L'autonomie à tout prix - L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005

 

une équipe de l'hôpital Bretonneau

24 heures avec

Taï chi, travail sur la voix, atelier d'écriture... À l'hôpital parisien Bretonneau, on conjure la maladie de Parkinson grâce à des exercices ludiques, qui n'ont rien d'innocents.

Il est 10 heures du matin à l'hôpital de jour. Autour d'un café, les conversations vont bon train. « J'ai du mal à accepter de faire des mouvements lents », lance une dame très élégante. « Moi, je réalise que je suis moins gai, lui rétorque un homme aux tempes grises. Je fais beaucoup d'efforts mais je n'en vois pas forcément les résultats. J'ai parfois l'impression que cela ne sert à rien. » Point commun de ces six personnes, cinq hommes et une femme, réunis aujourd'hui : ils sont tous atteints de la maladie de Parkinson. Tous les vendredis, ils se rendent ici, à l'hôpital de jour où ils bénéficient d'une prise en charge professionnelle de douze séances au total. Au programme de cette journée : un cours de taï chi chuan avec une kinésithérapeute, et un professeur de cet art martial chinois, une séance de travail sur la voix et l'articulation avec une orthophoniste, puis un atelier d'écriture et de graphisme avec une ergothérapeute et une infirmière, avant une dernière séance de relaxation avec une psychomotricienne. « Les patients ne sont pas à un stade avancé de la maladie, explique Claire Legrand, infirmière. Ce sont tous des gens autonomes et très volontaires. Ils peuvent parler de leurs symptômes. La plupart sont suivis par le neurologue du service qui a mis en place cette prise en charge. L'objectif est de leur donner des moyens afin qu'ils gardent leur autonomie. Pour certains, le fait de se retrouver ensemble est un facteur important. Il y a un effet de thérapie de groupe. »

« Avec la maladie, le corps change »

Car dans ce groupe, ils souffrent tous des mêmes difficultés. Ils ressentent une raideur musculaire, appelée aussi rigidité ou hypertonie. Il leur est difficile d'obtenir un relâchement complet de leurs muscles. L'akinésie, la perte de mouvement, est une autre preuve de la présence de la maladie. Le patient est retardé dans l'initiation de ses mouvements. Il doit penser à chaque geste qu'il veut exécuter avant de l'effectuer. Le tremblement d'un bras ou d'une main est un autre facteur. D'autres symptômes, comme une difficulté à écrire ou un trouble de la parole, qui perd de son intensité, apparaissent également.

Ces maux et ces handicaps qui freinent leurs activités quotidiennes, les huit personnes du groupe Parkinson en parlent volontiers. « Il y a une très bonne dynamique de groupe, remarque Claire Legrand, le courant est passé tout de suite entre eux. » Tous les vendredis donc, la matinée débute à 9 h 30 par une heure et demie de taï chi chuan. Une initiative que l'on doit à Isabelle Sanglier, kinésithérapeute. «Pour ces patients, les gestes de taï chi chuan leur permettent de travailler la continuité dans le mouvement, développe-t-elle. Nous essayons de les aider à trouver une ouverture au niveau moteur et sensoriel. On peut voir que des progrès interviennent notamment dans les demi-tours. Ils ne s'arrêtent plus. Certains en ont pris eux-mêmes conscience, pour d'autres leur entourage leur a fait remarquer. » Certains patients pensent que cet atelier est un moment essentiel de la journée, même s'ils reconnaissent qu'il se révèle fatigant. Pourtant, au départ, ils n'étaient pas tous convaincus des bienfaits de cette activité. « Le taï chi, au début, je me moquais de ces exercices, annonce Jacques Duchatel(1), un homme élégant en costume gris. Aujourd'hui, je réalise l'intérêt d'une telle pratique. On prend conscience de son corps. Je comprends mieux le bien-fondé de certains mouvements. Avec la maladie, le corps change. »

Redonner du corps à sa voix

À 11 heures, Florence Lebon, l'orthophoniste, rejoint le groupe. C'est l'heure de la séance de travail sur la voix et l'articulation. Une prise en charge interactive et très dynamique. « Au cours de cette séance, nous insistons sur l'intensité vocale. Le but recherché est de leur faire prendre conscience de leurs capacités pulmonaires, grâce à des exercices respiratoires centrés sur le thorax et le diaphragme. Nous travaillons aussi sur les praxies buccofaciales, afin de pallier la rigidité des muscles faciaux qui les rendent amimiques, et qui peuvent entraîner au cours de la maladie des troubles de la déglutition. L'intérêt est qu'ils utilisent toutes ces techniques au quotidien. » La séance débute par un moment de relaxation : « On met les mains sur les jambes, on se redresse un maximum », déclare l'orthophoniste. Après ces exercices d'assouplissement, chacun prend un miroir.

Les uns après les autres, ils effectuent quelques grimaces : « Ouvrez les yeux au maximum, puis plissez-les... » Tout le monde s'exécute dans la bonne humeur. Ensuite, Florence Lebon leur demande de souffler avec une paille dans un verre rempli d'eau. André Sellin, un patient, est content. « Cela augmente ma capacité respiratoire, je sens que cela m'aide. » Après les bulles, c'est le moment de travailler sa voix. Beaucoup se plaignent d'avoir perdu en intensité sonore. « Souvent, je renonce à parler lors d'un dîner », explique Jeanne Le Naour. « Parfois, on veut parler mais le son ne sort pas », lui répond Jacques Duchatel. Pour leur redonner confiance, l'orthophoniste leur fait crier son nom. « Projetez votre voix », leur dit-elle. Après ces inflexions de voix, le groupe travaille, chacun son tour, sur un extrait de L'Avare de Molière.

Sortir de sa carapace

« Au départ, ils avaient peur de leur image, se souvient Florence Lebon. Désormais, le fait d'être ensemble, ça les aide car ils se sentent moins seuls. Ils communiquent beaucoup. J'ai l'impression qu'ils font d'importants progrès. On travaille sur ce corps qui commence à les gêner, cela devient pour eux une vraie carapace. »

Après le déjeuner pris à l'hôpital de jour, le groupe rejoint Patricia Ameslant, l'ergothérapeute. Il est 14 heures. C'est l'heure de l'atelier d'écriture. « La séance de torture », comme l'appellent certains patients, pour qui le fait de tenir un stylo est parfois devenu une véritable épreuve. Après quelques exercices d'assouplissement des mains et des bras (« respirez, tirez les poignets vers le haut »), chacun s'arme d'un gros stylo et commence à recopier un texte sur une page où les lignes sont déjà tracées. « Prenez le temps, en faisant des pauses et en respirant bien », insiste l'ergothérapeute. Les personnes atteintes de la maladie de Parkinson ont tendance à écrire de plus en plus petit. Cette rééducation vise à améliorer la coordination motrice, à favoriser les mouvements en ouverture des membres supérieurs, à aider la continuité du geste et à réguler le tonus musculaire, pour éviter la crispation de la main, les tremblements et la fatigue. Comme les autres ateliers, celui-ci stimule la participation et les initiatives de chacun à travers la dynamique de groupe. « Je n'y arrive pas, s'exclame Anne Gervais. C'est trop dur, ma tête et mes yeux me font mal. »

L'ergothérapeute leur montre leurs premiers travaux afin qu'ils les comparent à l'exercice d'aujourd'hui. « Pour eux, ce n'est pas évident de travailler l'écriture, cela renvoie à la scolarité et à l'apprentissage, explique-t-elle. Il y a un côté régression. Il faut le prendre avec le sourire car ils font tous de vrais progrès par rapport à la première séance. »

À 16 heures, le groupe se divise en deux pour la séance de relaxation. Avec Delphine Walter, l'une des deux psychomotriciennes, tout commence par un temps de verbalisation. « Racontez-moi, comment s'est déroulée votre semaine ? Comment vous sentez-vous dans votre corps ?» Puis elle continue par un temps d'écoute corporelle et sensorielle, (sentir son corps en mouvement, les différentes qualités et rythmes du mouvement, les appuis, le poids du corps, sa position dans l'espace, etc.).

Écoute corporelle et sensorielle

Cette séance d'une heure est avant tout un moment de détente pour les patients. Des patients qui, pour certains, appréhendent déjà la fin de cette prise en charge dans un mois et demi.

Alors qu'ils forment le premier groupe, d'autres personnes sont déjà en phase d'évaluation et constitueront un autre groupe. « Après deux ou trois groupes, explique Nathalie Rouvière, cadre de santé, on pourra faire une évaluation. » Pour Patricia Ameslant, l'ergothérapeute, « un relais en ville peut se faire par la suite. On peut leur conseiller d'aller voir un orthophoniste et un kinésithérapeute pour maintenir les acquis. Le problème de cette maladie est qu'il y a aussi une perte d'initiatives. Il faut favoriser le maintien d'un contact. On leur donne le programme des activités proposées par le Point Paris Émeraude XVIIIe et l'hôpital, et on leur propose de refaire un bilan dans six mois ».

Un exemple à suivre

Aujourd'hui, la capacité d'accueil de l'hôpital de jour de Bretonneau est la plus importante de l'AP-HP. Avec une gamme très large de prise en charge adaptée aux différents troubles du grand âge (troubles cognitifs, troubles de l'équilibre ou perte d'autonomie), cet établissement gériatrique reste décidément un exemple à suivre.

1- Les noms des patients ont été changés.

Hôpital Bretonneau. 23, rue Joseph-de-Maistre 75018 Paris. Tél. : 01 53 11 18 08