de chercher l'info », s'indigne-t-elle. Alors, elle essaie de deviner grâce à ses connaissances acquises à l'Institut Gustave-Roussy, puis en recherche clinique. À 33 ans, Sylvie se bat pour faire au mieux, avec pour seuls moyens sa volonté et son expérience. Ses patients viennent des CHU de Chartres et de Dreux, ou de cliniques privées. « À la campagne, quand on a seulement des établissements non spécialistes à proximité, c'est difficile. » Dans la plupart des centres de lutte contre le cancer, par exemple, le patient a un carnet de suivi à destination de son généraliste et des infirmières libérales. Pas là...

Des leçons de vie.

Sylvie Pelletier voulait être infirmière, et rien d'autre. L'oncologie l'a passionnée dès la première année d'Ifsi : pour des raisons familiales et personnelles, elle met tout son coeur dans cette spécialité. « On ne travaille pas en cancérologie par hasard », assure-t-elle. Certains disent qu'il n'y a rien de plus triste. Elle répond, très enthousiaste : « Au contraire, ce sont chaque jour des leçons de vie. Les patients nous disent que la vie est trop courte, qu'il faut en profiter. C'est un métier où l'on reçoit beaucoup. » Elle aime avant tout les relations que les chimiothérapies permettent de construire. Cela lui rappelle le Soudan, où elle est partie pour une mission de six mois : elle y retrouve le même contact, humain et profond. « Là-bas, j'ai dû m'intégrer à la vie locale. Maintenant c'est pareil : j'entre dans la vie du patient, et en même temps je dois le guider dans un monde qu'il ne connaît pas. » Deux univers où sont présentes la mort et la survie. Aujourd'hui, Sylvie est plus à l'aise pour répondre aux questions délicates. « Quand ils parlent de la mort, c'est très direct, mais je suis pas blindée, avoue-t-elle, je fonctionne à l'instinct, je m'adapte. » S'adapter à l'autre, aller au contact suppose une certaine humilité. L'humanitaire lui a permis de prendre du recul et l'a rendue plus mature. « Je ne donne plus de réponse toute faite à mes patients, mais des pistes pour qu'ils trouvent eux-mêmes une solution. Et puis, je me demande en permanence si j'ai prononcé les bons mots. » Quand un patient va perdre ses cheveux, elle lui propose d'abord de chercher une perruque. Puis, après réflexion, elle se rend compte qu'un foulard lui ira mieux. « Tous les jours, avec chacun de mes patients, je réajuste mon discours. »

Les tabous tombent.

À domicile, le rapport à l'infirmière est différent. Quand Sylvie travaillait à l'hôpital de jour, elle voyait des patients très anxieux, voire agressifs. À la maison, le ton est plutôt à la confidence. Elle reste en moyenne un quart d'heure, mais choisit parfois de prolonger. « Je le sens quand un patient souhaite que je reste un peu plus. » Ce temps extensible, qui n'existe pas à l'hôpital, permet aux malades d'exprimer leurs émotions. Ainsi, les tabous tombent. Et au quotidien, elle voit des gens plus tranquilles. « Ils ont moins de nausées qu'en hospitalisation », a-t-elle observé. La prise en charge est plus personnalisée, et l'intimité respectée. « Chez soi, on peut vomir sans avoir peur de gêner son voisin de chambre. » Après un suivi de plusieurs mois, les rapports peuvent outrepasser le cadre médical. Il faut alors garder ses distances, pour ne pas être confondue avec la famille. « Je suis allée deux fois à l'enterrement de patients. Pour accompagner jusqu'au bout... mais cela reste exceptionnel. » En dix ans d'expérience, elle a acquis plus de sérénité. « Avant, j'étais très explosive, trop investie... mais je reste d'un tempérament dynamique ! », dit-elle en souriant.

Un fléau, le chômage.

Après un an et demi de terrain, Sylvie constate les multiples bénéfices des cures à domicile. Certaines personnes peuvent continuer à travailler. « Il existe des pompes portatives qui distribuent le traitement durant 24 heures. J'avais un patient qui partait tous les jours à Paris avec sa chimio sur lui ! », raconte-t-elle, encore étonnée. La perte d'emploi, malheureusement, est souvent évoquée par ses patients. Quand ils sont au chômage, certains ont l'impression de ne vivre que la maladie. Sylvie devient alors un nouveau repère. Elle se compare à une canne sur laquelle on peut s'appuyer. Comme en humanitaire, il faut savoir pourquoi on fait ce métier, et ne pas vouloir à tout prix sauver le monde. « Je suis une goutte d'eau, j'essaie d'avoir des objectifs modestes. » Pourtant, elle s'investit bien au-delà du cadre médical, et s'attache à traiter tous les aspects du cancer : pallier les effets secondaires, aider à accepter la maladie, gérer les dimensions sociale et familiale... en plus des soins.

Malgré tout ce qu'elle peut apporter, la chimio à domicile n'est pas entrée dans les moeurs. « J'habite entre Chartres et Dreux, deux CHU qui pratiquent des chimiothérapies, je ne suis pas loin de Paris, et j'ai du mal à avoir des patients en traitement. Nous sommes sous-utilisées. On en a marre, on n'est plus des bonnes soeurs ! », s'énerve-t-elle. Absence de confiance dans les infirmières ou question de mentalité ?

Selon Sylvie, les médecins n'ont pas été poussés lors de leur formation à proposer des traitements à l'extérieur. Et puis, il y a l'enjeu financier. « Les établissements privés n'ont aucun intérêt à faire pratiquer les soins à l'extérieur. Tout est facturé, et un flacon de 80 grammes de chimiothérapie peut coûter jusqu'à 750 euros... payés par les caisses d'assurance maladie. » Pourtant, une chimiothérapie à domicile coûte, en moyenne, deux fois moins cher qu'en hospitalisation. Le plan cancer lancé en mars 2003 prévoit 2 000 places supplémentaires d'HAD d'ici quatre ans. Mais Sylvie estime l'ensemble des mesures un peu floues. Pour l'instant, beaucoup de malades d'Eure-et-Loir se font soigner à Paris... alors qu'elle est là, sur place, et compte bien y rester.

Moments clés

> 1993 : diplôme d'infirmière et certificat en chimiothérapie

> 1993 : engagée à l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif

> 1996 : humanitaire en Angola (MDM), puis au Soudan (MSF)

> 1997 : crée l'unité d'oncologie en hôpital de jour à la clinique Saint-François de Chartres

> 2000 : organise des consultations infirmières en recherche clinique dans le service du Pr Khayat à La Pitié-Salpêtrière

> Novembre 2002 : infirmière libérale à Châteauneuf-en-Thymerais (28)