« La folie est un exercice spirituel » - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

Livre

Questions à

Serge Tribolet est psychiatre à l'établissement public de santé Maison-Blanche. Dans son dernier livre, «La Folie, un bienfait pour l'humanité» (Éditions de Santé), il propose une relecture de la psychiatrie actuelle au travers d'une notion délaissée depuis longtemps : la folie.

Qu'est-ce qui différencie la psychiatrie, la santé mentale et la psychologie ?

Si ces trois domaines sont liés, ils sont différents. La psychiatrie relève d'une double orientation cognitivobiologiste. Elle désigne une discipline médicale qui réduit la folie et la souffrance à des pathologies médicales. La volonté d'ouverture de la psychiatrie à la santé publique a donné naissance à la « santé mentale », expression aujourd'hui à la mode. Dans les deux cas, on reste dans le médical, le scientifique et on continue à ne pas parler de la folie ! L'ouverture de la psychiatrie a aussi répondu à la naissance d'autres disciplines : la psychiatrie ne concernant que les psychiatres, il fallait une discipline plus large englobant les psychologues, les sociologues et autres professionnels qui s'intéressent aussi aux maladies mentales.

La différence entre la psychiatrie et la psychologie est essentielle. La psychologie, et c'est ce qui me dérange, reste du côté du signifié en recherchant les causes de la maladie, et ferme ainsi les portes du savoir de l'inconscient.

La psychologie est du côté des yeux, la psychiatrie est du côté de l'oreille. Le délire des patients psychotiques doit être entendu. Certains patients meurent aujourd'hui de ne pas avoir été entendus, ils ont pourtant été soignés...

Que représente la folie pour vous ?

La folie n'est pas une maladie au sens strict du terme. Elle est distincte de la maladie mentale mais se manifeste souvent en elle. Socrate distinguait ainsi deux types de folie : « L'une, qui est due à des maladies humaines ; l'autre, à une impulsion divine qui nous fait rompre avec les règles habituelles » (Platon, Phèdre, 265a.) La folie est l'expérience de l'extériorité, une propension à sortir du cadre restreint de nos perceptions, une tentative d'accéder à un au-delà de la pensée. Plus qu'une expérience, la folie est un exercice spirituel, une parole pleine et une capacité à dire le vrai.

Dans quelle mesure la philosophie vient-elle nourrir votre vision de la folie ?

Les origines de la psychiatrie sont avant tout philosophiques. Mes patients sont très souvent passionnés de mathématiques, de philosophie, ou de théologie. Les philosophes grecs en disent beaucoup plus sur la folie que la psychiatrie actuelle. Les questions posées par la folie sont des questions d'ordre métaphysique, théologique.

Dans votre livre, vous dites que « l'athéisme dans le corps de la psychiatrie est une imposture intellectuelle ». Une part importante de vos écrits relève de la théologie, pourquoi ?

Le délire est mystique, c'est un cheminement vers Dieu, vers la transcendance. Rien n'est jamais petit dans le délire. Tout délire est une révélation de l'existence des choses, un cheminement. L'humanité de la folie réside justement dans ce dépassement de soi. Si la religion chrétienne est plus souvent présente dans le délire, c'est parce qu'elle est la seule religion incarnée. Le fou se voit, s'entend dans ses délires, comme l'élu de Dieu, le missionné, le prophète, son fils Jésus, puis Dieu lui-même. L'étape ultime est la femme.

En effet, le schizophrène sait que Dieu n'est pas le père mais la matrice, la mère, et finalement la femme. Celle-ci est l'essence de tous et de toute chose, elle précède l'existence et la dépasse, elle est éternelle. Foi et folie ont en commun l'humanité en l'homme.

Le délire est-il une autre forme de langage ?

Le délire est à la fois une autre forme de langage et un au-delà du langage. Un patient psychotique exprime la réalité qu'il expérimente par son délire qui va au-delà de la réalité commune.

Grand paradoxe : il ne peut exprimer cette réalité qui se situe au-delà du langage autrement qu'avec le langage. Le psychotique est un être de langage pur. Le schizophrène est dans le langage, mais hors discours. Il est dans l'extra-patrie, dans l'extra-terrestre, car la logique de la psychose est beaucoup plus vaste que la nôtre. Elle est imparable.

Serge Tribolet Psychiatre des hôpitaux, responsable de l'unité d'hospitalisation du VIe arr. (Paris).

- DEA de psychanalyse (Paris VIII).

- Doctorant en philosophie (Sorbonne, Paris IV).

- Poursuit un travail de recherche dans le domaine de la psychose et des perceptions extrasensorielles.

- Enseignant dans les Ifsi (Salpêtrière, Necker, Tenon), intervient régulièrement dans la formation continue auprès des infirmières.

- Auteur de : Anthologie du rire ; Lexique de santé mentale ; Vocabulaire de psychiatrie et de psychologie (à paraître), Éditions de Santé.

Guide pratique de psychiatrie ; Droit et psychiatrie ; Nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques ; Soins infirmiers en psychiatrie, Éditions Heures de France.