Les prostituées font leur prévention - L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 203 du 01/03/2005

 

Sida au Cambodge

Reportage

Auprès des maisons closes de Phnom Penh, l'ONG française Pharmaciens sans frontières (PSF) travaille depuis 15 ans avec des prostituées et proxénètes reconvertis, les « peer educators ».

Il est 9 heures à Phnom Penh, capitale du Cambodge. Une équipe de l'ONG française Pharmaciens sans frontières (PSF) s'engage à pied dans le bidonville de Cham Ka Mon, un labyrinthe de ruelles étroites. Des chemins de terre, des cabanes sur pilotis, des planches, de la tôle, des ordures en contrebas : c'est là que vivent Lin, 17 ans, et ses six soeurs de misère, prostituées. Leur proxénète, Miek Bonny, 37 ans, exploite les jeunes filles et leurs « petits amis », chargés de les accompagner sur le trottoir. La veille, les adolescents sont allés au « parc », une large pelouse en centre ville, près du monument de l'Indépendance. Ils ont attendu en couple, sous un éclairage aléatoire, que des clients leur glissent un ou deux dollars et emmènent les filles en moto-taxi. Au petit matin, elles sont rentrées chez elles.

Trois mètres carrés

Lin et son copain San Si Nap vivent sur trois mètres carrés de planches inégales, à la merci des moustiques et des rats. Saron, éducatrice à PSF, est présente à leur réveil une fois par semaine. Sa mission : assurer un suivi psychologique et médical des prostituées du quartier. Elle conduit celles qui le désirent à l'hôpital municipal de Toul Svay Prey. Elles y reçoivent une consultation gynécologique et des médicaments. Aujourd'hui, Lin va connaître son premier examen prénatal. Elle est enceinte de trois mois.

Proxénètes humanitaires

« Les proxénètes sont méfiants. Seule une minorité accepte notre présence, explique Jean-Yves Dufour, coordinateur de la mission. Pour intégrer ce milieu, nous employons des "peer educators", anciens proxénètes et prostituées convertis dans l'humanitaire. Ils nous aident à entrer en contact et à instaurer un climat de confiance. Ils sont indispensables à toute nouvelle implantation. »

PSF compte neuf « peers ». Trois d'entre eux sont séropositifs au VIH. « Un quart des prostituées deviennent séropositives après un an d'activité. La prévalence du VIH est de 28 % dans cette population, et de 2,6 % dans l'ensemble du pays », indique Jean-Yves Dufour.

Réduire l'incidence des MST

Du lundi au vendredi, trois équipes se partagent les visites des quartiers miséreux de Svay Pak, Boeung Salang, Borei Keila, etc. Elles travaillent avec l'aide de cinq cliniques municipales et disposent de trois structures propres à PSF, implantées au coeur des bidonvilles. Ce sont les « peers » qui vont frapper aux portes et accompagnent les filles à la clinique. Un médecin et une infirmière khmers les attendent. Le premier réalise un questionnaire médical et sociologique. D'où viennent-elles ? Savent-elles lire ? Ont-elles été forcées de se prostituer ? Remboursent-elles une dette ? Ont-elles subi des comportements sexuels risqués ? Douloureux ? Des pertes vaginales anormales ? Combien de clients ont-elles reçu ces dernières 24 heures ? Après avoir posé ses questions, l'infirmière procède à une consultation gynécologique et prescrit éventuellement un traitement. « La présence d'ulcères génitaux augmente de cinq à vingt fois le risque de transmission du VIH, rappelle le docteur Sim Sansam, de PSF. Réduire l'incidence des maladies sexuellement transmissibles est une priorité. »

Un million de prostituées infectées

Fin 2004, l'Organisation mondiale de la santé estimait que 169 000 Cambodgiens étaient infectés par le virus, sur une population de douze millions. Le nombre de prostituées pourrait atteindre un million. PSF s'est engagé, au sein d'un programme financé par le Fonds mondial contre le sida, à réaliser 1 000 consultations par mois, soit environ quinze par jour pour chaque équipe mobile. L'Association cible les travailleuses sexuelles « directes », mais également les « indirectes », qui travaillent dans des bars à karaoké et des salons de massage. Elle vise aussi les « beer girls », filles employées par une marque de bière et rémunérées à la caisse vendue. Payées une misère, beaucoup survivent grâce à la prostitution.

Le préservatif, un tabou

« Nous nous tournons aujourd'hui vers de nouvelles populations à risque, fait remarquer Sophal Kaing, responsable du programme "sex workers" à PSF Cambodge. Il s'agit, en premier lieu, des femmes employées dans les fabriques de textile. » Selon une étude réalisée par le Centre national contre le sida, 15 à 20 % des prostituées ont travaillé dans ces entreprises. Les « indirectes » sont d'autant plus difficiles à toucher qu'elles avouent difficilement leur activité.

Au Cambodge, le sida est une maladie honteuse. Le préservatif, un tabou. Paradoxalement, la fréquentation des maisons de passe est une pratique sociale très répandue. Les adolescents y perdent leur virginité, les hommes y trouvent un palliatif à une vie sexuelle frustrante.