Mes débuts au Club med - L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005

 

Vous

Vécu

Enfin une rubrique tout entière dédiée à votre prose. Empreints d'humour, d'émotion, de tendresse, vos témoignages sont désormais publiés dans la rubrique « Vécu ». Les textes peuvent être adressés via notre messagerie électronique (atronchot@groupeliaisons.fr) ou par courrier. À vos stylos !

Quand on est jeune, on nage plus souvent à la piscine que dans le pognon... C'est une triste réalité. Du temps où je faisais mes études, je rêvais de partir en vacances aux États-Unis. J'ai toujours voulu voir l'Empailleur State Building.

À l'époque, un billet d'avion coûtait plus cher qu'un ticket de métro, et j'essayais de gratter de l'argent à droite et à gauche. Dans cette optique, comme dirait mon pote Copernic, je décidais d'aller vendre mon corps dans une boîte d'intérim.

En principe, tant qu'on a pas son CAP d'infirmier, on bosse en tant qu'aide-soignant. Du moins, c'est ce que j'imaginais en entrant chez le marchand d'esclaves. Mais les principes sont faits pour s'asseoir dessus. Pas vrai, Lulu ?

Je m'explique : si l'hôpital public fait l'effort de mettre de vrai(e)s infirmier(e)s dans les services de soins, certains ne s'emmerdent pas avec ces détails. Tout le monde sait qu'un apprenti coûte moins cher qu'un ouvrier qualifié.

Payés au coup de bistouri

Il faut savoir également que, dans le privé, les docteurs sont payés aux coups de bistouri. Alors, pour savoir s'il faut opérer ou pas, on ne se prend pas trop la tête...

À l'hôpital, quand l'interne en chirurgie reçoit un gamin qui a mal au bide, la procédure est simple :

- il vérifie la souplesse de l'abdomen ;

- il saute l'infirmière pendant que le gosse est à la radio ;

- il prend ensuite la décision, ou pas, de réveiller son chef de service.

En clinique, le chirurgien procède différemment :

- il vérifie que le bloc opératoire est libre ;

- il fait sauter l'appendice ;

- il prend la décision de s'acheter une Jaguar à la rentrée.

Mais je m'égare... je parlais donc de mes aventures en tant qu'intermittent de la seringue. Comme on disait à Bagdad, avant d'empaler les voleurs de chameaux, rentrons dans le vif du sujet.

Je me revois débarquer dans une clinique de la région parisienne, après un an d'école seulement. À ce stade de ma scolarité, je maîtrisais parfaitement le gant de toilette et la serviette éponge, mais la technique des intraveineuses me laissait encore très perplexe... Vaguement inquiet, je m'entends dire qu'on m'attend aux soins intensifs, au deuxième étage. Avanti...

Huit heures, faisant un remake de « Doctor Livingstone, I presume ? », je me présente dans l'arène.

« Bonjour, je suis envoyé par l'agence d'intérim. Vous êtes l'infirmière, j'imagine ?

- Ah, pas vraiment. Moi, ici, je m'occupe du ménage. Mais je connais bien la maison, depuis le temps...

- Enchanté. L'infirmière est dans le coin ?

- Mais c'est vous l'infirmière. Vous n'êtes pas au courant ? »

Gag.

John Wayne contre les vautours

Tout à coup, je ressens la même impression qu'une éléphante du Kenya, venue demander la pilule de son vétérinaire, et qui se retrouve avec une ligature de trompe... Avec une certaine appréhension je questionne ma collègue, qui se fait un plaisir de me décrire l'ampleur du désastre : les soins intensifs concernent une demi-douzaine de touristes en pyjamas qui se font bronzer sous les néons. Certains vacanciers, d'ailleurs, attendant patiemment leur transfert vers un centre de loisirs définitif.

C'est un Club med pour zombies, en quelque sorte.

Devant mon air désespéré, la gentille organisatrice essaie de me consoler. Des fois que je partirais en courant...

« Allez, ce n'est pas si compliqué que ça. Vous verrez, je vais vous aider... »

Comme on explique à un petit garçon comment se laver les dents, elle me montre gentiment la marche à suivre : les prescriptions de médicaments, les solutés à changer, les tensions à prendre...

Je me jette donc à l'eau.

Très vite, je me rends compte que le plus difficile, ce n'est pas le côté technique de la chose. En faisant un peu attention, je réussis à reconnaître les différentes sortes de tuyaux qui sortent de sous les draps. Je m'aperçois ainsi que les sondes urinaires sont plus grosses que les tubulures de perfusion. Elles sont également situées (quand tout va bien) en aval de ces dernières...

Non, le plus dur, en fait, c'est le côté relationnel. Parce qu'il faut bien donner l'impression de maîtriser le processus. Même si j'en suis juste au stade de la découverte... Alors, comme certains mettent le journal au frigo pour avoir des nouvelles fraîches, je repense à mon contrat avec l'UAP afin d'assurer un max.

Bientôt, je suis comme John Wayne qui raconte des salades à son pote afin de lui remonter le moral. Vous savez, le gars qui vient de se faire trouer la peau par les Indiens et qui a perdu quinze litres de sang.

« Allez Bill, accroche-toi, on va te refaire une santé. Fais pas attention aux vautours, ils viennent juste aux nouvelles... »

En m'organisant un peu je trouve un certain rythme de croisière. Ainsi, quand le moment des bilans sanguins arrive, je commence par les malades les plus endormis. Comme ça, je peux m'entraîner sans qu'ils se mettent à couiner trop fort.

À la quatrième prise de sang, je n'en suis qu'à mon deuxième hématome...

Je suis tout de même plus à l'aise lorsqu'il s'agit de servir les petits déjeuners. Je maîtrise assez bien la technique, car je l'ai souvent fait quand j'étais petit, les dimanches matins, pour faire plaisir à papa et maman...

La phase suivante est toutefois plus délicate. Il me faut en effet préparer les perfusions de la matinée et je dois jongler avec les milligrammes de sodium, les millilitres de potassium et les kilo-gamma-minute de Lénitral®...

Adieu New York !

Mes cours relatifs à ce sujet ne sont vieux que de quinze jours et je suis moins au top dans ce domaine que dans la préparation du café au lait. Sans trop y croire, je manipule les denrées prescrites par le médecin et je commence à les brancher en guettant les premiers signes de convulsions parmi mes pensionnaires.Des fois que je me serais trompé de virgule en calculant les doses...

À ma grande surprise, rien ne se passe, aucun soubresaut. C'est fou le nombre de choses nouvelles que je pratique... J'apprends plus en une journée qu'en six mois de formation... Mais c'est quand même crevant d'avoir des palpitations toutes les dix minutes. J'ai beau avoir le caractère mieux fait que la figure, après douze heures de navigation à vue, je quitte la clinique en marchant au radar.

En remontant la rue de la Poupée qui tousse, je regarde les vitrines afin d'oublier cette journée où je me suis fait endoffer(1) comme un bleu d'Auvergne. Et puis merde ! Tant pis pour mes vacances au pays de Mac-Intosh, de Coca-Cola et de Ma Queue Donald. Si je dois retourner dans cette boutique pour me payer une semaine à New York, autant changer de destination. Je préfère laisser la statue et garder ma liberté.

1 -Se faire avoir.