Cris(es) d'adolescence - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

Une équipe de soins pour ados

24 heures avec

À l'Institut Marcel-Rivière, les infirmières, au coeur d'une équipe multidisciplinaire, accueillent des adolescents sujets à des désordres psychiques très variés...

Au sein d'un parc de sept hectares (La Verrière, 78) recouvert d'un épais manteau neigeux et dans un silence ouaté, nous suivons les indications : « Pavillon C2. » Juste après l'entrée constituée d'un sas de sécurité - nous sommes dans une unité fermée - deux adolescents aux bras scarifiés jouent paisiblement au baby-foot sur un morceau endiablé d'Eminem, hurlant sa haine à la société. Nous sommes accueillis par Géraldine Bernal, cadre infirmier de cette unité psychiatrique (quinze lits pour adolescents) et d'une consultation d'orientation et de suivi. Cette structure ouverte depuis 1999 s'inscrit dans un réseau de soins pour adolescents du Sud-Yvelines, et cible principalement les adolescents de 14 à 18-19 ans.

Réseau

Le fonctionnement en réseau va de la consultation de pré-admission à l'hospitalisation, suivie d'une prise en charge par l'équipe soignante de secteur. Ce processus permet une véritable continuité des soins. Parmi les pathologies traitées, on rencontre des problèmes dépressifs accompagnés d'idées suicidaires, des débuts de schizophrénie, des comportements anorexiques, addictifs, violents, souvent dus à des maltraitances (incestes, viols, abandon). L'hospitalisation répond en général à une demande de prise en charge formulée par l'adolescent et la famille, lors d'une consultation de pré-admission.

La durée de l'hospitalisation - d'une semaine à un an (mais d'une moyenne d'environ quatre semaines) - instaure une certaine distanciation vis-à-vis des parents, et la mise en place d'une psychothérapie institutionnelle. Les parents ne sont pas pour autant exclus. Ils viennent de temps en temps voir leur enfant, ont des entretiens avec l'équipe soignante, et peuvent aussi faire partie du « groupe parent ». Ce groupe, qui se réunit une fois par semaine, comprend un psychologue, une infirmière, et les parents des adolescents qui souhaitent s'y rendre. Le principe de l'hospitalisation implique un contrat où les trois parties - l'adolescent, la famille, l'équipe soignante - se mettent d'accord sur un certain nombre de points, d'objectifs à remplir.

Lorsque l'adolescent fait des progrès, en accord avec le contrat établi à son arrivée, il peut sortir du pavillon s'il en a la permission, pour téléphoner ou se rendre au restaurant de l'hôpital, accompagné d'une infirmière. Il peut même rentrer voir sa famille le temps d'un week-end. Le Dr Rechtman décide des sorties lors de la visite médicale hebdomadaire. Il nous explique l'intérêt de l'unité fermée : hormis la sécurité ainsi garantie à une population mineure, parfois hospitalisée d'office, cela permet de la contenir dans une unité de lieu dotée d'un cadre, de règles, de limites. Un lieu fermé oblige aussi l'adolescent à devenir acteur de son hospitalisation, étape incontournable dans sa reconstruction.

« Voix amies »

Les adolescents se lèvent vers 8 h 30. La matinée débute par une réunion de transmission. Trois infirmières, une psychologue, une interne, la cadre de santé et le Dr Rechtman (chef de service) se rassemblent dans une petite pièce dédiée aux entretiens infirmiers. Le cas de chaque patient est discuté. Ceux qui posent problème ont été « recadrés » par l'équipe infirmière : l'information est ensuite relayée d'une équipe à l'autre, afin que la prise en charge reste harmonieuse et cohérente.

Après ce temps consacré à la transmission d'informations, la visite hebdomadaire du Dr Rechtman commence. Il voit chaque patient dans sa chambre, en présence d'une infirmière et de l'interne. Marie, jeune adolescente anorexique d'une quinzaine d'années, va beaucoup mieux et prépare sa sortie prochaine. Le médecin lui a donné son accord et lui conseille de bien surveiller son poids. Marie, souriante, lui répond : « Oui, je vais le faire, et je ne me laisserai plus tomber à 34 kg. Je sais que je suis passée à deux doigts de la mort. »

Fabien va mieux. À son arrivée, il entendait des voix hostiles. « Aujourd'hui, les voix me commandent toujours, mais elles sont amies. » Le docteur l'interroge sur l'éventualité d'un retour desdites voix :

«- Si elles reviennent, je serai hostile moi aussi.

- D'où viennent ces voix ?

- Elles viennent de moi et des autres. »

« Créativité »

Selon Azyadé Ramat, infirmière, le travail en réseau s'avère très riche pour elle et ses collègues. « Nous gérons nous-mêmes les admissions, participons aux entretiens de pré-admission et médicaux, nous menons aussi des entretiens infirmiers. Nous avons un travail très diversifié. » L'équipe infirmière de cette unité, constituée de seize soignants, a la spécificité de faire tourner les infirmières de jour la nuit. Ainsi, une véritable continuité du suivi et de la relation se crée entre infirmières et adolescents. Les infirmières, médiateurs thérapeutiques, sont présentes du lever jusqu'au coucher des ados, y compris la nuit. Leur rôle est multiple : accueil, écoute, évaluation, recueil d'informations sur les réactions des jeunes.

Elles sont un lien qui permet aux adolescents de reprendre leurs repères dans un univers pourtant éloigné du leur. C'est aussi cette relation de confiance qui leur permet d'adhérer au contrat thérapeutique, et de se reconstruire. Les infirmières sont aussi là pour montrer les limites du cadre, sans rentrer dans une relation autoritaire parent-enfant. Elles encadrent les différentes activités, et doivent faire preuve d'une créativité à la hauteur de celle des adolescents pour mobiliser leur attention par des activités de groupe qui permettent ensuite de travailler sur les dynamiques collectives.

Étape difficile

Il est midi. L'heure du repas approchant, une infirmière prépare le traitement de chaque jeune patient. Les repas thérapeutiques sont pris dans l'unité, et sont encadrés par deux infirmières. Certains peuvent se rendre au restaurant de l'hôpital, en présence d'une infirmière. Ce petit pas est vécu difficilement par les jeunes anorexiques. 14 heures, un ado vient avec son père pour un entretien de pré-admission, en présence d'une infirmière et de l'interne. Victor est muré dans son silence pendant l'entretien. Son père parti, il va jouer au baby-foot, tout seul. Il connaît les lieux car il y est déjà venu. Il se sent protégé dans l'unité. Son père attend une réévaluation de l'état de Victor, car il a l'impression que son fils devient dépressif, en plus de ses épisodes bipolaires.Il est 15 heures, heure des transmissions. Deux infirmiers commencent leur journée.

Heavy metal

La psychologue et l'interne sont là. Pendant ce temps, les jeunes ont commencé une partie de cartes. La musique n'a pas cessé depuis 9 heures du matin. Les ados choisissent les CD et décident du volume... C'est un morceau de heavy metal, guitares saturées, voix déchirées et poussées à l'extrême. Une jeune fille anorexique reste seule, à l'écart. Elle pleure crescendo.

L'atelier journal, qui a normalement lieu le mardi avec un professeur des écoles et une infirmière, est annulé pendant les vacances scolaires. C'est l'une des activités les plus prisées avec l'atelier peinture, annulé pour les mêmes raisons.

Victor s'en fout

Pour combler ce manque, l'équipe infirmière organise une sortie à la bibliothèque. Il s'agit de préparer un défilé la semaine suivante, donc de trouver des idées de costumes. L'idée de confectionner des habits originaux à partir de vêtements chinés chez Emmaüs par deux infirmières mobilise tous les jeunes. Sauf Victor, qui s'en fout et enfonce sa tête dans ses bras croisés. De retour à l'unité, un nouveau groupe se constitue pour se rendre à l'atelier modelage. La multiplicité des intervenants auprès des adolescents (psychologues, kinésithérapeute, ergothérapeute, professeur de danse, de peinture, d'art, de modelage, etc.) fait partie du dispositif global de prise en charge des adolescents, et permet une latéralisation des transferts. Cette multiplicité des soignants permet des relais multiples, et prévient du risque d'investissement, de dépendance de l'ado à l'égard d'un soignant. En partant, les jeunes nous saluent de loin. Leurs paroles sont couvertes par la musique. Dehors, nous replongeons dans le silence. Nos pas crissent dans la neige.