À Alençon, les Ibères se font très rudes - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

Ressources humaines

Enquête

Confrontés à des problèmes de langue et de climat, pas facile de réussir son intégration. Quatre infirmiers espagnols, expatriés à Alençon, témoignent.

Inma jette un coup d'oeil par la fenêtre du 4e étage de l'hôpital, fait une petite grimace, puis lâche : « À cette saison, mes compatriotes n'ont pas encore mis leur manteau ! » Inma, infirmière de 24 ans arrivée en France il y a deux ans, est espagnole. Plus précisément, elle est originaire d'Algésiras, à l'extrême sud de la péninsule ibérique... Très loin de l'Orne et de sa préfecture, Alençon, belle ville de 30 000 habitants traversée par la Sarthe, proche des côtes normandes, comme Algésiras l'est des côtes marocaines. Alors, oui, Alençon est plus souvent plongée dans le brouillard que le Sud espagnol ! « Pour moi, le plus difficile, c'est la différence de climat », concède Inma.

L'expatriation, une solution ?

Cependant, quand on a une vingtaine d'années et qu'à peine diplômée, on doit enchaîner les missions de travail très irrégulières et les périodes de chômage, on se fait rapidement une raison. D'autant plus que l'expatriation dans des pays voisins est une solution partagée par d'autres jeunes infirmières. Après un contrat intérimaire en gériatrie et en maison de retraite, Inma met le cap sur Portimao, au sud du Portugal. Pendant trois mois seulement, car, malgré une relative proximité avec sa région d'origine, le Portugal n'offre pas de conditions aussi intéressantes qu'en France.

C'est à l'école d'infirmière qu'Inma a entendu parler des possibilités de travail dans l'Hexagone(1). La réunion d'information a été si positive que l'ami d'Inma, José, 25 ans, originaire d'un village andalou proche de Cadix, y est parti en premier. « Nous avions été sélectionnés avec plusieurs autres étudiants, explique José. Alors qu'avec trois amis, nous étions décidés à partir au Portugal, nous avons eu un déclic ! Et c'est comme ça que nous nous sommes retrouvés à Bastia. » Après une première mission de six mois en Corse, José veut enchaîner. Mais, cette fois, accompagné par Inma, qui part contre l'avis de sa mère, mais sur les pas de son père. Comme beaucoup d'autres habitants de la province, celui-ci est venu travailler en France. Émigrer pour travailler est devenu une culture dans ce Sud si touché par le chômage.

« Mon père m'a toujours dit : il faut aller là où il y a à manger ! », raconte José. Pas étonnant alors de constater qu'un quart des infirmières venues en France pendant ces trois dernières années venaient d'Andalousie.

Aucun ne parle français

Pour lancer le mouvement et rassurer les établissements français tentés par l'aventure, un dispositif d'accueil des Espagnols a été imaginé début 2002 par le ministère de la Santé français, avec l'appui des différentes fédérations professionnelles(2).

L'Office des migrations internationales s'est chargé de relayer l'information côté espagnol et de recruter les candidats. Mais en décembre 2004, ce plan a été stoppé, les offres d'emploi proposées par les établissements n'étant plus assez nombreuses.

Tous les Espagnols n'ont bien sûr pas été envoyés à Alençon. La Basse-Normandie ne compte pas parmi les régions les plus demandeuses. Seulement 2 % des professionnels hispaniques sont venus s'y installer, quand la moitié rejoignaient l'Île-de-France. Inma et José ont failli travailler en région parisienne, mais, devant leur refus, un autre emploi leur a été proposé cette fois-ci à Alençon. Offre qu'ils ont acceptée. On ne tergiverse pas indéfiniment. D'autant que l'hôpital de la ville les attend de pied ferme. Il en va du fonctionnement estival de certains services. L'été 2003 se présente mal. « Vingt-deux infirmières étaient alors en congés maternité, note Dominique Peyrot, cadre infirmier supérieur. Cela devenait trop lourd. Par ailleurs, nous ne faisons jamais appel à l'intérim. Et aucune promotion d'étudiants n'allait sortir au printemps. »

Cristina, infirmière de 29 ans, venue en France acquérir une expérience après plusieurs contrats en hôpital public, en maison de retraite et dans une clinique privée, et Javier, un kinésithérapeute, ont ouvert la voie quelques semaines auparavant. « Parce que le début du contrat correspondait à la date de départ désirée », explique Cristina. Eux viennent de Madrid. Comme Cesar, 24 ans, trois mois en clinique privée, puis deux mois au chômage avant d'opter pour la France. Ils sont ainsi douze à débarquer à Alençon, après avoir suivi une formation intensive pendant un mois à Dourdan. L'initiative tient du défi. Tous sont en début de carrière, aucun ne parle français...

Intégration difficile

À Dourdan, il leur faut apprendre en quatre semaines les rudiments de la langue et les quelques notions techniques liées aux pratiques professionnelles. Et puis, c'est le grand saut ! Le premier mois, la résidence de l'Ifsi Croix-Rouge accueille tout ce petit monde réparti en deux groupes d'amis. « Comme on a bon caractère, on s'amusait », se souvient José, qui a rejoint l'équipe des urgences, avant d'ajouter : « Mais il pleuvait beaucoup. Et l'été 2003, même pour nous, la chaleur était difficile à supporter, surtout à cause de l'humidité. » Cesar, affecté en cardiologie, trouve le français un peu ardu.

Près de deux ans après leur arrivée, la barrière de la langue reste pour tous le problème numéro un. « C'est le plus dur, confirme Cristina, en neurologie. Il nous manque les subtilités. Par exemple, pour faire des plaisanteries spontanément. » Et les difficultés de compréhension n'aident pas à l'intégration dans les services. Des collègues font part de leur réserve. « Pour certains, les Espagnols viennent prendre du travail, explique Dominique Peyrot. Et ils s'interrogent sur leur niveau de compétences. » Marie-Christine Parein, infirmière dans le service de chirurgie où a été affectée Inma, se souvient du contexte de l'arrivée de sa jeune consoeur. « Juillet est une période où nous avons beaucoup de travail. J'étais en vacances. À mon retour, en août, je l'ai trouvée un peu à l'écart. Je lui ai parlé, lui ai montré en prenant le temps. Puis elle a pris de l'assurance. » Parallèlement, ses collègues lui ont fait confiance. Patiente, Inma a fini par avoir son propre secteur.

Quant à Cesar et José, ils se confrontent comme leurs collègues français à la pénurie de personnel. « En venant ici, je pensais qu'on réglait le problème, explique Cesar. Mais pour cela, il aurait fallu être beaucoup plus ! » Même analyse chez José : « S'il manque une personne, c'est gênant, quelle que soit sa nationalité ! » Autre « problème », la vie à Alençon est un peu trop... paisible au goût des Espagnols. « C'est calme, trop calme !, estime Cristina. Trois fois par an, je retourne à Madrid. Et les amis espagnols et la famille sont souvent ici. Sinon, ce ne serait pas supportable. »

Situation temporaire

Tous font d'ailleurs de même en regroupant leurs congés. Mais, en France, la gym (pour les filles) et le foot (pour les gars) ne suffisent pas à assouvir leur besoin d'animations. « Il existe deux ou trois cafés sympas à Alençon, mais ils ne passent pas notre musique et, surtout, ils ferment à 1 heure ! », regrette Cesar. Depuis deux ans, les week-ends ont bien été occupés par les escapades touristiques. Inma et José ont parcouru tout le littoral, d'Étretat à Brest... Et puis, au top des destinations : Paris et le Mont-Saint- Michel. « À chaque fois qu'on a la visite d'amis, ils viennent pour visiter Paris, pas pour découvrir Alençon ! », explique José. Alors, quid de leur vie en France ? Dominique Peyrot, le cadre infirmier, ne se fait pas d'illusions, et ce malgré leurs CDI : « Tous prévoient de repartir. » C'est d'ailleurs ce qu'ont décidé l'été dernier cinq infirmières qui étaient du voyage... Officiellement pour raisons familiales. Mais l'affectation de deux d'entre elles en réanimation, un service particulièrement difficile, n'a peut-être pas été des plus pertinentes. Elles n'ont pas été remplacées. Pas parce que l'opération avait déçu, selon Dominique Peyrot, mais en raison d'un nouveau flux de candidatures...

Si tous ne cachent pas leur désir de repartir un jour, leur priorité n'est pas forcément la même. Cesar estime que, comme il est trop dur de s'intégrer et qu'il est maintenant très bien avec l'équipe, il quittera Alençon seulement pour retourner en Espagne. Cristina, quant à elle, entend bien mettre à profit son expérience française pour réussir le concours de la fonction publique espagnole. Enfin, Inma et José ne semblent pas pressés de rentrer en Andalousie. Mais comme Alençon, « c'est un peu difficile », leur route passera peut-être par une ville située plus au sud.

1- Un dispositif de recrutement d'infirmiers espagnols a fonctionné entre février 2002 et décembre 2004 pour pallier la pénurie de soignants. « 643 infirmiers (plus 200 kinés et 5 manipulateurs radio) ont été effectivement embauchés par ce biais, confirme Olga Saez, infirmière espagnole arrivée en France il y a 15 ans et chargée de coordonner ce travail. Un peu plus de la moitié l'ont été par des établissements publics, 176 par le privé, 58 par le privé à but non lucratif et 37 par des centres de lutte contre le cancer. La moitié a rejoint l'Île-de-France, 9 % le Rhône-Alpes, 7 % la Provence-Alpes-Côte d'Azur, 6 % l'Alsace, 4 % le Midi-Pyrénées et la Picardie, 5 % la Bourgogne, puis le Centre, l'Auvergne... La Bretagne et les Pays-de-la-Loire ont été les deux seules régions à ne faire appel à aucun infirmier. Le taux de départ définitif est estimé à 8 %. On note un turn-over important, comme chez les jeunes infirmières françaises. »

2- Fédération hospitalière de France, Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif, Fédération de l'hospitalisation privée et Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer.

VRAI/FAUX

- Les infirmières espagnoles ont des avantages que n'ont pas leurs collègues françaises.

FAUX. Le dispositif prévu prévoyait bien que les infirmières espagnoles « disposent des mêmes droits et obligations que leurs collègues français[es], en termes de recrutement, de rémunération, d'évolution de carrière [...] d'avantages locaux divers ». À Alençon, contrairement à ce que certains pensent, il n'y a pas de prime d'installation. Pas non plus de vacances supplémentaires pour leur permettre de retourner dans leur pays. Seulement, les infirmiers espagnols les cumulent pour pouvoir faire le voyage tous les trois ou quatre mois. Excepté durant le mois en formation à Dourdan, le logement ne leur est pas offert.

- Les Espagnoles deviennent fonctionnaires lorsqu'elles viennent en France.

FAUX. Le dispositif, tel qu'il avait été conçu par le ministère de la Santé et avalisé par les différentes fédérations, prévoyait que le recrutement devait se faire sous la forme d'un contrat à durée indéterminée ou d'une stagiarisation sur un poste vacant. Dans les faits, il s'est plutôt effectué en CDI, comme à Alençon. Près de six recrutements sur dix ont concerné le secteur public. Dans les cliniques privées, le contrat a souvent été conclu avec une durée d'engagement (obligation de service) d'un an et demi.

- Leur niveau de compétences est inférieur à celui des professionnelles françaises.

FAUX. Selon Olga Saez, coordonnatrice du dispositif, « c'est le seul diplôme vraiment équivalent au DE français ».