Les familles sur le divan - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

thérapies

Dossier

En vogue dans les services hospitaliers, les thérapies familiales placent les infirmières dans une position d'écoute. Néanmoins, elles peinent à s'imposer dans le petit monde des thérapeutes familiaux.

De plus en plus de services de consultations optent pour les thérapies familiales. Elles répondent aux préoccupations actuelles : sociales, psychologiques, politiques, familiales... En outre, elles sont particulièrement indiquées et utilisées pour les pathologies liées à l'adolescence, ou aux dépendances : tentatives de suicide, troubles alimentaires graves, toxicomanie.

Parole libérée

Une démarche difficile à réaliser parce qu'elle peut lever le voile sur un secret de famille ou des non-dits : « Lors d'une crise ou d'un événement traumatique, observe Nicole Gontier, infirmière, cothérapeute familiale, toute la cellule familiale est touchée. En thérapie familiale, nous offrons la possibilité de penser autour de la situation en offrant un cadre thérapeutique où la parole peut circuler, ce qui ne serait pas possible sans la présence de tiers. Un travail psychique, qui apaise les souffrances, crée du lien, évite les hospitalisations, les rechutes, les ruptures... Je m'y sens utile et proche des raisons qui m'ont fait exercer en psychiatrie. »

Aventure collective

Il existe deux grands courants de thérapies familiales : analytique et systémique. Le premier prend en charge un groupe familial avec les outils classiques de la psychanalyse.

Très prisé à l'heure actuelle, le second s'attache à analyser les liens que la personne entretient avec les différents systèmes auxquels elle appartient. « On intervient non seulement au niveau de l'individu mais aussi sur son système d'appartenance, résume Cyrille Faivre, thérapeute familial et formateur au centre Monceau. La perspective devient alors totalement différente : un sujet peut avoir des comportements qui apparaissent insensés, alors que lorsqu'on l''appréhende dans sa globalité (ses relations familiales, sa culture, son histoire, etc.), on peut comprendre ses comportements, et les interpréter non plus seulement comme les symptômes d'une folie irrémédiable, mais comme une tentative d'adaptation à ce qu'il vit. » Cette dynamique est très différente du cadre psychanalytique : « Déplacer une famille est parfois compliqué, note Cyrille Faivre. Lors d'une première séance, si le thérapeute ne se tient qu'en retrait et silencieux, la famille ne poursuivra pas ! La co-construction famille/thérapeutes nécessite une participation active de ces derniers. » Idée centrale en thérapie familiale : le thérapeute est là pour développer les fonctions autocuratives de la famille. Il permet - lorsqu'une maladie survient dans un système familial - d'éclairer les modes de fonctionnement familiaux, d'en pointer les dysfonctionnements et ensuite de permettre à la famille de « réaménager son système » pour le rendre valide.

« On s'utilise énormément en tant qu'outil thérapeutique, souligne Maryse Fourdraine, infirmière et thérapeute familiale. En séance avec une famille, on fait partie du système et l'on est très impliqué. Une part importante de la formation consiste d'ailleurs à travailler sur sa propre histoire familiale : pour prendre du recul, comprendre pourquoi on réagit de telle ou telle façon lors des interventions... Analyser, par exemple, pourquoi je ne supporte pas l'attitude de cette mère avec sa fille et quelle fonction j'occupe pour elle en réagissant ainsi... Puisque, bien sûr, les résonances fonctionnent dans les deux sens. Cette implication du thérapeute est difficile mais passionnante. Difficile parce que l'on se responsabilise, notamment dans l'élaboration de solutions, et dans l'issue de la thérapie. C'est d'ailleurs très frustrant, lorsque les gens vont mieux, de ne plus les voir revenir et de ne plus avoir de nouvelles... »

La formation oubliée

Après avoir été formées à la thérapie familiale dans les années 80 et 90, les infirmières le sont plus difficilement aujourd'hui : « Le grand paradoxe actuel, analyse Denis Vallée, psychiatre, thérapeute familial et formateur au centre Monceau, c'est la difficulté que rencontrent les infirmières à se former, alors qu'elles sont au premier plan de l'accueil des familles. » À cela plusieurs explications : la longueur de la formation (quatre ans, composés de plusieurs « modules ») et, par conséquent, son coût en termes financiers, mais aussi en temps de travail.

Suite à la restriction drastique des crédits attribués à la formation continue, d'autres formations, plus pratiques et de courte durée, se sont développées : sensibilisation, modules de cours dans les Ifsi... Les infirmières qui s'engagent dans des cursus plus longs ont généralement un projet professionnel solide. C'est le cas dans l'unité de soins pour adolescents du docteur Marc Fillâtre, à Tours, où trois infirmières sont parties en formation, successivement... tous les quatre ans. « L'idéal serait que tout le service soit formé, il y aurait d'autres candidates mais cela leur est refusé : une seule à la fois ! remarque Marie-Christine Gillet, infirmière dans ce service. Nous avons réussi ces départs en formation, grâce à la volonté de notre médecin responsable d'unité, lui-même formé à la thérapie familiale systémique, et parce que la spécificité de notre service induit l'indispensable collaboration avec les familles... »

Bouleversée

« La formation m'a bouleversée. Au début, je me suis dit que j'allais devoir démissionner de mon poste, tant la lecture proposée différait de ce que j'avais appris et remettait en question ma pratique... Il ne s'agissait plus de patient désigné, mais d'une pathologie du lien. Puis je suis parvenue à composer, et j'estime que cette formation m'a enrichie et m'a ouvert un horizon vaste, dans tout mon travail et dans ma relation aux autres. Plus qu'une théorie, elle m'a permis de modifier ma façon de penser et d'appréhender le patient, de considérer son symptôme comme une fonction. Ce n'est plus une maladie qui lui tombe dessus, puisque l'on prend en compte un système plus large. »

Maryse Fourdraine, infirmière de secteur psychiatrique dans un hôpital public de santé mentale de l'agglomération lilloise, s'est formée à la thérapie familiale voici une quinzaine d'années, encouragée par un des médecins de son service, et dans le sillage de deux autres infirmières ayant déjà suivi le cursus. La formation déstabilise en ce sens qu'elle mobilise de nouvelles compétences : « L'écoute n'est pas individuelle, souligne Nicole Gontier. Il faut se détacher de ses habitudes et faire l'effort psychique d'être dans une écoute groupale car le "patient désigné" est parfois le porte-symptôme du dysfonctionnement familial. »

Muselées par l'Ifsi

Ingrid Gutmann, 31 ans, infirmière en CMP, entame sa troisième année de formation dont l'intitulé, « résonance », évoque les interactions entre son histoire personnelle et celle des familles dont elle s'occupe, une étape nécessaire et formatrice. En marge de son travail, elle a intégré une équipe de thérapie familiale depuis plus d'un an, où elle suit un certain nombre de familles, toujours en cothérapie. Un engagement personnel et bénévole. « Au début de ma formation, je complexais devant les internes, leur attribuant plus de bagage théorique. Je ne m'autorisais pas à prendre la parole. Finalement, en Ifsi, on nous enseigne que le savoir infirmier, c'est relayer ce qu'a dit le médecin, mais avec des mots différents. On nous apprend aussi à ne pas poser de diagnostic, même si l'on sait... De ce fait, l'infirmière ne s'autorise pas toujours à employer les termes médicaux et à adopter un langage commun aux médecins. En thérapie familiale, l'ordre "naturel" est bousculé. On dit par exemple que les thérapeutes familiaux, lorsqu'ils se présentent entre eux, n'énoncent pas forcément leur fonction. Cette formation m'a donné de l'assurance : je me suis aperçue que je savais ce qu'était un patient, un entretien... quand les internes se réfugiaient derrière un savoir mais se montraient moins à l'aise dans la pratique et que leur entretien demeurait très médical... À la fin de la première année, nos formateurs avaient oublié notre fonction initiale. Cela m'a permis de dépasser ma propre peur du savoir médical. »

Jouer des coudes

« Tout dépend toujours du chef de service, estime Benoît, infirmier en première année de formation à la thérapie familiale. Le diagnostic et la prescription d'orientation se font toujours sous sa responsabilité, mais dans certains services, les médecins délèguent et travaillent en confiance avec les infirmières. » Selon les services et la place qu'ils accordent à la thérapie familiale, les infirmières auront plus ou moins la possibilité de mettre en pratique ce qu'elles ont appris en formation.

« Pour s'imposer comme thérapeute familial, ajoute François Balta, psychiatre, thérapeute familial et formateur à Paris VIII, elles vont devoir jouer des coudes, car cette fonction leur est difficilement accordée. Il n'est pas toujours admis qu'une infirmière puisse s'exprimer, agir, prendre des initiatives, mener une consultation... fonctions réservées traditionnellement à d'autres professions. Elles reçoivent peu de reconnaissance et rencontrent parfois beaucoup d'embûches sur leur chemin. Si elles montent une consultation, on va parfois leur adresser les familles les plus en difficulté, les accepter en consultation de thérapie familiale, mais à titre bénévole... »

Viabilité menacée

Dans le service du docteur Fillâtre à Tours, l'équipe de thérapie familiale est composée du médecin et de trois infirmières. Les duos de thérapeutes se composent souvent de deux infirmières, ce qui pose des problèmes de cotations, puisqu'une infirmière n'est pas habilitée à prendre en charge une consultation. Grâce à la bonne volonté de l'équipe, les séances s'organisent.

« Nous essayons de nous dégager une journée pour travailler ensemble, nous nous supervisons les unes les autres et disposons pour cela d'un local avec glace sans tain et caméra vidéo... Mais nous n'avons pas de temps destiné à la thérapie familiale, repéré sur notre planning. Existe toujours le risque d'être réintégré dans le service en cas d'arrêt de travail, de vacances... Nous avons du mal à faire reconnaître notre spécificité. Notre administration nous affirme que ce dispositif est chronophage et mobilise plusieurs thérapeutes. Pourtant, ces prises en charge évitent rechutes et hospitalisations, mais il faudrait que nous ayons le temps de le prouver à notre direction ! Chiffres et études à l'appui, car seul l'argument économique est recevable... »

Une difficulté contournée au CMP dont dépend Maryse Fourdraine, où s'est formé un groupe de thérapie familiale composé de médecins, infirmières et psychologues. « Le groupe s'est donné les moyens de sa viabilité et de sa reconnaissance en présentant un projet écrit, exposé devant une commission médicale et un conseil de service. Car j'ai vu aussi des personnes se former et que l'on n'a pas laissé pratiquer... Cependant, il y a de moins en moins de médecins et l'on sollicite davantage les infirmières en thérapie. Dans mon CMP, c'est une partie de ma fonction, mais pas uniquement. L'infirmière reçoit toutes les personnes en première intention et, lors de l'entretien préalable, évalue et oriente. Lorsque l'on expose en réunion une situation présentant une problématique familiale, on peut poser une indication de thérapie familiale. »

Solutions concrètes

« J'aime découvrir les familles, leur fonctionnement, comprendre ce qui fonde le lien d'un couple... J'aime travailler avec eux le rêve, les côtés positifs, les ressources dont ils disposent... Il m'est plus difficile en revanche d'assister à leurs conflits incessants et répétitifs. Ce qui me motive, c'est de pouvoir aider les gens à avancer, et pour cela de trouver des solutions concrètes. Peut-être mon "côté infirmière" me conduit-il à ne pas supporter l'inaction... Alors que finalement, ce n'est pas forcément à moi de trouver des solutions, puisqu'il s'agit d'une co-construction ! » La formation a donné des ailes à Ingrid Gutmann, qui envisage, à moyen terme, d'entreprendre des études de psychologie. Le signe d'une évolution possible, d'une ouverture positive.

« Les infirmiers psy sont très pointus concernant le diagnostic, assure Denis Vallée. Peu de personnes ont ce sens du patient, savent si bien ce qu'est une psychose... Ils se montrent très fins sur le plan clinique, savent appréhender mieux que personne la violence familiale et possèdent une vraie expérience de la crise. Ils amènent un niveau de réalité et de pragmatisme très utile. » Autant d'atouts maîtres qui font les bons thérapeutes familiaux... à condition d'oser.

« En séance, au-delà de ma formation d'infirmière, je me sens dans la fonction d'écoutant-thérapeute, fait observer Nicole Gontier. Si je me sens libre d'intervenir, mes préjugés "ancienne école", ma modeste expérience clinique en ce domaine, m'empêchent de le faire. Il m'est difficile de prendre la parole comme le médecin ou le psychologue. À mes yeux, il a la connaissance, le savoir. Cela reste encore bien présent en séance et freine mon désir d'intervenir. »

En cours de formation à la thérapie familiale analytique, Nicole Gontier avoue se sentir encore malhabile à manier les concepts psychanalytiques. Pourtant, Denis Vallée l'affirme avec force, la thérapie familiale systémique abolit les barrières traditionnelles : « La systémie se rit de la hiérarchie ! Comme chacun est actif dans le système, les personnalités comptent avant les fonctions... Les relations qui s'établissent dans les rencontres avec les familles importent avant tout. Une infirmière qui passe huit heures par jour avec un patient peut ainsi devenir l'interlocutrice privilégiée d'une famille... Si un chef de service fait valoir en séance son pouvoir, l'équilibre est rompu et la famille va immédiatement réagir, poser une sanction et ne plus revenir. »

Laissées-pour-compte ?

En 2001, Denis Vallée écrivait à propos des infirmières « thérapeutes au quotidien » : « Nulle part leur intérêt souvent passionné pour la systémie n'est reconnu officiellement et [les infirmières] risquent fort d'être les laissées-pour-compte d'une réforme du statut de thérapeute et, peut-être, leur interdira-t-on un jour la pratique de toutes formes de psychothérapies et donc, de la thérapie familiale. »

« À nous infirmières, sur nos lieux de travail, conclut Nicole Gontier, de faire reconnaître notre savoir-faire en nous formant, en proposant des articles ou des échanges entre soignants sur notre spécificité. Notre décret de compétence nous autorise à mener des entretiens à visée psychothérapique, la validation des acquis ouvre de nouveaux horizons. À nous de nous mobiliser pour être reconnues et légitimées ! »

en pratique

COMMENT ÇA MARCHE ?

- Rythme : une fois par mois (pour l'approche systémique), tous les quinze jours à la même heure en thérapie familiale psychanalytique (sur le mode des séances individuelles). On accorde généralement le crédit de « thérapie brève » aux thérapies familiales systémiques quand les secondes peuvent être plus longues...

- Tarif : gratuit dans les structures publiques, autour de 100 Euro(s) en privé, rythmicité et prix sont décidés lors de la première séance.

- Déroulement d'une séance : les séances sont généralement animées par deux thérapeutes. En approche systémique, la séance peut également être suivie par un ou plusieurs thérapeutes, depuis une salle adjacente, à travers une glace sans tain (ce qui permet une supervision en direct). Les échanges sont souvent filmés. L'ensemble de la famille nucléaire (parents et enfants) est toujours concerné. Parfois, les grands-parents ou d'autres proches sont conviés.

- Objectif : la thérapie familiale s'efforce de trouver un équilibre moins coûteux pour l'ensemble de la famille, de redistribuer la souffrance, de permettre au « patient désigné », celui pour lequel la famille se réunit lors des séances, de se dégager de son assignation. Les objectifs peuvent être très variables : favoriser l'autonomie de chacun, recréer des frontières générationnelles quand elles font défaut, s'écouter tout simplement quand les conflits sont trop brûlants...

Centres de formation

- Centre d'étude clinique et de communication familiale (Ceccof), Paris. 01 48 05 04 04. http://www.ceccof.com

- Société de thérapie familiale psychanalytique d'Île-de-France, Paris. 01 45 40 08 10. http://www.psychanalyse-famille-idf.net

- IEFL, Lille. 03 20 54 83 05. 03 20 55 96 18 (fax).

- Association parisienne de recherche et de travail avec les familles (APRTF), Paris. 01 43 38 16 98.

historique

L'ÉCOLE DE PALO ALTO

L'école de Palo Alto, un mouvement né dans la banlieue de San Francisco vers 1950 et rassemblant anthropologues, psychologues et psychiatres, a jeté les bases des thérapies familiales systémiques : une personne malade (autrement appelée « patient désigné ») porte le symptôme d'un dysfonctionnement familial. On s'intéresse alors principalement aux liens, aux modes de relations entre les individus. Ce choix de mode d'appréhension de l'individu évolue vers une plus grande complexité, le système familial étant plus complexe que la somme des fonctionnements psychiques de tous les individus... Les premiers travaux de référence ont été réalisés par l'anthropologue américain Gregory Bateson (1904-1980) qui a élargi la recherche en matière de schizophrénie en explorant la dimension relationnelle de la famille. En France, les premières expériences se développent véritablement à partir des années 80. Un véritable vent frais dans la psychiatrie institutionnelle, une petite révolution subversive, dans le sillage de l'antipsychiatrie... Aujourd'hui, la thérapie familiale s'est installée confortablement dans les institutions et dans les services de psychiatrie de l'adulte, de l'enfant ou de l'adolescent.

Bibliographie

- Les Thérapies familiales, Maisondieu J., Métayer L., Puf, Collection Que sais-je ?, Paris, 1986.

- Les Thérapies familiales systémiques, Albernhe K., Albernhe T., Éditions Masson, Paris, 2000.

- Introduction à la thérapie familiale, Dollé-Monglond C. , ESF, Paris 1998.

- L'Individu, sa famille et son réseau : les thérapies familiales, Lacroix J.-L., ESF, 1990.

- Les Rituels familiaux, Neuburger R., Payot, 2003.

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