Le syndrome confusionnel en phase palliative - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

neuropsychiatrie

Conduites à tenir

Fréquemment rencontré en phase avancée de la maladie, le syndrome confusionnel s'avère déstabilisant pour le patient, son entourage et les soignants. Calme et patience sont les maîtres mots pour accompagner au mieux les malades.

INTÉGRER L'HISTOIRE DU PATIENT

Il est important de chercher à connaître l'histoire du patient afin de mieux réagir à son discours ou à son comportement.

Exemple : dans le cas clinique ci-dessous, la prise en charge de la patiente et de son entourage familial a été facilitée par la connaissance que l'on avait du vécu familial. La patiente, en phase avancée de maladie cancéreuse, dit à son mari : « Papa, papa, viens me chercher ! » Et son époux de rétorquer : « Mais, ma chérie, je ne suis pas papa, je suis ton mari. » En aparté, il explique à l'équipe soignante que le père de son épouse est décédé ; elle l'invoque parce qu'elle veut certainement le rejoindre. Il mentionne également la tentative d'autolyse de son épouse quelques mois plus tôt. Enfin, il insiste sur les relations tumultueuses qu'elle entretenait avec sa mère, alors que la relation paternelle était très paisible. L'infirmière s'approche de la patiente assise sur un fauteuil, lui prend la main et la lui caresse. Puis elle lui demande si elle aimerait que son père soit présent en ce moment. La patiente acquiesce. L'infirmière lui déclare : « Vous aimeriez que votre papa vous prenne dans ses bras et vous protège. » La patiente répond : « Oui. » L'infirmière la prend alors dans ses bras. La patiente se calme. L'infirmière la remet au lit.

AMÉLIORER LA COMMUNICATION

Attentif au sentiment d'insécurité. Le syndrome confusionnel altère les patients dans leurs capacités intellectuelles, leur personnalité, leur identité. Ce sentiment de perte d'identité est souvent intolérable. Le patient confus est en insécurité. L'angoisse se manifeste souvent sur le mode de la persécution. Il se sent menacé, agressé.

Exemple (de ce qu'il ne faut pas faire) : le patient, M. L., a été confus une partie de la nuit. Il déambulait, pénétrait dans les chambres des autres patients et était agité. Il a reçu dans la nuit une injection d'Equanil®. Le lendemain matin, M. L. est calme. L'infirmière lui dit : « Alors, monsieur L., on est allé voir les voisines cette nuit. » M. L. s'énerve : « J'ai été poursuivi cette nuit par deux hommes à la braderie et j'ai reçu un coup de couteau dans la fesse. » M. L. montre le point d'injection d'Equanil®.

Observer, écouter. La personne confuse n'a pas le même mode de fonctionnement que nous. Il faut essayer de déceler ce qui la perturbe. Dans ce travail, l'écoute et l'observation sont prépondérantes.

Conduite à tenir :

- prendre le temps, se poser, se calmer, pour diminuer les tensions intérieures (surcharge de travail, tension émotionnelle) ;

- sentir le contexte, les sentiments rattachés à ce qui est exprimé d'un point de vue verbal et non verbal. Ces attitudes de réceptivité, de partage, signifient que le soignant se met à l'écoute. Cela suppose une disponibilité, une volonté de se centrer sur la personne ;

- reformuler les propos du patient.

Exemple : M. R. refuse de prendre son traitement et ne veut pas manger. L'aide-soignante rapporte ses propos au médecin. Le patient dit : « Je fais un infarctus. Il y a deux spécialistes venus pour me soigner et le médecin du service les a flanqués dehors par la fenêtre. » L'infirmière va voir le patient, se présente et lui demande ce qui ne va pas. Elle tente de lui faire comprendre son impossibilité de faire revenir les spécialistes. Elle lui déclare : « J'entends bien que ce n'est pas facile de vivre avec cette maladie qui ne peut pas être guérie. » Le patient se calme un peu et dit : « On ne m'explique rien. Je ne sais pas pourquoi je dois prendre ce traitement. » On lui explique à quoi servent les comprimés. Le patient les avale sans problème.

Un langage simple et clair. Il importe de manifester sa présence ; frapper à la porte ; se nommer et utiliser le nom de la personne ; employer un vocabulaire simple ; livrer un seul message à la fois à l'aide de phrases courtes, facilement compréhensibles ; parler calmement, en articulant, face à la personne. Le ton de la voix doit être chaleureux, bienveillant, sans irritabilité. Le dialogue se tient à deux personnes. Les déficits visuels et/ou auditifs doivent être corrigés. Pour les non-voyants, signaler ses gestes et placer les effets personnels au même endroit. Enfin, le patient doit être considéré comme un interlocuteur valable, même si ses désirs sont irréalistes.

Exemple : Mme T. nous répète sans cesse son désir de retourner à la maison. On lui fait comprendre que son état ne permet pas ce retour. Elle répond : « À la maison, je serais mieux, moins malade. » Ce souhait, de l'ordre du désir, doté peut-être d'une dimension symbolique (symbole de la maison, du corps, du moi identitaire), est difficile à entendre par la famille. Après plusieurs entretiens entre ses proches et l'équipe, une permission est envisagée. Mais Mme T. n'est pas sortie. Elle est décédée quelque temps après. Néanmoins, son désir a été entendu.

À éviter : répondre à l'agressivité par de l'agressivité, qui ne fait que renforcer le comportement agressif. De même, on évite d'augmenter la confusion par une attitude intrusive, une atmosphère bruyante ou en attachant le patient. La contention ne calme pas l'agitation ; elle augmente l'angoisse et le sentiment d'être privé de liberté. Si l'utilisation de contentions chimiques ou physiques n'est pas systématiquement à proscrire, elle doit être réfléchie, transitoire, et si possible expliquée au patient.

Utiliser la communication non verbale. En maintenant un contact corporel, une pression des mains ; en proposant un massage des mains, du dos, des pieds ; en prenant en compte nos mimiques, nos expressions du visage. Le regard a une réelle incidence sur la relation. Il renvoie à une double réalité extérieure et intérieure. C'est un miroir pour l'autre, mais aussi pour soi-même.

Expliquer les gestes de soins. Il est toujours important d'informer le patient des actions et des gestes que l'on va effectuer, même si les capacités et les échanges verbaux semblent altérés. Il faut notamment lui expliquer ce que l'on fait et pourquoi, l'avertir quand on lui fait un examen (par exemple une prise de sang ou la toilette). Les soins corporels doivent être accompagnés de paroles, de gestes doux. Le repas peut être un moment privilégié pour améliorer un état de tension.

REPÈRES PRATIQUES

Accompagner le patient dans sa déambulation. Si le patient erre dans un couloir, c'est que, bien souvent, il ne s'approprie pas les lieux. Cela témoigne de sa perte des repères et de son sentiment d'insécurité. L'infirmière, l'aide-soignante, tout autre soignant ou membre de son entourage peuvent être là pour lui offrir un soutien, avec le bras, le sécuriser et le familiariser avec les lieux.

Exemple : M. D. sort de sa chambre pour aller aux toilettes. Il pense être à son domicile. Il a été récemment changé de chambre. On le ramène à son cabinet de toilette et on lui explique la géographie des lieux.

Accompagner le patient désorienté dans le temps et l'espace. On propose des repères dans l'espace, par exemple une peluche ou un dessin que l'on accroche à la porte et qui sert ainsi de repère visuel. On peut faire apporter un réveil, des photos, des objets personnels. Il est utile de noter la date sur le tableau mural. On précise le jour (lundi, mardi...), ainsi que le moment de la journée (matin, midi...) et l'heure. De plus, il ne faut pas maintenir le patient dans l'obscurité, ce qui accentue la confusion (par exemple, on ouvre les stores) ; éviter cependant la lumière trop vive, mais laisser une veilleuse le soir. Enfin, passer une musique relaxante et proposer des activités occupationnelles.

Accompagner le patient délirant. Lorsque le patient délire, l'accompagnement est particulièrement complexe. Soit le soignant adhère au délire, et il isole encore plus le patient en le renforçant dans sa perception déformée du réel, soit il critique systématiquement le délire. Souvent, le patient n'adhère pas à ce retour au réel. Cette attitude est dans bien des cas source de conflit. L'une des manières de sortir de cette dichotomie « peut être de lui montrer que nous entendons ce qu'il tente de nous dire sans adhérer à sa confusion. Nous pourrions donc, pour l'aider, reprendre ce qu'il vient de nous dire, tout en marquant la distance que nous prenons par rapport à ce qu'il confond par un changement de mode de conjugaison(1). »

Exemple : une patiente confuse confond sa fille avec un soignant qui pénètre dans sa chambre. Le soignant lui dit alors : « Je vois que cela vous réjouirait beaucoup de voir votre fille. »

Autre exemple : un ancien maître d'hôtel sur un paquebot. Il déclare : « Je veux me lever de ce lit car je dois aller au Havre pour reprendre mon bateau. » Le soignant demande : « Qu'auriez-vous voulu faire sur votre bateau ? » Et le patient de répondre : « Ici, on ne m'obéit pas », alors qu'au travail « au moins, on m'obéissait(2) ».

TRAVAIL EN ÉQUIPE

Équipe pluridisciplinaire. Dispenser des soins palliatifs, c'est choisir de travailler en équipe, c'est-à-dire être tout à fait convaincu que l'action individuelle n'est efficace qu'au coeur de l'action collective. Le travail en équipe comprend une démarche étiologique à la recherche d'éléments qui peuvent induire ou favoriser un syndrome confusionnel (surveillance des constantes ; évaluation de la douleur ; recherche d'une constipation, d'une rétention urinaire ; mise en évidence d'une anxiété, ou de troubles du sommeil).

Une démarche d'évaluation du syndrome confusionnel est requise. Chaque membre de l'équipe soignante doit se sentir impliqué dans l'évaluation des troubles cognitifs ou du comportement, de leur évolution dans la journée, de leur modification sous traitement. Il est important que l'information circule du médecin au soignant, et entre les soignants eux-mêmes.

Enfin, le travail en équipe permet une démarche de compréhension, voire d'interprétation, mais avec prudence, sans jamais oublier qu'elle n'est qu'une hypothèse. Ce travail pluridisciplinaire contribue à diminuer l'angoisse ressentie par le soignant, ainsi que l'épuisement et la solitude face à un patient avec lequel toute communication semble impossible. La cohésion de l'équipe est bien souvent mise à mal par la souffrance du patient et de son entourage. Un patient agressif avec un soignant peut ne pas l'être avec d'autres. Cela risque de générer des conflits. Il est nécessaire d'ouvrir la discussion, de reprendre précisément la description des faits en acceptant la fluctuation du patient, de relire dans le temps les conduites du patient et ses interactions avec l'entourage. Il s'agit d'effectuer un travail de rationalisation. C'est un partage de pratiques, de ressentis, d'interprétations, la recherche d'une collégialité dans la diversité des personnalités et des compétences.

Outils.

Réunion de transmission. Elle permet de regrouper les informations jusque-là dispersées et de mieux cerner le vécu du patient. Les soignants peuvent harmoniser les interventions individuelles et collectives pour obtenir une cohérence du soin. Toutefois, il faut éviter de rigidifier les positions. Le confus est fluctuant. Les discours doivent être réactualisés et les orientations redéfinies. Compte tenu de la fréquente majoration des troubles pendant la nuit, une grande attention doit être portée aux transmissions entre les équipes de jour et de nuit.

Groupe de parole. Pour mieux appréhender le patient, tenter d'analyser notre propre subjectivité, nos projections, nos « délires », nos limites, est utile. Il est souhaitable de chercher à mieux nous connaître, à identifier nos perceptions et nos valeurs personnelles, à amorcer une réflexion sur notre propre histoire et notre personnalité, à nous accepter tels que nous sommes avec nos forces et nos faiblesses. Cela peut être favorisé par un espace de parole et de réflexion pour une possible progression personnelle et professionnelle.

Réunion de service, gestion des conflits. La remise en question perpétuelle en soins palliatifs concerne autant les interventions individuelles que collectives. Une mise à plat en équipe des problèmes posés peut être aidante si elle est respectueuse et constructive.

1- « Les troubles neuropsychiatriques », in Manuel de soins palliatifs, E. Hardy, M. Renault, ouvrage coordonné par D. Jacquemin, Dunod, 2001.

2- Ibid.