Un accompagnement sur mesure - L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 204 du 01/04/2005

 

traumatisés crâniens

Enquête

Les traumatisés crâniens sont chaque année 155 000 de plus. Unique en France, le service d'accompagnement médicosocial à domicile de Brest propose un soutien individualisé.

C'est un rapport de 1995 qui a attiré pour la première fois l'attention des pouvoirs publics sur le problème du traumatisme crânien.

Depuis, on a coutume de parler d'« épidémie silencieuse » ! Silencieuse, car de l'avis de Monique Boezennec, mère d'un fils victime d'un traumatisme crânien et vice-présidente de l'Association de familles de traumatisés crâniens (AFTC) du Finistère, « difficile à montrer, donc à médiatiser ».

Famille désorientée

Pourtant, elles sont bien vivantes, ces personnes touchées six fois sur dix par un accident de la voie publique(1), et majoritairement par un accident de la route. « Depuis 25 ans environ, on sait sauver les victimes d'accidents graves grâce aux performances des services de secours, aux techniques de réanimation, explique Monique Boezennec. Cela a engendré une nouvelle population, avec une nouvelle forme de handicap. »

On estime que chaque année, en France, il y aurait 155 000 nouveaux cas de traumatismes crâniens. Profil type ? Le traumatisé craniocérébral est le plus souvent jeune. Ainsi, les trois quarts des traumatisés graves (plus de dix jours de coma) ont moins de 30 ans. Et 65 à 75 % des traumatisés crâniens sont des hommes. Le traumatisme crânien touche aussi beaucoup les enfants de moins de cinq ans et les personnes de plus de 65 ans. Les traumatismes liés au sport, aux accidents du travail et aux agressions vont en augmentant.

Atteinte intellectuelle ou cognitive

On estime chaque année en France à 8 500 le nombre de personnes handicapées de gravité moyenne (gardant des séquelles physiques ou mentales limitant leur réinsertion) et à 1 800 le nombre de personnes sévèrement handicapées (ne pouvant rester seules plus de 24 heures).

Parmi les séquelles physiques, on peut noter l'hémiplégie unique ou double, éventuellement associée à des tremblements, une incoordination motrice, une amputation du champ visuel... Le plus souvent, ces séquelles visibles disparaissent ou régressent fortement.

L'atteinte cognitive ou intellectuelle est souvent très conséquente, associant à des degrés divers des problèmes de mémoire (surtout de la mémoire immédiate), des troubles de l'attention, de la concentration et du raisonnement, des difficultés de planification et d'organisation.

Les troubles du comportement vont d'une apathie extrême à des troubles de conduites sociales par désinhibition.

En Bretagne, 2 400 personnes seraient touchées chaque année. Dont trois gravement atteintes toutes les semaines. Un décompte humainement dramatique, car, souligne Monique Boezennec, « les familles et proches ont souvent le sentiment que leur enfant, leur conjoint, n'est plus vraiment le même sans être non plus devenu un autre ».

Au-delà du traumatisme physique, cognitif et comportemental, la famille vit elle aussi un véritable traumatisme. « Une fois que la personne sort de rééducation, elle retourne en général à son domicile. Là, c'est une catastrophe !, note Monique Boezennec. La famille est désorientée, fatiguée. Et le lien affectif qui nous unit à notre enfant ou à notre conjoint ne nous aide pas forcément à agir comme il le faudrait. »

D'où le besoin de structures d'aide. Dans le Finistère, les familles mobilisées depuis des années au sein de l'AFTC ont fortement contribué à la construction d'un véritable réseau de prise en charge des traumatisés crâniens. Le Finistère est ainsi devenu le seul département français à disposer d'un réseau complet.

Public large

Après le foyer d'accueil médical de Morlaix, les centres d'accueil de jour de Brest et Quimper, le centre d'aide par le travail de Plomelin, une classe d'intégration scolaire pour enfants cérébrolésés de Quimper, et l'unité d'évaluation et d'orientation professionnelle et sociale de Brest, le service d'accompagnement médicosocial à domicile pour les personnes traumatisées crâniennes et leur famille (Samsad) a été créé à Brest en avril 2004.

Une innovation possible grâce au partenariat entre l'association des familles et la Fondation du centre héliomarin de Roscoff, qui gère déjà le centre de Perharidy, un des trois centres régionaux proposant une rééducation et une réadaptation fonctionnelle adaptées à ce public.

Agrément pour 50 personnes

Sept professionnels issus du secteur médicosocial et une bénévole de l'AFTC font fonctionner le service qui dispose d'un agrément pour accompagner 50 personnes. Conçu au départ pour suivre des victimes des traumatismes crâniens légers, qui peuvent par exemple rencontrer des difficultés à gérer leur vie quotidienne, tout en poursuivant une activité professionnelle en milieu ordinaire, le Samsad s'est ouvert à un public plus large.

Les besoins sont si importants dans le domaine du handicap ! Malgré tout, pour rester centré sur son public, le service considère les situations au cas par cas.

La personne doit présenter des lésions cérébrales acquises à la suite d'un traumatisme crânien, ou des lésions vasculaires ou tumorales. Une personne qui a subi une rupture d'anévrisme, par exemple, rencontrera des difficultés de vie similaires à celles d'un traumatisé crânien. Et sera donc suivie par le service. « Mais un infirme moteur cérébral qui a une déficience acquise à la naissance ne pourra pas bénéficier du dispositif », souligne Françoise Odinot-Godard, ergothérapeute et coordinatrice du Samsad.

Rencontre au domicile

Une commission statue, après orientation de la Cotorep, sur l'admission demandée soit par la personne elle-même, par sa famille ou par une autre structure.

Un entretien avec la coordinatrice et la psychologue est suivi d'une consultation avec le médecin référent du Samsad, le Dr Yvon Durand, chef du service de rééducation neurologique du centre de Perharidy.

Ensuite, une rencontre a lieu au domicile avec la conseillère en économie sociale et familiale, l'éducatrice spécialisée ou l'assistante sociale. Toute cette procédure permet d'évaluer les besoins de la personne. Un projet d'accompagnement est alors défini, impliquant un ou plusieurs professionnels de l'équipe, souvent les uns après les autres.

Le soutien psychologique, très fréquent, peut déboucher sur une demande d'aide administrative, de projet de loisirs ou encore d'un accompagnement professionnel... « L'objectif étant bien d'aider la personne à cheminer vers un nouveau projet de vie, et ainsi faire le deuil de ses capacités d'avant », souligne Monique Boezennec.

Dans le domaine de la prise en charge des traumatisés crâniens, tout reste à faire. Ou presque.

Pas étonnant alors de constater que l'équipe du Samsad est jeune... et pleine d'entrain. Hormis Françoise Odinot-Godard, jusque-là coordinatrice du centre d'accueil de jour de Brest, et le Dr Yvon Durand, les autres membres de l'équipe découvrent cette population. Et toutes les implications que provoque un tel traumatisme.

Incompréhension

« Fréquemment, des personnes que l'on suit sont prises pour des alcooliques à cause de leur perte d'équilibre ou de leur voix dysarthrique(2), explique Valérie Patte, l'éducatrice spécialisée. Elles peuvent alors nous demander d'être présentes dans certaines situations, car nous sommes un gage de sérieux. On est autorisés à prendre du temps pour ces demandes. »

Ce type de situation, née de l'incompréhension des conséquences provoquées par les séquelles sur la vie de tous les jours, se multiplie bien évidemment à l'infini.

Résultat : les déplacements de l'équipe, qui couvre tout le département du Finistère, occupent une grande place dans l'organisation. Il est fréquent de rouler pendant plus de deux heures pour seulement trente minutes de rendez-vous. « C'est à ce prix qu'on peut ne pas couper les liens », souligne Françoise Odinot-Godard. Il faut plusieurs face-à-face pour réussir à « faire comprendre parfois que le projet n'est pas adapté à leurs besoins », selon Marie Le Garzic, la psychologue clinicienne.

L'accompagnement à domicile crée un contexte particulier que l'équipe du Samsad doit prendre en compte, pour rendre les interventions les plus efficaces possibles. Françoise Odinot-Godard, l'ergothérapeute, estime cette démarche indispensable : « L'environnement peut aussi être facteur de handicap. Il faut alors adapter les solutions possibles - parfois grâce à notre imagination - aux séquelles, et mettre en place de nouvelles stratégies ou des prothèses. Mais, concernant les malades qui vivent en famille - aujourd'hui ils sont 40 % dans ce cas - nous devons aussi travailler avec le reste de la famille, car une prothèse qui ne serait pas acceptée par tous ne sera pas utilisée. »

Autonomie accrue

Toutes pensent, comme le résume Valérie Patte, que « les interventions à domicile permettent de mieux percevoir la volonté de la personne ». Et que ce travail, effectué dans une enceinte si intime, peut faire gagner en autonomie.

Il faut commencer par s'assurer que la personne ne se met pas en insécurité. Exemple : le patient cherche à cuisiner. Une tâche très symbolique, car se préparer à manger, c'est aussi pouvoir rester chez soi, et se prouver à soi-même que l'on reste autonome. Mais l'exercice comporte certains risques. Frédérique Bellamy, la conseillère en économie sociale et familiale, intervient sur ce point, « d'autant qu'il n'existe pas de structures pour réapprendre à faire la cuisine », précise cette dernière. Une solution intermédiaire peut être trouvée, comme le recours à une auxiliaire de vie ou le portage de repas à domicile.

Savoir passer le relais

Bien entendu, une équipe de sept professionnels ne peut pas être partout, tout le temps, sur un vaste département et auprès de 50 personnes. L'équipe doit donc respecter le cadre prévu de son intervention.

Elle doit aussi savoir travailler avec des professionnels extérieurs au Samsad. « Il m'arrive de passer le relais à un confrère libéral ou à un centre médicopsychologique quand une pathologie psychiatrique est plus profonde », explique Marie Le Garzic.

Dans ces cas-là, un important travail d'explication doit être effectué, destiné à bien faire comprendre la spécificité de ce type de traumatisme. C'est en effet la condition indispensable pour aider la personne à « se sentir de nouveau quelqu'un ».

1- Circulaire n° 2004-280 du 18 juin 2004

2- Liée à « une difficulté de l'élocution due à une lésion des centres moteurs du langage », dit Le Petit Robert.

témoignage

MAINTENIR LE LIEN

Frédérique Bellamy, conseillère en économie sociale et familiale du Samsad, se souvient : « Au cours d'une expérience passée, on disait d'une personne suivie qu'elle était malade mentale. En réalité, elle avait été victime une trentaine d'années auparavant d'un traumatisme crânien. Elle était complètement marginalisée et avait un comportement inadapté. »

D'où l'importance de mettre des mots sur les séquelles car sans mot, il n'y a pas de compréhension possible de l'entourage. « Une jeune femme qui travaillait dans une cantine scolaire a dû faire face à de grandes difficultés de compréhension de la part de son nouveau responsable, qui ne comprenait pas du tout son comportement, ses "manies"... Jusqu'à ce que j'aille le rencontrer pour lui expliquer la situation », raconte Monique Boezennec.

Éviter que les liens se rompent, à tout prix. Même quand l'accompagnement est très difficile, voire chaotique : « Une personne victime d'un accident il y a quatre ans est revenue dans son logement depuis un an, explique Françoise Odinot-Godard. Son domicile nécessite d'être adapté. Mais le projet change souvent. La relation est difficile car elle est très désinhibée. Malgré tout, on veille à ne surtout pas couper le lien. »