Duo contre la muco - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

Line Agrario et Christian Dupont

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Rencontre avec

Depuis 2001, les centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose accueillent les personnes atteintes de cette maladie génétique. Rencontre avec le duo infirmier qui coordonne le CRCM de l'hôpital Cochin à Paris.

« Le poste requérait une infirmière "experte" en mucoviscidose adulte, se souvient Line Agrario, lorsqu'elle évoque son arrivée au service de pneumologie de l'hôpital Cochin il y a sept ans. Même si je ne me suis pas tout à fait reconnue dans cette définition - la muco, on en avait à peine parlé à l'Ifsi - je me suis lancée, avec la confiance du cadre du service. » Le poste de coordinatrice auquel elle accède alors était une création dans l'établissement. Pour se former, Line commence par suivre chaque consultation aux côtés du médecin, afin de sa familiariser avec la pathologie. Une habitude qui perdure d'ailleurs aujourd'hui, en fonction des besoins et de la volonté du patient.

« Les consultations ici sont longues, et il n'est pas rare que nous intervenions à plusieurs autour du patient (diététicienne, kinésithérapeute, psychologue, ainsi que le médecin et l'infirmière) pendant quelques minutes », note la jeune femme au regard apaisant. Pour poursuivre le développement de sa nouvelle activité, l'infirmière suit aussi des stages auprès de coordinatrices déjà en poste.

Rencontrer les libérales

En plus de sa participation aux consultations et à la tenue des dossiers, une grande part de l'activité de coordinatrice consiste à mettre en place les cures d'antibiothérapie à domicile, qui permettent de lutter contre l'infection respiratoire chronique. Le service compte alors 70 patients. Les deux tiers doivent suivre ces traitements périodiquement. Pour l'infirmière, il s'agit de contacter les prestataires de service qui louent le matériel médical (aérosols, oxygène, sondes, etc.), les pharmacies de ville et d'hôpital qui fournissent les médicaments, les laboratoires qui analysent les prélèvements et surtout des infirmières libérales pour administrer le traitement. « J'ai d'abord eu du mal à en trouver car elles avaient une appréhension vis-à-vis de la technicité des soins et du matériel, observe Line. En outre, une cure demande une grande disponibilité de la part des professionnels qui doivent prendre en charge trois passages par jour, d'au moins une heure, pendant trois semaines. » Raison pour laquelle Line décide de pousser un peu les portes de l'hôpital et de se déplacer à la rencontre des infirmières pour leur présenter le matériel, revenir sur certains gestes. La visite au domicile lui permet aussi de présenter la professionnelle libérale au patient : « Cela crée le lien, explique Line. Le patient est rassuré, il y a une cohérence dans sa prise en charge. »

Épuisement

Au fil du temps, la charge de travail pour l'infirmière coordinatrice s'est progressivement accrue. Il faut dire que, même si la maladie reste fatale à plus ou moins long terme, les progrès dans les traitements et les greffes pulmonaires ont considérablement augmenté l'espérance de vie des patients. En 2001, l'unité, devenue centre de ressources et de compétences de la mucoviscidose, accueillait déjà 180 patients.

Line, submergée de travail, demande à être secondée par un infirmier coordinateur, Christian Dupont, qui vient à son tour enrichir l'équipe. Et, accessoirement, partager le petit bureau de Line. Comme elle, il conserve une activité en hospitalisation. Christian est en salle un jour par semaine, sa collègue, un week-end par mois. « Cela facilite le dialogue avec les personnels quand une hospitalisation est prévue, précise l'infirmière coordinatrice. Si des difficultés se présentent (car il n'est pas toujours facile de prendre en charge un malade chronique, lassé des traitements et très au fait de sa maladie), on peut comprendre à la fois les exigences du patient, mais aussi l'épuisement du soignant. » Leur visibilité dans le service permet également d'assurer une forme de coordination intra-hospitalière. Car au vu des nombreuses atteintes liées à la mucoviscidose, outre la pneumologie, l'infirmier coordinateur est amené à entrer en relation avec la gastro-entérologie, la gynécologie obstétrique, l'urologie, l'endocrinologie, le centre antidouleur... « Qui plus est, il est important que nous soyons connus, car nos interlocuteurs se demandent souvent comment nous positionner dans la hiérarchie », note Line.

Pas de partage des dossiers

Au lieu de se partager les dossiers, les deux coordinateurs ont choisi de travailler réellement de concert. « Nous connaissons les situations de tous les patients, qui peuvent indifféremment être en relation avec l'un ou l'autre, explique Christian. C'est important si l'un de nous est absent. » Cette façon de travailler leur permet également de ne pas s'isoler. Car Christian et Line, sans dramatiser, pensent que travailler auprès de personnes atteintes d'une maladie chronique sévère comme la mucoviscidose est parfois très lourd à porter : « Malgré nous, on est happés par les patients, note Line. On connaît leur intimité, on va au domicile, on les embrasse quand ils arrivent. » Sans oublier les invitations à dîner en famille... « Mais là je refuse, sinon, je ne serais plus leur soignante. » Les décès ne sont pas rares et peuvent aussi laisser des traces. D'autant que l'équipe peut être appelée à accompagner une fin de vie. « Travailler ensemble nous aide beaucoup car quand l'un est trop impliqué, souligne Christian avec un sourire complice, les autres sont là pour l'aider à prendre du recul. »

L'expérience a permis aux deux infirmiers de développer un positionnement particulier par rapport au patient : familier mais pas trop proche, professionnel mais humain. « Il faut souvent trouver un consensus entre hygiène et confort », précise Christian. Les personnes atteintes de mucoviscidose sont en effet particulièrement exposées à l'infection. Pourtant, parvenues à l'âge adulte, elles aspirent légitimement à une bonne qualité de vie. Il faut donc leur éviter au maximum l'hospitalisation (d'où l'intérêt de la cure à domicile). Mais aussi savoir ménager des sorties au cours d'une hospitalisation longue.« Le traitement, ici, ce n'est plus une prescription, c'est une négociation, résume l'infirmier coordinateur. Et nous devons toujours être dans l'argumentation. » C'est notamment le cas avec les adolescents, lassés des soins et d'une vie surprotégée.

Line Agrario et Christian Dupont s'épanouissent dans leur travail. Ils ont d'ailleurs pour projet d'élaborer une véritable formation pour les infirmières libérales, reconnue par l'assurance maladie. « Ce pourrait être un moyen de valoriser leur travail », explique Line. Leur entente et la confiance qu'ils savent instaurer au jour le jour dans leur pratique les aideront probablement.

en savoir plus

Il existe 47 centres de ressources et de compétences mucoviscidose en France, dont certains sont réservés aux enfants, d'autres aux adultes. En 2003, le centre de référence pour adultes de Cochin suivait 260 patients. Il a organisé 300 cures à domicile. La mucoviscidose reste une maladie génétique rare, qui touche 5 000 patients en France.