« En psychiatrie, c'est la folie ! » - L'Infirmière Magazine n° 202 du 01/02/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 202 du 01/02/2005

 

Événement

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Drame de Pau le 17 décembre, manifestation nationale le 20 janvier, pénurie généralisée... La psychiatrie française se porte mal. Pour parer à l'urgence, Douste-Blazy a annoncé des mesurettes, jugées « délirantes » par les soignants.

« Une claque, une gifle, des insultes, c'est notre lot quotidien ! », explique Claire Pollart, assistante sociale et secrétaire de la CGT à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (94). Tous les soignants, sans exception, ont été victimes ou témoins d'une agression, ne serait-ce que verbale. Une violence qui semble se banaliser. Pourtant, pour l'ensemble du personnel soignant interrogé, la solution ne réside pas dans des mesures sécuritaires. Tous pointent du doigt le manque d'effectifs qui, selon eux, générerait ce climat de violence.

Temps sacrifié.

Aujourd'hui, beaucoup d'hôpitaux fonctionnent avec plusieurs dizaines d'infirmières en moins par rapport à l'effectif théorique. C'est le cas à l'hôpital Paul-Guiraud, où 250 postes ont été supprimés en quatre ans. Le personnel est en grève depuis le 6 janvier dernier pour dénoncer cette situation.

Nicolas Lecompte, infirmier à Paul-Guiraud, est diplômé depuis 2002. « Il m'arrive très souvent de commencer ma journée avec un patient angoissé et désireux de parler. Je me rends compte, à la fin de la journée, que je n'ai pas trouvé cinq minutes pour lui parler, remarque-t-il. Entre temps, son angoisse a augmenté. C'est cela qui peut créer des situations de violence, car le patient se sent frustré. »

Le problème à Villejuif réside aussi dans l'architecture des bâtiments. Le service de Saméra Serbah, infirmière à Paul-Guiraud, est sur deux étages. « La nuit, nous sommes deux : l'un en bas, l'autre en haut. Quand je crie, mon collègue ne m'entend pas ! » Même son de cloche dans l'unité pour malades difficiles (UMD) Henri-Colin de Paul-Guiraud.

Pour André Tollendal, infirmier de secteur psychiatrique depuis 1982, « le développement des structures extra-hospitalières a permis de prendre en charge beaucoup de patients. Dans les hôpitaux, on trouve les pathologies les plus lourdes, les patients qu'on ne peut pas mettre ailleurs. Mais nous ne sommes pas assez, nous n'avons pas le temps de les prendre en charge. Nous nous limitons à l'essentiel : les consultations urgentes, les repas, les toilettes et les soins obligatoires. » Et « le minimum en psy a tout de suite des conséquences tragiques », explique Joel Volson, délégué du personnel Sud-Santé de l'hôpital Paul-Guiraud. « En psychiatrie, tout se pose en termes de temps, le temps de la relation, le temps de faire baisser les tensions et les angoisses. Pour cela, il faut faire des activités et des loisirs, des sorties... Mais tout cela a été abandonné au profit de la sécurité. » Certes, le personnel manque, mais ce sont les hommes, aussi, qui se font rares dans les services. D'abord parce que la profession reste majoritairement féminine. Mais aussi et surtout parce que les hommes sont sans cesse appelés à la rescousse dans d'autres services. « L'été dernier, j'étais absent au minimum deux heures par jour de mon service, laissant ainsi ma collègue gérer seule l'unité », note Guy Ursch, infirmier à l'hôpital psychiatrique de Seynod, en Haute-Savoie.

« Certes, il manque du personnel, concède Dominique Friard, infirmier dans un centre de santé mentale à Gap. Mais ce qu'il faut, ce n'est pas "plus", c'est "mieux". Il faut donner du sens au soin, savoir gérer la violence et le collectif... »

Formation déficiente.

L'apprentissage de la gestion de la vie collective, justement, est « une dimension qui n'est pas prise en compte dans les Ifsi », affirme Évelyne Paris, infirmière à l'hôpital de Seynod. En effet, un autre problème en psychiatrie est celui de la formation. Depuis 1992, la formation d'infirmière de secteur psychiatrique n'existe plus. Une disparition très regrettée. « Avec le diplôme d'État, il n'y a que trois mois de théorie, c'est insuffisant ! », affirme Jean-Yves Louchouarn, infirmier en centre médicopsychologique (CMP) à Villejuif.

« Le défaut de formation n'est pas anodin dans la montée de la violence », estime Annie Hélary, infirmière de secteur psychiatrique à Caudan, dans le Morbihan. Les jeunes diplômées se retrouvent très vite avec de grandes responsabilités. « Au bout de trois mois, les nouvelles infirmières deviennent référentes de service », observe Claire Pollart. « En décembre dernier, deux infirmières diplômées depuis quinze jours se sont retrouvées toutes les deux seules dans le service, et cela n'a choqué personne ! », s'indigne Odile Sylvestre, infirmière à l'hôpital de Seynod. Peu formées, avec d'énormes responsabilités, les IDE se découragent et se détournent très vite de la psychiatrie. Conséquence : un grand turn-over dans les services, qui rend difficile la mise en place de projets de soins.

Solutions « insultantes ».

Pour répondre à cette situation critique et en attendant le plan de santé mentale présenté début février (cf. encadré p. 6), le ministre de la Santé a annoncé des mesures (comme l'installation de liaisons téléphoniques entre les hôpitaux et les commissariats) qui n'ont pas convaincu le personnel. « Les policiers ? Ils vont faire quoi ? Ils ne connaissent rien à la maladie mentale », affirme Marie Dumont, assistante sociale à Paul-Guiraud. « Les policiers ont peur des malades », ajoute Yolande Martin, infirmière à Paul-Guiraud. « Les solutions du ministre sont insultantes, c'est du délire ! lance Dominique Friard. L'aspect sécuritaire produit de la violence. »

Malades à l'index.

Certains craignent aussi que le drame de Pau ajoute à la stigmatisation des malades. « Le traitement médiatique de l'affaire de Pau a été vraiment caricatural... De nombreux clichés ont circulé. Le malade mental a d'emblée été assimilé a une personne dangereuse », commente Annie Hélary. Pour Nelly Derabours, infirmière dans un CMP du IIIe arrondissement à Paris, il y a eu un véritable amalgame lors de l'affaire de Pau. « C'est un métier dangereux, mais ce sont d'abord les patients qui sont en danger, qui souffrent et qui subissent la violence ! »

Ce malaise général, cette situation critique ont été dénoncés par le personnel soignant lors de la manifestation nationale du 20 janvier aux cris de « Douste- Blazy t'as rien compris ! En psychiatrie, c'est de la folie ! »

Malgré ces cris de détresse, les infirmières continuent à croire en leur métier. « De toute façon, je ne sais rien faire d'autre et j'ai toujours autant de plaisir à faire mon travail, même si les conditions sont extrêmement difficiles ! Pour rien au monde, je ne changerais de métier ! », admet André Tollendal.

PLAN SANTÉ MENTALE

Propositions évasives

Le plan de santé mentale, dont le budget serait chiffré à 200 millions d'euros, devrait être présenté début février. Les premières ébauches ont été présentées aux syndicats. Selon ces derniers, qui souhaiteraient un projet écrit détaillé, les propositions sont trop évasives. Le plan est articulé en trois axes. Le premier est intitulé « Un parcours de soins décloisonné ». Parmi les mesures annoncées dans ce volet : rompre l'isolement des médecins généralistes, renforcer les prises en charge ambulatoires au sein des CMP (avec l'ouverture des centres le soir et le week-end) et diversifier les alternatives à l'hospitalisation complète, développer les services d'accompagnement et favoriser l'accès à un logement ou un hébergement adaptés. Dans le deuxième axe, le ministre souhaite renforcer les droits des malades et de leurs proches, et améliorer l'exercice des professionnels, notamment en renforçant la formation et en améliorant les conditions de travail. Dernier axe : développer la qualité, l'évaluation et la recherche, avec notamment des campagnes de prévention du suicide. Selon les syndicats, les orientations proposées ne sont pas suffisamment lisibles, et la politique de secteur n'est pas clairement réaffirmée.

ILS ONT DIT

> « Je ne peux pas faire mon travail correctement, je fais du bricolage. »

Marie Dumont, assistante sociale à l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (94).

> « Ce sont surtout les patients qui subissent le manque de personnel. »

Nelly Derabours, infirmière dans un CMP du IIIe arrondissement de Paris.

> « On ne s'intéresse pas suffisamment au travail des infirmiers. Lors du drame de Pau, les soignants n'ont pu s'exprimer que dans le registre émotionnel ou syndicaliste, jamais dans un discours clinique infirmier. »

Dominique Friard, infirmier dans un centre de santé mentale à Gap (05).

> « Depuis dix ans, j'ai l'impression d'avoir changé de métier. Je ne me sens plus infirmier, je me sens plutôt agent de sécurité. »

Guy Ursch, infirmier à l'hôpital psychiatrique de Seynod (74).

> « Avant, nous avions beaucoup plus de temps avec les patients, nous passions des heures à discuter ou fumer des cigarettes avec eux. Au moment des relèves, nous échangions, c'étaient des vraies relèves ! »

Odile Sylvestre, infirmière à l'hôpital psychiatrique de Seynod (74).