Après le Tsunami - L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 205 du 01/05/2005

 

inde

Reportage

Trop de générosité tue la générosité... Ainsi, en Inde, la déferlante de dons d'ONG après le passage du tsunami fut propice à la reconstruction... Mais aussi aux malversations, voire au déséquilibre de l'écosystème...

En Inde, des vagues hautes de trois à dix mètres ont touché 2 260 kilomètres de côtes, générant des dégâts jusqu'à trois kilomètres à l'intérieur des terres. Le bilan humain est lourd : 5 669 disparus et 10 714 morts (dont environ 8 000 dans le Tamil Nadu) ; 647 521 déplacés ; 376 171 sans-abri hébergés dans des camps. 85 % des personnes affectées dans le Tamil Nadu appartiendraient à des communauté de pêcheurs. En 2000, il y avait, dans cet État, 698 268 personnes vivant de la pêche avec un nombre estimé de 10 000 bateaux motorisés, 21 000 barques et 28 000 catamarans. D'après les dégâts déclarés après le tsunami, 43 953 bateaux seraient endommagés et 10 000 perdus(1).

Grand bazar

Les Indiens sont fiers de la vague de générosité qui a déferlé sur les côtes du Tamil Nadu, dès le 26 décembre. Dans ce pays d'un milliard d'habitants, la solidarité nationale s'est déchaînée dans les heures qui ont suivi le tsunami, devançant de trois ou quatre jours celle du gouvernement. Néanmoins, par sa nature spontanée et diverse, elle s'est exercée dans un grand bazar parfois excessif, souvent paternaliste, éventuellement intéressé et empreint de prosélytisme : gourous hindouistes et partis politiques ont confondu solidarité et shows médiatiques ; églises chrétiennes et sectes n'ont pas livré que de la nourriture terrestre mais aussi des bibles ; les multinationales ont distribué des échantillons comme dans une foire commerciale ; des groupes improvisés de médecins étrangers ont détecté des maladies, donné quelques médicaments, puis sont partis...

Nationale, dans un premier temps, l'aide d'urgence a rondement été financée par les ONG internationales. Contrairement à ce qui s'est dit, l'Inde n'a pas refusé en bloc tout soutien extérieur. Le Premier ministre a seulement rejeté l'aide d'urgence directe d'autres pays et, loin de rejeter la « solidarité globalisée », a suspendu jusqu'au 31 mars 2005 la loi contrôlant la réception de fonds étrangers par les ONG nationales.

Trop d'argent !

Sur le terrain, en effet, ce n'est pas l'indigence de l'aide qui prête à s'offusquer : « Il y a un excès d'approvisionnements, surtout à Nagappattinam où des familles ont stocké jusqu'à un an de réserves ! », observe Louis Stanislas, de l'association de défense des droits humains People's Watch. « Ces gens vont forcément revendre les surplus ! » Pour mieux répartir la distribution de cette aide abondante, cette association a participé à la création d'une coordination d'ONG, d'ampleur régionale, dès le 31 décembre : la TRRC, Tsunami relief and rehabilitation coordination. Mi-décembre, elle a opté pour la cessation des aides en nourriture aux populations affectées.

Parallèlement, le 1er janvier, la Fédération des coopératives de pêcheurs du Sud de l'Inde (SIFFS) lançait une autre coordination d'ONG à Nagappattinam, ce petit port ruiné transformé en plate-forme humanitaire incontournable. Grâce à cette initiative, 495 associations participant à la solidarité ont été répertoriées dans ce district. Mais répertorier n'est pas fédérer ! « Il y a trop d'argent, trop de gens et si peu de management ! », admet Vivekanandan, porte-parole de la SIFFS.

Effets désastreux

Les ONG internationales négocient avec le gouvernement, planificateur de la reconstruction, les espaces libres où s'insérer, plutôt que de se concerter avec les bénéficiaires et la société civile. « Il y a de grosses pressions des donateurs étrangers. Un exemple : une ONG suisse arrivée tardivement sur notre zone bataille pour se faire une place. Elle craint de ne pouvoir dépenser son argent ! Les listes de bateaux endommagés étaient à peine commencées, que ces donateurs étrangers voulaient remplacer la flotte ! », témoigne Vincent Jain, responsable des coopératives de pêche Sangams. Or, puisque le gouvernement a promis des bateaux neufs et que les ONG ont beaucoup d'argent, certains bateaux peu endommagés ne trouvent même plus de propriétaires ! Une précipitation irréfléchie à remplacer ces embarcations pourrait avoir des effets désastreux à long terme sur l'écosystème : les ressources halieutiques ne sont pas inépuisables. « Depuis des années, nous travaillons à la reconversion de pêcheurs ! », alerte M. Jain.

Corruption ?

Autre problème soulevé par cette manne soudaine : l'abondance des dons pourrait conforter les partis dominants au pouvoir, au détriment des formations alternatives, enrayant ainsi les rouages imparfaits de la démocratie. « Si les ONG proposent leur argent avant même que les gouvernements (national et régional) annoncent leurs facultés de dépenses, les économies réalisées passeront dans les campagnes électorales ! », met en garde le directeur de People's Watch. D'autant plus que les partis d'opposition sont restés assez silencieux, craignant, en critiquant leurs adversaires, de paraître bassement politicards, quand le monde se mobilise unanimement pour les victimes...

1- Source : rapport de l'Asia-Pacific Fishery, commission du 14 février 2005.